Un homme à un bureau au-dessus de pleins de graphiques boursiers. Il tape sur une calculatrice.
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À l’approche de la saison des déclarations d’impôts, le temps passe pour deux contestations juridiques des modifications proposées à l’impôt sur les gains en capital.

La semaine dernière, deux demandes de contrôle judiciaire ont été déposées à la Cour fédérale, contestant la légalité de la gestion des modifications fiscales proposées par l’Agence du revenu du Canada (ARC).

« Nous avons écrit à la Cour fédérale pour demander une audience accélérée et, avec un peu de chance, nous recevrons une réponse d’ici peu », rapporte Devin Drover, directeur de l’Atlantique et avocat général de la Fondation canadienne des contribuables, qui est co-avocat de l’un des requérants.

« Il appartiendra à la Cour de trier [les demandes] et de déterminer la rapidité avec laquelle elle pourra les entendre », affirme Gergely Hegedus, associé au sein du groupe fiscal de Dentons à Edmonton, soulignant que la procédure prend généralement des mois.

« La Cour fédérale a la possibilité de proposer une audience accélérée, commente Kevyn Nightingale, responsable de la planification fiscale transfrontalière chez Levy Salis à Toronto. Cela serait justifié dans ces circonstances, car il s’agit avant tout d’une question de temps. »

Les deux demandes citent l’article 53 de la Constitution (entre autres règles et dispositions) qui affirme que les projets de loi portant sur l’affectation d’une partie des recettes publiques ou sur l’imposition d’un impôt ou d’une taxe doivent émaner de la Chambre des communes.

Aucune autorité n’a été accordée à l’ARC par le biais d’amendements à la Loi de l’impôt sur le revenu, rappelle Devin Drover. « C’est ce qui différencie cette procédure de la procédure normale de mise en œuvre des changements basée sur des motions de voies et moyens. »

Après la décision du Premier ministre de démissionner et de proroger le Parlement jusqu’au 24 mars, le ministère des Finances a confirmé que l’ARC administrerait les modifications de l’impôt sur les gains en capital, telles qu’indiquées dans un avis de motion de voies et moyens déposé à la Chambre des communes en septembre. Bien que l’ARC soit généralement responsable de l’administration des propositions législatives, ces modifications ont peu de chances d’être adoptées dans un contexte marqué par un soutien affaibli et des élections imminentes.

« Nous sommes dans une situation sans précédent, soutient Kevyn Nightingale. Il s’agit d’une situation très étrange car, contrairement à la plupart de ces annonces [c’est-à-dire les propositions de législation fiscale], nous ne pouvons pas tenir pour acquis que [la proposition sur les gains en capital] aura finalement force de loi. […] Personne ne sait exactement quoi faire ».

Bhuvana Rai, avocat chez Mors & Tribute Tax Law à Toronto, a qualifié les demandes de contrôle judiciaire de « nécessaires » compte tenu de l’incertitude. « C’est une bonne chose qu’il y en ait deux », ajoute-t-elle.

L’un des demandeurs, Pelco Holdings, est représenté par Thorsteinssons à Vancouver. Selon la demande de Pelco, la décision de l’ARC d’administrer les modifications fiscales place les contribuables dans une position illégale, les obligeant à certifier l’exactitude de leurs déclarations alors qu’elles ne le sont pas. « Suivre les instructions de l’ARC, qui vont à l’encontre de la loi telle qu’elle est rédigée, pourrait exposer les contribuables à des accusations de négligence grave, voire à des poursuites pénales », indique la demande.

Interrogé sur la possibilité d’une telle issue pour les contribuables, Bhuvana Rai a répondu : « Chaque fois que vous introduisez une demande juridique, vous devez vous assurer que vous ne mettez en évidence que les problèmes particuliers qui s’appliquent à votre cas ».

Néanmoins, « je dirais que cette question [la certification d’une déclaration par le contribuable] n’est que la partie émergée d’un iceberg. Les problèmes sont encore plus vastes », continue l’expert. Par exemple, « il n’y a pas d’autorité pour un mécanisme de remboursement » si les taxes sont payées en trop. « C’est important ».

Bien que les contribuables puissent volontairement déposer leur déclaration sur la base des changements proposés et la modifier ultérieurement, « la modification pose ses propres problèmes », déclare Gergely Hegedus. Les contribuables auraient à supporter des coûts comptables et administratifs, ainsi que des coûts de temps pour produire des déclarations modifiées. En outre, les risques d’un contrôle, qui peut être « coûteux et stressant », pourraient augmenter, précise-t-il.

Aucun des demandeurs n’a été contraint de payer un impôt supplémentaire sur les gains en capital, d’après les demandes.

L’ARC « peut fournir des formulaires fiscaux qui reflètent son idée de ce que la législation devrait contenir et vous encourager à déposer sur cette base », suggère Kevyn Nightingale. « Mais elle ne peut pas vous obliger à le faire », ce qui laisse la possibilité aux tribunaux de ne pas statuer comme le souhaitent les requérants.

Selon Devin Drover, le fait que le contribuable qu’il représente n’ait pas eu à payer d’impôts supplémentaires ne remet pas en cause la demande de contrôle judiciaire. L’ARC « joue sur les deux tableaux », a-t-il expliqué. Un contribuable peut soumettre une déclaration en appliquant le taux d’inclusion des gains en capital de 50 %, mais cela pourrait entraîner des pénalités et des intérêts.

Dans l’état actuel des choses, « le ministre du Revenu national a la possibilité de renoncer aux pénalités et aux intérêts, mais il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire », explique Gergely Hegedus. « Ce n’est pas un pouvoir donné. […] L’ARC ne va pas l’accorder automatiquement, les contribuables devront donc peut-être en faire la demande. »

Bhuvana Rai met en lumière l’incertitude générale qui entoure les déclarations de revenus. « Normalement, le gouvernement demande des commentaires et modifie ensuite la législation proposée avant de la mettre en œuvre, affirme Bhuvana Rai. Dans le cas présent, rien n’a été promulgué, et on ne sait donc même pas quelle aurait été la nouvelle législation proposée. »

« L’incertitude est l’une des pires choses en matière de fiscalité, confie Kevyn Nightingale. Elle fait fuir les capitaux. […] Les effets économiques sont très néfastes. »

En ce qui concerne la mise en œuvre provisoire de la législation fiscale proposée, Gergely Hegedus estime que « cette pratique est logique » car elle permet au gouvernement de prévoir les recettes et offre une certaine certitude.

Le Parlement pourrait éventuellement adopter un projet de loi relatif à la mise en œuvre provisoire, propose-t-il. « Cela donnerait des certitudes à tout le monde, y compris au gouvernement et aux contribuables », précise Gergely Hegedus.

Le comité conjoint sur la fiscalité de l’Association du Barreau canadien et de CPA Canada a recommandé que le ministère des Finances présente un projet de loi qui régirait l’administration de la législation proposée.

Le comité a également recommandé que les propositions relatives aux gains en capital, si elles sont adoptées, ne s’appliquent qu’aux gains en capital réalisées après qu’un projet de loi pertinent a été présenté au Parlement. Par ailleurs, pour les contribuables qui appliquent le taux d’inclusion de 50 %, l’ARC devrait renoncer aux intérêts moratoires et confirmer que les pénalités ne seront pas applicables avant la date de dépôt du projet de loi.

Un leadership défaillant, une confiance perdue

L’ARC se trouve dans une position difficile, affurne Kevyn Nightingale, « parce qu’il y a un avis de motion de voies et moyens qui n’a pas été rétracté par le gouvernement ». Pour donner des certitudes aux contribuables, le gouvernement doit retirer la motion.

« L’absence de législation pendant une période de plusieurs mois après la présentation de l’avis de motion de voies et moyens est une grave négligence », ajoute-t-il.

« Il s’agit d’un problème de leadership », renchérit Devin Drover. Les nouveaux ministres des finances et du revenu national, ainsi que le premier ministre, pouvaient ordonner à l’ARC d’attendre d’appliquer les modifications relatives aux plus-values si ou jusqu’à ce que le Parlement adopte la proposition. « Ils ne l’ont pas fait », rappelle Devin Drover.

Au cours de sa longue carrière, Kevyn Nightingale remarque que le gouvernement légifère de plus en plus souvent en matière fiscale « par voie d’annonce ». Selon lui, la proposition sur les gains en capital en est « un exemple flagrant », et cela ne constitue pas un cas isolé. « Les gouvernements réagissent plutôt que de réfléchir soigneusement à ce qui est efficace », souligne-t-il, surtout depuis l’essor des médias sociaux.

« L’une des choses que j’apprécie vraiment au Canada, c’est que la plupart [des contribuables] ne trichent pas », affirme Kevyn Nightingale. « Ils essaient de faire les choses correctement », ce qui reflète la confiance dans le système fiscal.