Dans un entretien avec Finance et Investissement, Mario Albert, dont le mandat s’amorçait le 1er avril dernier, évoque aussi sa volonté d’attirer davantage d’institutions financières étrangères à Montréal.
Finance et Investissement (FI) : Comment abordez-vous votre nouveau mandat ?
Mario Albert (MA) : Je l’aborde avec enthousiasme. C’est un très beau défi, qui est dans la continuité de ce que j’ai fait au cours des dernières années. Je vais d’abord faire le tour du jardin, car il y a beaucoup de joueurs à Finance Montréal. Nous avons un conseil d’administration important, avec plus de 27 joueurs, donc il s’agit de comprendre les dossiers, les chantiers et les attentes de mes mandants. Je compte aussi y mettre un peu ma couleur avec le temps. Je me donne 100 jours pour faire un plan de match. Jusqu’ici, c’est très motivant, car il y a une grande implication des gens, une grande générosité des membres du conseil et des partenaires. Je sens un grand dynamisme dans l’organisation et cela va sûrement faciliter ma tâche.
(FI) : Étiez-vous familier avec Finance Montréal et le CFI ?
(MA) : Oui, parce que par l’entremise d’Investissement Québec (IQ) et de l’Autorité des marchés financiers (AMF), j’ai été membre gouverneur de Finance Montréal. Évidemment, c’est différent de l’intérieur, il y a un degré de détails plus grand dans mon nouveau poste, toutefois j’étais déjà familier avec les grands enjeux.
(FI) : Nous évoquons Finance Montréal, mais qu’en est-il du CFI ?
(MA) : Bientôt nous allons fusionner les deux organisations. L’idée est de compléter cela le plus rapidement possible. D’ailleurs demain (le mardi 28 avril) la question sera soumise aux gouverneurs. Il faut être bien conscient qu’à maints égards, cette fusion était de facto appelée à être faite. Il y avait un même directeur général, les équipes sont sur le même plancher, et les interrelations entre les gens démontraient déjà un fusion dans la façon de fonctionner. Nous avons des conseils d’administration et des budgets différents, mais nous allons bientôt fusionner légalement alors que cette fusion était administrative jusqu’ici.
(FI) : Qu’apportez-vous à Finance Montréal de votre expérience à l’AMF et à Investissement Québec ?
(MA) : De l’AMF, c’est sûrement la connaissance des enjeux du secteur financier. Les développements réglementaires sont importants et conditionnent le secteur financier. Je possède une assez bonne compréhension des enjeux et de l’impact que ces développements peuvent avoir sur les différents segments du secteur financier, notamment les banques, les compagnies d’assurance, et tout le secteur de la distribution.
D’IQ, j’apporte davantage le volet développement économique. Je pense ici à tous les enjeux existants et qui visent à structurer l’écosystème du fintech. Ce sont des choses à IQ sur lesquels nous étions appelés à travailler. Je possède aussi une connaissance des programmes et de l’appareil gouvernemental. Même si Finance Montréal n’est pas un lobby chargé de représenter les institutions financières dans des enjeux face au gouvernement, qu’il est plutôt un organisme de développement économique, la connaissance du secteur gouvernemental sera bénéfique. Il existe des enjeux qui sont traités par le gouvernement et nous pouvons traiter plus aisément avec le gouvernement lorsque l’on connaît les joueurs au ministère des Finances, par exemple.
(FI) : Le plan stratégique Ambition 2020 a récemment été adopté, quels éléments de ce plan ont davantage retenu votre attention ?
(MA) : C’est un plan stratégique et il y a une volonté des joueurs de ne pas travailler tous azimuts. Il y a six grands axes d’intervention et vous dire que l’un est plus important que l’autre ne serait pas rendre justice à l’exercice. Malgré tout, par leur ampleur, il y a des chantiers qui ressortent un peu du lot. Je pense entre autres au chantier de la retraite et à celui des fintech. Il y a aussi des choses importantes qui vont se faire au niveau du capital d’investissement impliquant tous les membres de la communauté financière, soit une étude sur la cartographie de l’industrie du capital au Québec. Nous parlions aussi de créer un chantier au niveau de l’assurance. À ce sujet, nous allons étudier ce qui est pertinent pour les assureurs et tenter de les amener à collaborer avec nous encore plus qu’ils le font déjà.
(FI) : Quelle sera l’évolution des chantiers qui sont déjà en place ?
(MA) : Concernant le chantier retraite, il y a un objectif de faire de Montréal un pôle d’excellence en retraite au niveau international. Nous pensons que c’est accessible dans la mesure où nous avons à Montréal de grandes caisses de retraite. Il y a 250 régimes de retraite qui sont gérés depuis Montréal, il y a aussi de grands gestionnaires, comme la Caisse de dépôt et placement du Québec et Investissements PSP. Il y a beaucoup d’expertise et au plan académique, nous avons des chercheurs capables de faire la différence dans le secteur de la retraite. Au plan international, la question de la retraite va être un enjeu dans beaucoup de pays. Si nous avons l’expertise, le défi sera alors de l’exporter et de générer des retombées positives pour les institutions financières qui sont à Montréal.
(FI) : Selon vous, quels sont les besoins du secteur fintech et quel sera le rôle de Finance Montréal dans cette dynamique ?
(MA) : Le défi dans le fintech, c’est qu’il y a beaucoup d’institutions financières et de firmes technologiques. Il faut amener ces gens à échanger. Pourquoi une entreprise technologique ferait-elle du développement dans le secteur financier ? Ce n’est pas nécessairement naturel, bien qu’il y ait de nombreuses opportunités, alors il faut s’assurer que ces gens se parlent si nous voulons être en mesure de maximiser nos chances de créer une industrie dans le secteur fintech.
Ce n’est pas la seule chose que nous entendons faire. Il faut également développer du talent, vendre l’expertise de Montréal et à cet égard, nous cherchons à nous positionner avec la Conférence FinTech, qui en sera cette année, en octobre, à sa troisième édition. Nous aimerions qu’elle devienne une vitrine pour les entreprises du Québec. Nous pensons également à des concours d’idées, de manière à amener des universitaires, des petites entreprises à faire la promotion de leurs produits.
Un autre défi consiste à amener les petites entreprises à collaborer avec des plus grandes. Les institutions financières, de manière générale, aiment travailler avec de grands intégrateurs. Alors pour une petite entreprise désirant travailler auprès d’une grande institution financière, il faut présumer qu’elle puisse apporter une certaine dose d’innovation, mais également des partenariats avec des intégrateurs de plus grandes tailles. Il y a beaucoup d’éléments dans le fintech, c’est un véritable écosystème et le défi consiste à le structurer, à le faire grandir, et à en faire la promotion. Pour y parvenir, nous croyons qu’il faut travailler avec d’autres instances, comme TechnoMontréal, qui s’intéressent déjà au fintech.
(FI) : FinFusion MTL, une nouvelle communauté de réseautage et d’information liée au secteur des fintech, a amorcé ses activités la semaine dernière, comment observez-vous ce type d’initiative ?
(MA) : Toute collaboration est bienvenue, il faut toutefois être conscient de l’importance de biens les coordonner. Chez Finance Montréal, nous avons un agenda, nous avons des joueurs, par exemple des institutions financières, qui nous demandent de faire certaines choses. Mais il est certain que nous ne voyons pas ça d’un mauvais œil, au contraire.
(FI) : Finance Montréal est très impliqué auprès des gestionnaires en émergence. Vous avez lancé la semaine dernière le Programme des gestionnaires en émergence du Québec (PEGQ), doté d’un actif de 200 M$ financé par différentes caisses de retraite. Quelle sera la suite ?
(MA) : La problématique était très claire : pour qu’un gestionnaire puisse croître, il lui faut des fonds à gérer. En contrepartie, les institutions financières sont toujours un peu nerveuses de faire affaire avec ces gestionnaires émergents, à tort ou à raison. Le but du projet était donc d’aplanir plusieurs de ces obstacles et nous l’avons fait en aidant les gestionnaires émergents à se structurer, en mandatant un gardien de valeur et un comité de gestion, notamment. Une fois que la qualification des gestionnaires émergents aura été effectuée, la prochaine étape consistera à mettre du capital entre leurs mains afin qu’ils puissent opérer. Dans ce contexte, le risque des institutions qui participent au programme se révélera donc extrêmement faible. De plus, les expériences que nous avons étudiées dans d’autres juridictions démontrent que les rendements sont aussi bons, sinon meilleurs.
Le PEGQ est un projet très structurant pour l’entrepreneuriat financier. Il va permettre de créer de nouveaux gestionnaires et va permettre à ces firmes de se développer et grandir. Le défi sera ensuite d’exporter cette expertise. Nous en avons un bel exemple avec Hexavest. Vital Proulx (président et chef de placements chez Hexavest), qui est le leader du Chantier entrepreneuriat de Finance Montréal, gère des fonds dont plus de la moitié sont en provenance de l’extérieur du Canada.
(FI) : Est-ce que des programmes comme le PEGQ pourraient voir le jour au sein d’autre chantier de Finance Montréal ?
Matthieu Cardinal, directeur des communications de Finance Montréal (MC) : Du côté des dérivés, il y a une volonté de mettre en place un programme visant à former davantage d’opérateurs de marché (traders) pour la Bourse de Montréal. Il y a une volonté qui a été exprimée afin de faire en sorte que ce métier se renouvelle, car il y a beaucoup d’opérateurs de marché qui arrivent en fin de carrière.
(MA) : Le défi du Chantier entrepreneuriat va avoir atteint une certaine limite une fois que le PEGQ sera pleinement opérationnel. Le défi suivant sera de cibler les prochains enjeux. Est-ce qu’il s’agira de l’entrepreneuriat dans le fintech, par exemple ? Ça sera à étudier. Nous aimerions peut-être mettre un place un accélérateur d’entreprises au niveau du fintech, mais tout reste à étudier. Concernant le PEGQ, il faut également rappeler qu’il y a un autre volet à l’étude, soit la création d’un deuxième fonds, cette fois en gestion alternative.
(FI) : Pour la suite des choses, quels sont les éléments qui vous tiennent particulièrement à cœur ?
(MA) : Je ne m’en suis pas caché, il y a un défi de notoriété et j’aimerais y investir des ressources. Il y a beaucoup de bonnes choses à Montréal, de belles initiatives qui sont effectuées, mais nous n’en faisant peut-être pas la promotion autant qu’il le faudrait.
Ensuite, bien que nous ayons un plan stratégique pour cinq ans, il faut s’adapter. Le secteur financier est tellement dynamique, qu’il faut faire une vigie constante des développements en cours et toujours être prêts à saisir les opportunités.
Par ailleurs, il faut souligner tous les efforts de démarchages en cours auprès des institutions financières étrangères. Les changements réglementaires aux États-Unis, avec notamment la réforme Dodd-Frank (volet législatif de la réforme du marché financier engagée par l’administration américaine en 2010) sur l’encadrement des banques étrangères qui dorénavant, selon leur taille, doivent se structurer en holding. Nous constatons que lorsque ces institutions doivent se restructurer, elles ne regardent pas simplement aux États-Unis. Elles évaluent la possibilité de délocaliser des activités à l’extérieur des États-Unis et dans ce contexte, Montréal présente de belles opportunités. Je songe ici notamment à une main d’œuvre de qualité et à des coûts d’implantation faible, notamment en regard des frais de bureaux. Le tout se révèle particulièrement intéressant pour les firmes qui opèrent dans le créneau horaire de New York. CFI Montréal compte sur trois démarcheurs qui ciblent les entreprises, que ce soit en Europe, en Asie ou aux États-Unis. Nous avons environ 65 centres financiers internationaux à Montréal qui viennent principalement d’Europe, par exemple BNP Paribas, qui emploie plus de 300 personnes à Montréal, et State Street. Je ne vous cacherai pas mon intérêt à en attirer encore davantage.