La finance durable est à la croisée des chemins. Malgré les progrès accomplis au cours des 15 dernières années, le chemin à parcourir est long pour passer au prochain niveau tout en s’assurant de gagner la confiance des investisseurs, selon des experts présents au 4e Sommet de la finance durable, les 14 et 15 mai à Montréal.
Cet événement organisé par Finance Montréal réunit plus de 650 décideurs des secteurs financier, bancaire, environnemental, universitaire, de l’assurance et de l’énergie qui réfléchissent à des actions concrètes pour rendre la finance mondiale plus durable.
Il y a urgence disent les spécialistes. Les défis qui guettent la finance durable sont considérables. Le cadre règlementaire a besoin d’être harmonisé. Le vocabulaire de l’investissement durable doit être unifié. Certains concepts doivent être clarifiés. La confiance des investisseurs en dépend.
Cadre réglementaire
L’International Sustainability Standard Board (ISSB), qui a pignon sur rue à Montréal, travaille à concevoir des normes d’information harmonisées pour permettre à l’industrie de parler un même langage. Son PDG, Emmanuel Faber, parcourt le monde pour promouvoir l’adoption des normes ISSB à l’international. L’organisme a publié ses deux premières normes en juin 2023. Pour l’instant, une vingtaine de pays se sont engagés à les adopter, dont le Canada, l’Australie, le Royaume-Uni, le Japon, le Nigeria et Singapour, mais pas les États-Unis. L’Europe utilise quant à elle un autre système, les normes ESRS de l’EFRAG.
La cohérence et l’harmonie, c’est ce qui manque le plus au cadre réglementaire qui régit la finance durable, selon des acteurs du secteur. « En assurance et en finance, nous avons besoin de solutions simples, d’un cadre harmonisé et d’un seul et même vocabulaire », a martelé Jean-François Chalifoux, PDG de Beneva, dans un panel portant sur l’avenir de la finance durable.
L’adoption d’un cadre réglementaire cohérent en finance durable est une priorité pour l’Autorité des marchés financiers (AMF), qui travaille en collaboration avec les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) afin de définir les obligations liées à la divulgation de l’information, encore parcellaire, sur les normes climatiques. « Nous consacrons beaucoup d’efforts à suivre les risques du secteur financier associés à l’intégrité et à la résilience, aux facteurs ESG, au climat et à l’environnement », signale Yves Ouellet, président de l’AMF.
Le travail ne fait que commencer. Pour l’instant, les risques liés au changement climatique monopolisent l’attention de l’industrie financière, car ils sont plus facilement mesurables. Cependant, la prochaine bataille portera sur la définition de normes s’adressant aux risques liés à la biodiversité, précise Charles-Antoine St-Jean, président du Canadian Sustainability Standards Board (CSSB). La finance verte et bleue, axée sur la protection de la nature, de l’agriculture à la pêche en passant par l’exploitation des forêts, constitue le prochain terrain de jeu de la finance durable, selon Hervé Duteil, responsable développement et finance durables de BNP Paribas Amériques.
Les défis sociétaux devront aussi être dans la mire des investisseurs, notamment en ce qui concerne la conduite des affaires et les droits humains, signale Rosa van den Beemt, directrice générale, responsabilité de gérance de BMO Gestion mondiale d’actifs. « Au Canada, nous ne pourrons pas aller chercher les minerais critiques dont nous avons besoin dans la transition énergétique sans considérer les populations autochtones », illustre-t-elle.
Divulgation et greenwashing
En finance durable, le risque de greenwashing, pratique qui consiste à se donner une apparence verte, est bien réel. Il faut le combattre, car il peut dissuader les investisseurs, dit Stéphanie Émond, vice-présidente impact chez FinDev Canada. « Au niveau de la divulgation d’informations en matière de durabilité, on doit trouver une approche qui permet une certaine flexibilité, mais avec de la rigueur », estime-t-elle. Souvent, les entreprises qui soumettent leur premier rapport de durabilité ne savent pas quelles informations au juste elles doivent divulguer, ajoute-t-elle. « Cela mine la confiance des investisseurs dans l’investissement durable. »
La confiance des investisseurs souffre également d’un manque de crédibilité des crédits compensatoires du marché carbone. Il existe plus de 70 critères pour évaluer les émissions de carbone, mentionne Rachel Walsh, stratégiste en produits environnementaux de BMO Marchés des capitaux. Les critères d’intégrité des fournisseurs ne sont pas toujours clairs. Beaucoup de promesses sont faites, mais elles ne sont pas toujours respectées, ajoute la spécialiste. Les crédits carbones sont considérés par certains comme des permis de polluer, tandis que le système de mesure des émissions de carbone est lui aussi sujet à controverse.
Pourtant, la volonté des consommateurs donne le ton. Lors d’un récent sondage mené par Beneva auprès de ses quelque 5000 employés, 80 % se sont dit inquiets face au changement climatique et 90 % ont déclaré être prêts à s’engager dans des actions avec l’entreprise. Jean-François Chalifoux y voit un gage d’espoir pour l’avenir.