La formation des conseillers en matière de fonds ESG (axés sur l’environnement, la société et la gouvernance) laisse à désirer, selon les participants à un panel sur l’investissement responsable, présenté le 8 mai à Montréal par le Conseil des fonds d’investissement du Québec (CFIQ) lors de son colloque annuel.
En raison de ce manque de connaissance, les conseillers rechignent à parler des fonds ESG à leurs clients. Cette situation les empêche de profiter des occasions offertes par le marché de l’investissement responsable, qui s’est beaucoup développé depuis la création du premier fonds d’investissement responsable canadien en 1986.
L’année 2023 a été une année record pour les placements ESG avec le lancement de 78 nouveaux fonds, signale Solène Hanquier, cheffe de l’investissement responsable chez Banque Nationale Investissements (BNI). D’un marché de niche, l’univers des ESG canadiens a évolué au cours des dernières années vers un écosystème qui compte aujourd’hui plus de 300 fonds. Ils comprennent des fonds communs de placement et des fonds négociés en Bourse (FNB).
Résultats décevants
Cependant, malgré la croissance et la diversification de l’univers ESG au Canada, les résultats auprès de sa clientèle restent « décevants », indique Sébastien St-Hilaire, gestionnaire de portefeuille chez Desjardins. « L’augmentation de la demande de ma clientèle (des fonds ESG) est faible », constate-t-il.
Un écart existe en raison du manque de formation des conseillers en matière d’investissement responsable (IR). Leur niveau de littéracie financière sur les placements ESG n’est pas à la hauteur, rapporte Solène Hanquier.
Pas de formation obligatoire
Au Canada, la formation en investissement responsable n’est pas obligatoire pour les conseillers en placement, contrairement à l’Europe, précise Rosalie Vendette, directrice de Quinn & Partners.
Selon un sondage d’Educ Épargne mené en 2022, 65 % des clients rapportent que leur conseiller ou leur planificateur financier n’a jamais abordé avec eux la question de l’investissement responsable.
Les conseillers ont beau avoir accès à des produits ESG, comme ils les connaissent mal, ils n’ont pas le réflexe d’en parler aux clients. Ils ont par ailleurs tendance à orienter les clients vers d’autres types de produits qu’ils maîtrisent mieux.
Cette méconnaissance amène également des conseillers à propager certains préjugés négatifs sur les placements ESG, ce qui engendre une perte de confiance dans ces produits chez les clients.
Marcher avant de courir
Plusieurs institutions financières voient dans cet enjeu des occasions de formation pour les conseillers. L’an dernier, Desjardins a ainsi adopté le programme d’initiation en finance durable offert par Finance Montréal. Environ 5000 conseillers sont concernés. En revanche, dans les firmes de moindre taille, la formation en investissement responsable est souvent laissée à l’initiative des conseillers.
Les institutions financières doivent également s’assurer que les conseillers possèdent toute l’information sur les produits offerts, indique Solène Hanquier « Si les conseillers ne savent pas que leur institution a des fonds ESG, ils ne peuvent pas les proposer aux clients. »
Dans cette équation, les institutions qui forment les conseillers en placements et les planificateurs financiers ont aussi un rôle à jouer, soulèvent les panélistes.
Amorcer la conversation
En attendant, les conseillers utilisent diverses stratégies pour amorcer la conversation sur les placements ESG avec les clients.
« Les conseillers peuvent amener les clients à réfléchir à leur mode de vie et à leurs valeurs, sans se limiter strictement à l’investissement. Investir en Bourse crée une pression sur la planète », illustre Sébastien St-Hilaire, qui possède un diplôme de 2e cycle en gestion de l’innovation sociale.
Le travail d’allocation d’actifs a aussi son importance. Certains portefeuilles ESG concentrés en technologie performent moins bien lorsque ce secteur plonge. Il faut donc veiller à assurer un équilibrage rigoureux des portefeuilles lorsqu’on y introduit des placements ESG.
Parler un même langage
La croissance de l’investissement ESG crée aussi une pression sur les manufacturiers de fonds, qui font face à plusieurs défis à cet égard. L’écoblanchiment (greenwashing), qui consiste pour une entreprise à se montrer plus verte qu’elle ne l’est réellement, et l’écosilence (greenhushing), une pratique par laquelle une entreprise minimise délibérément ses politiques environnementales positives, peuvent miner la confiance des clients dans l’IR.
La terminologie et la caractérisation de l’IR peuvent par ailleurs s’avérer dissuasives. La standardisation des normes de divulgation internationales sur les caractéristiques des fonds ESG rendra l’IR plus accessible, estime Rosalie Vendette. Le travail de l’International Sustainability Standard Boards (ISBB), basé à Montréal, favorisera également la divulgation chez les émetteurs.
Dans ce contexte, la mise en place d’une terminologie commune pour l’IR est déterminante. « Sans langage commun, tout le monde fait de l’ESG, mais personne n’en fait. Cela devient un fourre-tout », estime le gestionnaire de portefeuille de Desjardins.
En 2026, 56% du patrimoine sera géré par les femmes. Elles sont plus sensibles que les hommes à l’investissement responsables, conclut Solène Hanquier, qui y voit un vent d’espoir pour les placements ESG.
Sur le plan mondial, l’Europe est le leader de l’investissement responsable, avec plus de 11 G$ d’entrées dans les fonds ESG en 2023. Les États-Unis, qui font face à une vague de défiance face aux fonds ESG, ont pour leur part enregistré des sorties de 8 G$ l’an dernier.
Source : CFIQ