Dans son avant-propos, le budget fédéral publié mardi mentionne le désir de tracer la voie vers la propriété pour les millénariaux et les membres de la génération Z. On mentionne la volonté de créer davantage d’outils non imposables pour les aider à effectuer une première mise de fonds à l’achat d’une résidence.
Effectivement, il y a eu plusieurs outils qui ont été créés dernièrement :
- En 2019, le plafond du régime d’accession à la propriété (RAP) était relevé de 25 000 $ à 35 000 $.
- En 2022, le crédit d’impôt pour l’achat d’une première habitation a été doublé et un nouveau programme appelé le compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété (CELIAPP) a été créé.
Puis, on annonce la semaine dernière, avant même la tenue du huis clos budgétaire, que le plafond du RAP est réaugmenté et passera de 35 000 $ à 60 000 $. J’avais déjà abordé certains problèmes liés au RAP lors de l’augmentation de son plafond en 2019. Le contexte est différent d’il y a cinq ans, mais cette nouvelle augmentation de la limite des retraits du RAP, suscite néanmoins la question suivante : en quoi augmenter le nombre d’incitatifs fiscaux va aider les jeunes adultes de la classe moyenne à accéder à la propriété ?
Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) :
- Il n’existe pas de corrélation directe entre le taux d’accession à la propriété et le niveau actuel de soutien public. Différents facteurs influencent ce résultat[1].
- Si un allègement fiscal ponctuel pour les premiers acheteurs peut fournir un soutien ciblé aux jeunes ménages qui entrent sur le marché immobilier pour la première fois, il peut également faire grimper les prix de l’immobilier.[2]
- Les mesures fiscales peuvent être très régressives dans la mesure où elles profitent davantage aux personnes relativement aisées. (L’OCDE l’illustre son point en faisant référence aux mesures fiscales non soumises à un plafond de revenu imposable.)[3]
- Des données suggèrent que les mesures favorisant l’accession à la propriété peuvent être limitées dans leur efficacité et peuvent contribuer à une augmentation des prix de l’immobilier là où l’offre de logements est limitée.[4]
Nous sommes dans un des pays de l’OCDE où l’offre de logements est effectivement limitée et où les prix des maisons poursuivent leur ascension. Nous sommes en droit de nous questionner à savoir, d’une part, si ces mesures vont réellement favoriser l’accession à la propriété. D’autre part, vu que le RAP et le CELIAPP n’ont pas de plafond de revenu imposable, à qui cela profitera réellement ?
Si, et je dis bien si, on accepte l’idée que le gouvernement doit intervenir en offrant des incitatifs fiscaux aux particuliers pour l’acquisition d’une première propriété, et admettons que cela favoriserait réellement l’accession à la propriété, encore faudrait-il que la mesure soit bien ciblée et qu’elle atteigne l’objectif.
Dans le budget fédéral 2024, on vise les jeunes adultes de la « classe moyenne » afin qu’il soit plus facile pour eux d’amasser une mise de fonds avec la nouvelle mesure du RAP. Le terme « classe moyenne » n’étant pas défini, je vais me rabattre au revenu médian.
Selon Statistique Canada : le groupe des 25-34 aurait un revenu total médian de 47 000 $[5], environ 24 % de ce groupe d’âge cotise à un régime enregistré d’épargne-retraite (REER) et la cotisation médiane est 3000 $/an en 2022[6]. Également, la proportion de déclarants ayant cotisé à un REER a reculé au sein de tous les groupes d’âge. La plus forte baisse a été observée parmi les déclarants âgés de 25 à 34 ans et ceux âgés de 35 à 44 ans. Un jeune adulte de la « classe moyenne » aura-t-il nécessairement 60 000 $ en REER à la fin de la vingtaine, voire au début de sa trentaine, pour maximiser le RAP ? Il pourrait toujours faire un emprunt sur ses droits REER sur 90 jours et se rembourser à lui-même pour les années suivantes (sous réserve qu’il connaisse la stratégie, ou bien qu’on lui en parle et qu’elle soit appropriée pour lui). De même, aura-t-il 60 000 $ en droits REER à ce moment ? Pas nécessairement, surtout s’il a un fonds de pension avec son employeur. Et si on ajoute le CELIAPP avec cela ? Bref, les jeunes adultes seront-ils réellement en mesure de profiter de toutes ces nouvelles mesures ?
Certains pourraient dire avec raison que rien n’oblige d’acheter une propriété début trentaine. Sauf que, selon Statistique Canada, le facteur dominant de l’accès à la propriété jusqu’à l’âge de 34 ans est la présence d’enfant[7]. Et plus il y a d’enfants, plus le besoin en matière de logement est élevé. Le RAP n’en tient pas compte (tout comme le CELIAPP). Le RAP étant principalement basé sur les droits REER, il favorise les ménages plus aisés et donc, de façon générale plus âgés. Dans le budget, je rappelle que l’on fait référence aux jeunes adultes de la « classe moyenne ».
Afin d’augmenter l’équité de l’accession à la propriété chez les jeunes ménages, le RAP, le CELIAPP et la prochaine invention fiscale, s’il y a lieu, devraient prendre en considération un plafond de revenu imposable comme en fait mention l’OCDE et à tout le moins, la présence d’enfants qui est corrélé avec le besoin d’espace, et donc, du besoin en logement plus grand.
Mais encore faut-il qu’il y en ait des logements !
Charles Hunter-Villeneuve, M.Fisc., Pl.Fin., TEP, est Expert-conseil, Centre d’expertise, Banque Nationale Gestion privée 1859
[1] chrome-extension://efaidnbmnnnibpcajpcglclefindmkaj/https://www.oecd.org/els/family/PH2-1-Public-spending-support-to-home-buyers.pdf
[2] https://www.oecd-ilibrary.org/sites/643cfb7f-en/index.html?itemId=/content/component/643cfb7f-en
[3] chrome-extension://efaidnbmnnnibpcajpcglclefindmkaj/https://www.oecd.org/els/family/PH2-2-Tax-relief-for-home-ownership.pdf
[4] https://www.oecd-ilibrary.org/sites/ae4be7e1-en/index.html?itemId=/content/component/ae4be7e1-en
[5] https://www150.statcan.gc.ca/n1/fr/sujets/revenu_pensions_depenses_et_richesse/revenu_des_menages_des_familles_et_des_particuliers
[6] https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/240402/t002b-fra.htm
[7] chrome-extension://efaidnbmnnnibpcajpcglclefindmkaj/https://www150.statcan.gc.ca/n1/fr/pub/11f0019m/11f0019m2010325-fra.pdf?st=iZlCHWkD