Homme dans le procès noir affichant un document légal utilisant soigneusement la loupe.
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L’Autorité des marchés financiers (AMF) s’inquiète des effets sur la protection du public du roulement de personnel qui touche actuellement l’équipe d’enquêteurs de la Chambre de la sécurité financière (CSF).

« Les éléments soulevés dans l’article [de La Presse du 19 septembre] concernent principalement des enjeux de ressources humaines qui toucheraient la CSF et qui pourraient ultimement affecter la protection du public. Nous prenons très au sérieux la situation », indique Sylvie Théberge, directeur des relations médias à l’AMF, dans un courriel en réponse à nos questions.

La direction de la CSF estime de son côté que la situation ne nuit pas à la protection du public. « Nous avons les choses en main », affirme Daniel Richard, vice-président, relations avec les communautés, à la CSF, également par courriel.

Ce dernier confirme la surcharge de travail actuelle de l’équipe du bureau du syndic et le départ de quatre enquêteurs entre la mi-juillet et la fin du mois d’août. « Ces départs étant survenus en même temps qu’une hausse des demandes d’enquête, la charge sur les autres membres de l’équipe s’est effectivement alourdie », précise-t-il.

Selon lui, la situation est temporaire,  car des mesures sont déjà place depuis quelques mois pour pallier la situation. « Nous nous attendons à ce que tout soit résorbé bientôt. Avec 15 personnes en poste aujourd’hui [sur 19], nous avons les choses en main », assure Daniel Richard.

Dans l’article paru le 19 septembre, le journaliste Hugo Joncas de La Presse rapporte des discussions qu’il a eu avec différents employés et ex-employés de l’organisme d’autoréglementation et affirme que la CSF connaîtrait « de graves problèmes de relations de travail liés notamment aux fortes tensions entre enquêteurs et syndiques adjointes ».

Ces ennuis engendrent une charge de travail accrue pour les enquêteurs qui sont toujours en poste et risqueraient d’accroître les délais de traitement des enquêtes.

L’AMF affirme qu’elle « prend action pour maintenir la confiance du public dans le processus d’enquête et de discipline à l’égard des membres de la CSF. Dans le cadre des pouvoirs d’inspection que la loi lui octroie à l’égard de la CSF, l’Autorité vérifie dans quelle mesure elle se conforme aux lois qui lui sont applicables et de quelle manière elle exerce ses fonctions et pouvoirs ».

En clair, l’AMF exige l’élaboration de plans d’actions de la part de la CSF et en assure un suivi rigoureux lors de leur mise en œuvre. « C’est ce que l’Autorité a fait dans le cadre d’inspections précédentes et c’est ce qu’elle continue de faire. La protection du public est toujours au cœur de nos interventions », écrit Sylvie Théberge.

Dans son dernier rapport d’inspection de la CSF portant sur la période de 2018 à 2021, l’AMF avait constaté des problèmes d’effectifs au bureau du syndic en 2018 et en 2021, soit un roulement significatif dans l’équipe responsable des enquêtes.

« Des travaux de suivis et d’inspection supplémentaires ont été effectués, lesquels nous ont menés à des constats négatifs relativement aux délais de traitement des dossiers d’enquête. Nous avons alors amené la CSF à prendre des actions concrètes pour diminuer les délais de traitement et se munir de meilleurs outils pour suivre ces délais et être plus efficace. Une réduction des délais avait été démontrée par la CSF en 2023 », lit-on dans le courriel de Sylvain Théberge.

En avril 2022, à la suite d’un reportage de Droit-inc, qui faisait état d’un présumé climat de travail tendu — allégation qui avait été réfuté par la haute direction de la CSF — l’AMF avait également pris action, ajoute Sylvain Théberge.

« Nous avons aussi effectué des travaux spécifiques dans le cas des allégations relatives au climat de travail qui ont mené à l’imposition d’un plan d’action à la CSF », note-t-il. L’AMF mène en ce moment une inspection des activités de la CSF, comme elle le fait au moins tous les 3 ans tel que prévu au Plan de supervision de la CSF. Cette inspection suit son cours.

Selon le rapport annuel de la CSF, au 31 décembre 2023, il y avait 36 dossiers d’enquête en cours depuis plus de 12 mois (12 %). Au 31 décembre 2022, il y en avait 18  (9 %), alors que ce nombre s’élevait à 125 (31 %) en 2018.

Au chapitre des délais de traitement des dossiers d’enquête, la partie concernant spécifiquement le processus d’enquête, qui prenait en moyenne tout près de 20 mois au 31 décembre 2018, a été ramenée à un peu moins de huit mois au 31 décembre 2022. Le délai moyen de traitement des dossiers d’enquête était d’environ neuf mois au 31 décembre 2023. Le délai cible prévu au Manuel des procédures de la CSF est de 180 jours, soit six mois.

« Employés mobilisés »

Selon Daniel Richard, la CSF a constaté une hausse des dossiers d’enquête entrants depuis le mois d’avril. À ce moment, la CSF a sollicité le concours de procureurs externes en droit disciplinaire « afin d’apporter le soutien dans les dossiers et dégager les syndics adjoints pour qu’ils puissent travailler plus étroitement avec les enquêteurs », note-t-il.

Au courant de l’été, la CSF a aussi ajouté une personne en soutien administratif pour appuyer les enquêteurs « afin de les soutenir dans certaines tâches administratives qui représentent environ 35 % de leur travail ».

À la suite du départ de quatre enquêteurs cet été, la CSF est en recrutement actif avec une firme spécialisée. « Nous espérons embaucher rapidement. Le travail avance bien », selon leur courriel.

« Nous avons aussi accueilli, en septembre, une personne temporaire aux enquêtes, elle possède d’ailleurs une riche expérience de plus de vingt années au bureau du syndic de la Chambre. Elle contribuera comme enquêteur et demeurera avec nous le temps de finaliser les embauches permanentes », précise Daniel Richard.

En outre, la CSF compte sur la présence d’une stagiaire en droit, en soutien à l’ensemble de l’équipe.

Par ailleurs, Me Julie Dagenais, qui travaille à la CSF depuis plus de 18 ans, assurera le rôle de syndic par intérim. « Nous vous informons que nous avons comblé les deux postes de syndic adjoint qui étaient vacants », indique Daniel Richard.

« Nos actions entreprises à ce jour ont été bien reçues par l’équipe du bureau du syndic, et nous tenons aussi à mentionner que les informations recueillies par une firme indépendante, tant l’an dernier qu’il y a quelques mois, nous indiquent que les employés se disent fortement mobilisés à l’organisation et à sa mission et que la collaboration et l’entraide entre les collègues sont au rendez-vous », précise le courriel.

Daniel Richard n’a pas réagi aux allégations de « fortes tensions entre enquêteurs et syndiques adjointes » mentionnées par La Presse.

À titre de comparaison, les enquêteurs de la CSF agissent un peu comme les policiers, dans le système judiciaire, tandis que les syndiques ressemblent davantage à des procureurs de la Couronne, selon une source de l’industrie financière. Le travail des deux parties est interdépendant et influence l’efficacité du processus disciplinaire de la CSF. D’après cette source, former et retenir un enquêteur est une tâche ardue pour n’importe quelle organisation et la CSF n’échappe pas à cette réalité.