Alors que la plupart se demandent encore ce qui s’est passé ce jour-là, Craig Basinger, stratège en chef des marchés chez Purpose Investments, s’est penché sur la question.
Selon lui, la volatilité qui a entraîné la chute des marchés d’actions lundi dernier ressemble à un dénouement très rapide de carry trade, appelé en français une opération spéculative sur écart de rendement, une stratégie très populaire.
Qu’est-ce qu’un carry trade ?
Un carry trade, explique-t-il, consiste à emprunter dans un pays où les taux d’intérêt sont bas pour l’investir dans un pays offrant des rendements plus élevés.
Ainsi, un investisseur pourrait vendre à découvert une obligation japonaise, convertir ses yens en dollars américains, puis utiliser ces dollars pour acheter des obligations du Trésor américain ou des actions américaines.
Cette stratégie peut contribuer à affaiblir la valeur du yen tout en renforçant celle du dollar américain et des actifs financiers américains offrant des rendements plus élevés, comme l’explique Craig Basinger.
Lorsque les taux d’intérêt ont augmenté dans la plupart des juridictions à partir de 2022, y compris aux États-Unis, et que les taux d’intérêt sont restés bas au Japon, la stratégie du carry trade était lancée ! Les investisseurs ont alors emprunté au Japon à des taux très bas pour investir aux États-Unis, que ce soit dans des bons du Trésor ou sur le marché boursier américain.
Lorsque le carry trade est défait, le processus inverse se produit : l’investisseur vend les titres américains à rendement élevé, convertit les dollars en yens, et rachète les obligations japonaises précédemment vendues à découvert. Cette série de transactions entraîne une appréciation du yen, une dépréciation du dollar, et une baisse des titres générateurs de rendements élevés.
Que s’est-il passé ?
Ces transactions seraient l’une des causes de la chute des marchés lundi. L’auteur de la note estime que certains indices laissent croire qu’un grand nombre d’investisseurs ont probablement voulu inverser un carry trade au même moment.
Un carry trade est en fait prendre une position vendeur sur le yen. Le yen est resté relativement stable, à 110 yens pour un dollar, pendant des années, jusqu’à ce que la Réserve fédérale (Fed) commence à relever ses taux, tandis que la Banque du Japon maintenait les siens autour de zéro.
Le yen a ensuite continué de se déprécier, passant de 110 yens pour un dollar en mars 2022 à 160 yens pour un dollar en juillet dernier.
Craig Basinger considère cela comme une dévaluation significative d’une monnaie majeure sur une période relativement courte.
Pour ceux qui ont utilisé le carry trade, cette situation a augmenté la rentabilité. En empruntant en yens, dont la valeur était en baisse, les investisseurs pouvaient réaliser des gains plus importants sur le différentiel de rendement et sur la devise elle-même, rendant la stratégie encore plus lucrative.
Maintenant, il semble qu’il y ait eu une bousculade vers la sortie, observe-t-il.
Au cours des deux dernières semaines, le yen est passé de 162 à 144 yens pour un dollar, les plus fortes hausses quotidiennes ayant été enregistrées lors des dernières séances.
Personne ne semble avoir une idée de ce qui a déclenché cette appréciation apparente, si ce n’est peut-être la faiblesse des données économiques américaines qui a augmenté les attentes de réduction des taux de la part de la Fed. Ainsi, la rentabilité du carry trade commencerait à diminuer.
Pourquoi s’agit-il d’un dénouement rapide des positions de carry trade ?
Pour Craig Basinger, trois indices laissent croire qu’il s’agit d’un dénouement rapide de carry trade :
- Le yen s’est beaucoup apprécié, très rapidement, sans véritable raison économique.
- Le dollar américain était en baisse le lundi 5 août. On pourrait penser qu’au cours d’une telle journée d’aversion au risque, le dollar américain, souvent considéré comme une monnaie refuge, aurait augmenté. Ce n’est pas le cas, car les gens vendaient des dollars américains pour couvrir leurs positions vendeurs sur le yen.
- La semaine dernière, avec des données économiques plus faibles, les rendements obligataires américains ont continué de baisser. Lors d’une grosse journée d’aversion au risque comme le 5 août, on pourrait penser que les rendements vont baisser… ce qui n’est pas le cas. En fait, les rendements les plus courts ont augmenté. Le dénouement des positions longues de leur carry trade ont amené les gens à vendre des bons du Trésor.
Si d’autres éléments peuvent aussi entrer en ligne de compte, la question la plus importante, selon le stratège en chef des marchés chez Purpose Investments, n’est pas vraiment de savoir pourquoi cela s’est produit, mais bien de savoir ce qui se passera ensuite.
À quoi s’attendre ?
Les grands mouvements de marché comme celui-ci exposent souvent ceux qui ont trop d’effet de levier. Et il est difficile de déterminer quelle a été l’ampleur du carry trade. Certains estiment qu’il est à moitié dénoué, mais c’est vraiment difficile à dire, pense Craig Basinger.
La bonne nouvelle, d’après lui, c’est qu’à moins que ce « carrymageddon » ne se propage pour causer d’autres dommages ou saigne l’économie réelle, cela pourrait s’avérer être une occasion d’achat.
Si tout le monde est devenu plus conscient que la croissance économique du début de 2024 a ralenti, il semble trop tôt pour s’inquiéter au sujet d’une éventuelle récession.
« Nos indicateurs de cycle de marché ont légèrement baissé, mais ils restent corrects », écrit-il.
Si l’économie continue de croître, même à un rythme plus lent, une correction peut représenter une opportunité intéressante. Cependant, il est crucial de choisir le bon moment pour en profiter, et les données disponibles à cet égard sont plutôt partagées.
Deux indicateurs fiables ont signalé des opportunités d’achat lundi : le pic de l’indice de volatilité VIX et le fait que l’indice de force relative (RSI) du S&P 500 ait franchi la barre des 30.
Au cours des 30 dernières années, observe-t-il, cette combinaison a constitué un signal très fiable, la plus grande exception étant en 2008.
Donc, à moins de penser que le système financier est au bord de l’effondrement, ce signal de lundi semble encourageant, fait valoir l’analyste.
La voie de la prudence
Pour le stratège en chef des marchés chez Purpose Investments, la diversification et les portefeuilles bien construits demeurent la voie à suivre, la prudence s’imposant.
Selon lui, la volatilité des marchés au second semestre de 2024 s’avérera beaucoup plus difficile qu’au premier semestre.