« Oui la question des tarifs c’est inquiétant, mais j’estime à moins de 50 % les probabilités qu’on se rende au pire scénario, car Trump veut avant tout une victoire et des concessions, mais sur une échelle de 0 à 10, le pire scénario me rend très inquiet, disons 10 sur 10 », réagissait Sébastien Mc Mahon, économiste à iA Gestion mondial d’actifs, pendant la période de questions de l’événement annuel Perspectives 2025, organisé par CFA Montréal le 23 janvier.
Sa collègue Frances Donald, économiste en chef à RBC Banque Royale, s’est aussi dite préoccupée par la possibilité que l’administration américaine puisse imposer jusqu’à 25 % de tarifs sur les importations canadiennes. « Ça reste le pire scénario sur la table combinée avec des mesures de ripostes, si cela survient on pourrait envisager une récession de trois ans au pays. »
L’épée de Damoclès qu’a le Canada au-dessus de la tête rend les prévisions économiques pour l’année à venir d’autant plus difficiles à établir. « La séquence que choisira la nouvelle administration américaine pour mettre en place ses diverses politiques peut grandement changer la donne. Les tarifs ont le potentiel de créer un gros choc sur la croissance économique, sur l’inflation, etc. » Dans ce contexte elle a une faible conviction que ses prévisions économiques pour les États-Unis demeurent telles quelles jusqu’à la fin de l’année. « Nos prévisions n’intègrent pas la majorité des politiques potentielles, dont nous ne connaissons pas le détail, car la carte cachée ça reste le président Trump ! »
L’experte anticipe une croissance raisonnable du PIB américain de 1,9 % (consensus 2 %), « pas de récession, mais pas de croissance énorme », une légère hausse du taux de chômage à 4,4 %, ainsi qu’une baisse de l’inflation à 2,3 %, inflation qui continue de chuter. « On n’est pas en dessous de l’objectif de 2 %, et loin des taux de 2010-2019, et étant donné que les Américains ont connu une hausse des prix de plus de 25 % depuis la pandémie, pour la majorité des consommateurs cet enjeu n’est pas réglé. »
Elle voit mal comment dans ce contexte la Réserve fédérale pourrait abaisser les taux davantage. « Il leur manque les données pour agir, et pour nous — et même si cela ne fait pas consensus —, on estime qu’ils ne seront pas en mesure de justifier d’autres baisses des taux d’intérêt, ils ont fini de le faire pour cette année. »
Pour l’économiste en chef à RBC, l’autre enjeu qui touche l’exercice des prévisions en 2025 est que les principales données n’illustrent pas certains des thèmes fondamentaux de l’économie américaine. Elle mentionne, par exemple, les inégalités entre les ménages qui se creusent depuis quelques années. « Cela signifie que même si les prévisions de croissance sont de 2 %, des segments importants de la population, en particulier les ménages à faible et moyen revenu et les petites entreprises, se retrouvent en deçà alors que les ménages à revenu élevé et plus sont bien au-dessus de ce 2 %. »
Frances Donald évoque une autre disparité, celle qui existe entre les secteurs d’activités, notamment le secteur des services et celui du manufacturier, qui est en contraction depuis plus de deux ans. Les prévisions de croissance masquent aussi, selon l’économiste en chef, « le monstre budgétaire procyclique ». « Nous nous rapprochons actuellement du plus gros montant total des dépenses publiques par rapport au PIB et de la plus forte augmentation des dépenses jamais vue aux États-Unis, c’est à la fois excessif et historique. »
Elle est d’avis que les prévisions des dépenses sous la nouvelle administration pourraient creuser davantage le déficit fédéral du Trésor américain, malgré des initiatives comme DOGE (Department of Government Efficiency), un projet d’Elon Musk dont l’objectif principal est de réduire les dépenses publiques et d’améliorer l’efficacité du gouvernement fédéral avec l’aide des technologies. « Un projet idéaliste. »
Un dernier enjeu qui se cache sous les principales données est celui de la main-d’œuvre, ce qui fait dire à l’économiste que son principal message à Washington serait que l’Amérique n’a pas besoin de nouveaux emplois, mais qu’elle a besoin de travailleurs. Le taux de mise à pied est très bas (1,1 %) et le taux d’embauche est en baisse (3,3 %) depuis 2020. « 40 % des Américains ne travaillent pas. Il y a trois retraités pour chaque nouveau chômeur. Étonnement, le taux de participation au marché du travail pour les individus âgés de 25 à 54 ans se rapproche déjà des sommets historiques. » Ce qui l’amène à dire que la politique d’immigration de l’administration Trump pourrait s’avérer beaucoup plus inflationniste que ses politiques tarifaires. « Comment son projet de déportation d’immigrants peut-il améliorer l’enjeu de la main-d’œuvre ? »
Réaccélération de l’économie mondiale
Dans son tour d’horizon, et sans spéculer sur comment la politique commerciale de l’administration Trump dictera les performances, Sébastien McMahon, économiste senior et gestionnaire de portefeuilles à iA Gestion mondiale d’actifs, a expliqué à l’auditoire que leurs indicateurs pointaient vers une réaccélération de l’économie mondiale. « Ce que l’on sait c’est qu’il y’a un vent de dos actuellement qui vient des coupures synchronisées des taux d’intérêt des banques centrales qui devrait aider en 2025. »
Par rapport à l’an dernier, l’économiste anticipe néanmoins une baisse de croissance du PIB américain de -0,6 % pour un consensus de 2,1 % (2,7 % en 2024), une hausse de 0,6 % du PIB canadien, une hausse de 0,2 % de la zone euro et une baisse de la croissance du PIB de la Chine de -0,3 %. « Pour la Chine, la solution à la récession de bilan passe par l’immobilier : le prix des maisons recule à un rythme historique. »
Quant à l’Europe, l’expert croit qu’elle est confrontée à la fois à des vents de dos et de face. « Ça reste un gros point d’interrogation, est-ce un secteur à privilégier ou est-ce un Value Trap qui est bien évalué par le marché présentement ? » Le cycle de crédit en zone euro est en train de tourner, et c’est un élément positif pour les prêts aux entreprises et ceux aux ménages. Cependant l’Europe, plus particulièrement l’Allemagne, est aux prises avec des problèmes de productivité (« Le Canada fait encore moins bonne figure à ce chapitre », précise l’expert). « Donc l’Allemagne est en position de vulnérabilité, spécialement avec les tarifs à venir dans l’industrie automobile. »
À l’égard des taux d’intérêt, le stratège en chef révèle que les marchés anticipent un taux directeur de 4,10 % pour la Réserve fédérale américaine en juin prochain, et un taux terminal de 3,95 %. « Ont-ils trop révisé leurs attentes envers la Fed ? » Au Canada, et en Europe, les taux anticipés pour juin sont respectivement de 2,80 % et 2,10 %, avec des taux terminaux anticipés de 2,70 % et 1,95 %.
Sur le plan des actions, l’économiste suggère que les actions mondiales sont en recherche d’orientation après une bonne cuvée en 2024. « Les attentes de bénéfices aux États-Unis sont encore très élevées, est-ce que le moment est venu pour une rotation sectorielle (vers l’énergie, les financières et la santé qui sont des secteurs intéressants) et une rotation géographique ? C’est possible. » Il juge dans l’ensemble les valorisations des actions américaines élevées, peut-être tirées vers le haut par les attentes en matière d’intelligence artificielle, même s’il est d’avis qu’il n’y a actuellement pas de bulle dans ce secteur en particulier. « Le ratio cours-bénéfice ajusté en fonction du cycle (APE) est l’un des plus élevés de l’histoire, après la bulle dot-com et le niveau de 2021. »
Sébastien McMahon voit dans le marché des actions hors É-U, dont celui au Canada et au Japon, des multiples plus attrayants. De façon générale, il croit que le « momentum » des actions et des taux devrait être soutenu en 2025.