Cette firme montréalaise de gestion de portefeuilles a fait sa place auprès des investisseurs institutionnels comme les caisses de retraite. Son président et chef des placements a également trouvé le temps d’écrire un deuxième livre et de «créer du capital intellectuel pour l’industrie», comme le disait le jury du Top 25.
Intitulé Rational Investing : The Subtleties of Asset Management, cet ouvrage d’un peu plus de 200 pages vise à résumer l’état actuel de la pratique et de la recherche universitaire en gestion d’actifs. Gage de qualité, il est publié à la prestigieuse maison d’édition new-yorkaise Columbia University Press.
«Le processus d’édition a duré une quinzaine de mois, avec des relectures par des spécialistes et des modifications suggérées par l’éditeur», précise Jacques Lussier, qui a écrit ce livre avec Hugues Langlois, professeur de finance à HEC Paris et cofondateur d’Ipsol Capital.
«L’investissement est à la fois une science et un art. La chance joue un certain rôle, mais nous avons désormais une meilleure compréhension des facteurs qui agissent sur les performances à long terme», dit Jacques Lussier.
En évoquant de nombreuses recherches universitaires, les auteurs démontrent qu’il existe des gestionnaires d’actifs talentueux. Mais gare aux conclusions rapides, car s’il était si facile de repérer les gestionnaires talentueux, on deviendrait tous riches. Le problème réside dans les coûts, la volatilité et ce qu’on appelle le «bruit statistique».
«Par exemple, on sait que les gestionnaires talentueux savent tirer leur épingle du jeu autant en période haussière qu’en période baissière. Dans le premier cas, ils choisissent de bons titres et dans le second, ils mettent davantage l’accent sur les secteurs défensifs. Mais leurs surperformances ne sont souvent pas de taille par rapport aux frais de gestion», explique Jacques Lussier.
Par ailleurs, poursuit le dirigeant d’Ipsol Capital, il y a peu de preuves démontrant que les prévisions d’événements tels qu’une récession ou une variation du prix du pétrole ou des taux d’intérêt expliqueraient le succès à long terme des gestionnaires. Ainsi, en novembre 2007, pas moins de 97 % des économistes américains joints par sondage prévoyaient une croissance positive pour l’année 2008 !
Et finalement, parmi plus de 300 facteurs de performance étudiés par les chercheurs universitaires, un très petit nombre se confirment par des preuves statistiques constantes.
Cycles difficiles à définir
En matière de performance de fonds, le passé récent – à savoir les trois à cinq dernières années – est loin d’être garant de l’avenir, puisque le succès s’explique en grande partie par la persistance de certains cycles. Par exemple, le secteur financier pourrait, pendant plusieurs années, générer de meilleurs résultats que le secteur de l’énergie. Le gestionnaire qui en aura profité présentera de bonnes performances… mais saura-t-il déterminer le prochain cycle ?
«On ne peut pas prévoir la durée des cycles. Mais on sait que sur une longue période d’au moins 10 ans, l’habileté des bons gestionnaires finira par s’imposer. Leur talent spécifique sera largement responsable de la surperformance des fonds qu’ils dirigent», affirme Jacques Lussier.
Facteurs de succès
Selon les auteurs de Rational Investing qui y consacrent près de la moitié du livre, il est possible de définir trois sources qui alimentent la surperformance des gestionnaires. La première consiste à diversifier l’impact de la malchance, la deuxième à réduire les effets des erreurs de valorisation dans les marchés financiers, et la troisième, à mieux équilibrer les sources de risque et de rendement au sein des portefeuilles.
«Les bons gestionnaires, qu’ils soient traditionnels ou quantitatifs, exploitent à leur façon ces trois sources de performance», dit Jacques Lussier.
Le livre donne des exemples de construction de portefeuilles intégrant ces facteurs de réussite. Et on peut s’en douter, ces exemples reposent principalement sur des algorithmes.
Frais en baisse
Or, qui dit algorithmes, dit machine.
«Dans les années 1990, la gestion quantitative avait beaucoup moins de profondeur que la gestion traditionnelle. Elle se distingue aujourd’hui par des approches de plus en plus complètes alors que plusieurs bons gestionnaires traditionnels commencent eux aussi à intégrer des processus quantitatifs. Dans 5 à 10 ans, il sera de plus en plus difficile de distinguer la meilleure gestion quantitative de la meilleure gestion traditionnelle», prévoit Jacques Lussier.
Et avec la machine vient la pression à la baisse des frais de gestion.
«Les algorithmes feront de plus en plus une partie du travail des gestionnaires. Plus de 60 % de leur performance peut s’expliquer par les sources de risque. Cela signifie qu’en principe, nous pourrions recréer synthétiquement une bonne partie de leur performance. Et c’est ce qui explique la tendance à la baisse des frais de gestion dans l’industrie du placement», note Jacques Lussier.
À entendre le cofondateur d’Ipsol Capital, on se rend compte que l’industrie de la gestion d’actifs a de longs jours devant elle, car elle sait comment s’adapter au changement, notamment de nature technologique.
Les milieux universitaires produisent beaucoup de recherche, qu’il est difficile de mettre bout à bout afin d’en dégager le sens. Au final, et à la condition d’y mettre du sien, car il ne s’agit pas d’une bande dessinée, ce livre enrichit notre compréhension des facteurs qui expliquent la persistance de la réussite dans le monde de la gestion d’actifs.
Rappelons qu’en 2013, Jacques Lussier avait publié Successful Investing Is a Process : Structuring Efficient Portfolios for Outperformance (Bloomberg Press), tout juste après avoir été chef des stratégies de placements de Desjardins Gestion internationale d’actifs.