Alors que les experts comme les consommateurs espèrent une baisse du taux directeur, la Banque du Canada (BdC) ne cesse de prolonger l’attente. Lors de ses dernières réunions, la banque centrale a ainsi préféré maintenir son taux à 5,00 %. Est-ce que cela sera encore le cas lors de la prochaine réunion le 5 juin prochain ? La réponse n’est pas si simple…
Pour tenter de comprendre mieux la situation et de trouver une réponse à cette question, Conseiller.ca s’est tourné vers Matthieu Arseneau, économiste en chef adjoint à la Financière Banque Nationale (FBN).
Les arguments pour une baisse de taux
Nombre d’économistes pensent que la prochaine réunion de la BdC sera la bonne. En effet, plusieurs indicateurs semblent confirmer que le moment est venu de procéder à une baisse de taux.
« À nos yeux, le problème d’inflation généralisé au Canada est réglé depuis quelques mois », résume Matthieu Arseneau.
En effet, depuis le début de l’année, les mesures d’inflation de base, soit celles qui excluent les composantes les plus volatiles, « roulent en dessous de la cible de la Banque du Canada », rapporte l’économiste.
« Même quand on regarde l’inflation totale, on est à 2,7 %. Et si on exclut la composante coût d’intérêt hypothécaire — dont la hausse est attribuable aux banques centrales — on est en dessous du 2 % », souligne-t-il.
La FBN a d’ailleurs suggéré dans une note récente d’imiter la Suède et d’exclure les coûts d’intérêt hypothécaires du calcul de l’inflation, car ceux-ci dépendent justement des taux directeurs de la banque centrale.
Matthieu Arseneau comprend que la BdC craint que la baisse de l’inflation ne soit que temporaire comme aux États-Unis, mais, selon lui, ce n’est pas le cas. Contrairement à nos voisins du Sud qui ont vu une baisse de leurs inflations en raison des prix importés, au Canada, il est d’avis que cette baisse est tout à fait « cohérente avec la situation économique ».
On peut ainsi se fier au produit intérieur brut (PIB) par habitant qui est en baisse depuis désormais sept trimestres, dit l’expert. Selon la FBN, cet indicateur serait celui à privilégier en ce moment pour analyser la situation, car il permet d’avoir une idée de la performance de l’économie en tenant en compte de l’augmentation de la population. « Et, à la lumière de cet indicateur-là, clairement, l’économie se refroidit », continue l’expert.
Le marché du travail tourne lui aussi au ralenti. « Clairement, le marché du travail n’est pas capable d’absorber au même rythme qu’auparavant l’augmentation de population qu’on connaît. Le taux de chômage est en hausse de 1,3 % », relève Matthieu Arseneau.
Quant au rebond de l’augmentation de l’emploi privé, l’économiste l’attribue à l’augmentation de la population observée en avril, et ne croit donc pas qu’il s’agisse du début d’une nouvelle tendance.
« On est revenu à des niveaux faibles sur une base historique. Désormais, la moitié des entreprises s’inquiètent plutôt de leurs ventes et de la demande de leurs clients. À nos yeux, c’est un signe qu’une pluie d’embauches ne va pas survenir au cours des prochains mois », déclare Matthieu Arseneau.
Son analyse est d’ailleurs validée par la croissance des salaires qui s’est également modérée.
Qu’est-ce que la BdC attend ?
Matthieu Arseneau comprend que la BdC joue de prudence et veut s’assurer que l’inflation est stabilisée. Il constate toutefois que celle-ci attend davantage de confirmations de la part de la Réserve fédérale américaine (Fed), qui, de son côté, semble avoir un biais accommodant.
« C’est assez étonnant compte tenu des divergences de situation de l’économie », commente l’expert qui juge que les conditions en avril étaient déjà en place au Canada pour des baisses de taux d’intérêt.
Il souligne notamment que la politique monétaire agit sur l’économie avec un délai parfois assez long.
« Il va falloir être prudent parce qu’avec le niveau actuel des taux d’intérêt, le choc de paiement sur les ménages qui ont une dette hypothécaire continue, prévient-il. Chaque trimestre, de nouvelles cohortes se font frapper par les hausses de taux d’intérêt, en raison des renouvellements hypothécaires. Il y a un risque qu’ils aient maintenu la politique monétaire trop restrictive trop longtemps et que cela inflige trop de dommages à l’économie. »
Il comprend que la banque centrale veuille être prudente, mais il estime qu’à cause de cela, le risque d’une récession ou de difficultés économiques a augmenté.
Il fait d’ailleurs valoir que lors des dernières délibérations de la BdC, certains membres semblaient davantage prêts à agir que d’autres.
« L’ampleur des confirmations nécessaires pour procéder à des baisses de taux semblait être variable d’un membre à l’autre », commente-t-il.
Les arguments contre une baisse
Évidemment, certains éléments peuvent expliquer les réticences de la banque centrale.
Le premier étant que des responsables de la Fed disent être prêts à relever les taux et que l’écart entre les taux de la BdC et ceux de la Fed ne peut pas être trop important, car cela entraînerait une dépréciation significative de la devise canadienne par rapport à la devise américaine.
Toutefois, l’écart peut tout de même être significatif, met de l’avant Matthieu Arseneau en relevant qu’en 2006, cet écart était de 100 points de base. Sans compter qu’il reste encore de la marge avant d’arriver à un tel écart et que la situation entre les économies canadienne et américaine est très différente.
Ainsi, certes leur marché du travail se calme un peu, mais leur taux de chômage n’a pas monté de façon aussi importante qu’au Canada, et les pressions salariales demeurent élevées. L’autre grande différence tenant à la structure du marché hypothécaire.
« Aux États-Unis, 90 % des prêts hypothécaires sont assortis de termes de 30 ans. Il n’y a donc pas la même transmission de politique monétaire aux États-Unis qu’au Canada », signale Matthieu Arseneau.
« À nos yeux, la Banque du Canada va baisser les taux avant la Réserve fédérale », conclut l’expert.
Il mentionne toutefois un deuxième point qui pourrait laisser croire qu’il faudra attendre encore un peu avant d’observer une baisse de taux. Ainsi, lors de sa dernière annonce, la BdC n’a pas annoncé qu’elle allait procéder à une baisse lors de sa prochaine réunion.
« En janvier 2022, alors qu’il y avait toutes les bonnes raisons de monter les taux d’intérêt, comme la BdC n’avait pas préparé les investisseurs et les acteurs économiques à ce scénario, elle a préféré se limiter à envoyer le message de hausses de taux d’intérêt à venir et [a attendu sa prochaine réunion] pour lancer la machine avec des hausses de taux d’intérêt importantes », rappelle Matthieu Arseneau.
En conclusion, si le moment semble venu de procéder à une baisse de taux, ce n’est pas forcément dit que la BdC va procéder en ce sens. D’ailleurs, sur le marché, la baisse est anticipée à 64 % seulement.
De son côté Matthieu Arseneau pense que la BdC maintiendra encore ses taux ce mois-ci pour se contenter d’annoncer une baisse qui ne sera effective qu’au mois de juillet. Il tempère toutefois son avis en précisant que si la BdC décidait finalement de procéder à une baisse en juin, il ne serait pas vraiment surpris. Les prochaines dates d’annonce du taux directeur sont prévues le 5 juin et le 24 juillet 2024.