Homme dans le procès noir affichant un document légal utilisant soigneusement la loupe.
:ilkercelik / iStock

Pour améliorer la protection des épargnants, l’encadrement disciplinaire à la fois des représentants et des entreprises ainsi que de leurs dirigeants doit être exercé dans les faits par un même organisme. Cet organisme doit être en mesure d’identifier la faute du représentant et potentiellement le manque de surveillance du cabinet en même temps, ce qui n’est pas le cas en pratique pour les acteurs du secteur de l’épargne collective, de l’assurance de personnes et de la planification financière. Cette situation, qui découle du partage et du chevauchement des pouvoirs des régulateurs du secteur, crée un risque de confusion et constitue une faiblesse dans la protection des épargnants à laquelle les autorités gouvernementales devraient remédier.

Voici l’une des conclusions à laquelle arrive Cinthia Duclos, professeure à la Faculté de droit de l’Université Laval, interrogée à l’occasion du lancement de son livre Droit des services d’investissement, Encadrement des intermédiaires financiers et protections des épargnants, en mars.

Pouvoirs concurrents des régulateurs

L’Autorité des marchés financiers (AMF) exerce à la fois un rôle de surveillant direct auprès des intermédiaires financiers et un rôle de surveillant de certains organismes d’autoréglementation (OAR) comme la Chambre de la sécurité financière (CSF) et l’Organisme canadien de réglementation des investissements (OCRI), qui eux aussi, interviennent directement auprès des mêmes intermédiaires relevant de leur compétence, souligne la juriste dans son livre coécrit par Raymonde Crête, professeure émérite, Faculté de droit, Université Laval et Martin Côté, avocat, chargé de cours et membre régulier du Laboratoire en droit des services financiers (LABFI).

Ainsi, pour les courtiers en placements et leurs représentants, « les pouvoirs déontologiques et disciplinaires peuvent être exercés de manière concomitante par l’OCRI, l’AMF et le Tribunal administratif des marchés financiers (TMF) », lit-on dans le livre. Il en va de même pour les représentants en épargne collective, les représentants en assurance de personnes et les planificateurs financiers qui sont à la fois encadrés par la CSF, l’AMF et le TMF.

Par exemple, « quand on épluche la loi, on voit bien que l’AMF a le pouvoir, en même temps que la CSF, par exemple, pour le volet disciplinaire des conseillers en sécurité financière », dit Cinthia Duclos. Cependant, la chercheuse souligne que des ententes entre ces régulateurs font que, dans les faits, ils se sont « partagé la tarte » disciplinaire de manière à éviter les dédoublements. Selon sa compréhension, en général, l’AMF n’interviendra ainsi pas pour un cas disciplinaire qui touche les conseillers en sécurité financière parce que la CSF va le faire. L’AMF ciblera ses interventions auprès des entreprises et des dirigeants de ces cabinets quand ils sont capables.

Sur le plan de la recherche, la professeure mentionne qu’il serait pertinent de mener des études sur l’exercice de ces pouvoirs concomitants et sur leur mise en application auprès des intermédiaires. Cet exercice permettrait de vérifier si ce partage se confirme dans les faits ou si plutôt cette situation entraîne concrètement des chevauchements ou des dédoublements de mécanismes de contrôle pour les intermédiaires.

Si malgré des pouvoirs concurrents entre les régulateurs en théorie, les intervenants financiers ne semblent pas en subir de dédoublement sur le plan disciplinaire, alors pourquoi s’en faire alors ? Parce que la situation génère de la confusion pour les consommateurs, les intervenants et même les régulateurs, ce qui peut certes engendrer un risque que des dossiers disciplinaires tombent entre les craques et surtout que des situations problématiques ne soient pas sanctionnées dans leur ensemble (on cible le représentant, mais pas l’entreprise ; ou vice versa), selon Cinthia Duclos.

Fragmentation du contrôle disciplinaire

À ce sujet, la professeure suggère que le « partage » des pouvoirs disciplinaires entre les autorités soulève un autre enjeu important. Il s’agit de la fragmentation de l’encadrement disciplinaire des intermédiaires, c’est-à-dire que les aspects tant individuel (représentant) qu’organisationnel (entreprise et dirigeant) doivent être contrôlés sur le plan disciplinaire par une même autorité. Cet organisme devrait être en mesure, en même temps, d’identifier la faute du représentant, le potentiel manque de surveillance du cabinet et le défaut du dirigeant responsable de la conformité, le cas échéant. Actuellement, ce n’est pas le cas.

Par exemple, dans le domaine de l’épargne collective, la situation est un peu nébuleuse, selon la professeure. Selon le cadre juridique adopté, à la suite de la période de transition, les courtiers et leurs dirigeants seront contrôlés sur le plan disciplinaire par l’OCRI alors que ce contrôle pour leurs représentants est et sera réalisé par la CSF.

« Il y a de l’incertitude sur la mise en application. Mais pour le courtage en placement, c’est plus clair. En général, il semble que l’AMF ne va pas intervenir sauf si on tombe dans le domaine administratif et pénal. Le disciplinaire et le déontologique, ils vont le laisser à l’OCRI. »  Par ailleurs, l’OCRI encadre tant les aspects individuels qu’organisationnels.

Devant cette situation de chevauchement et de fragmentation des pouvoirs, que faire ? Plusieurs pistes de réflexion sont soulevées par la professeure. Un examen pourrait notamment porter sur la pertinence de reproduire le modèle de l’Office des professions et des ordres professionnels. Ce premier organisme n’a pas de lien direct avec les professionnels ni de pouvoirs directs sur l’exercice de leurs activités au quotidien. L’Office des professions est un peu comme le chien de garde du gouvernement à l’égard des ordres qui, eux, surveillent les professionnels. Une telle solution pourrait certes contribuer à réduire la confusion sur le rôle respectif des régulateurs, mais elle a d’autres implications, notamment juridiques et administratives, qui mériteraient d’être examinées et approfondies.

Par ailleurs, l’autrice ignore si l’intégration de la CSF à l’AMF, comme suggérée par divers responsables de la conformité au fil du temps, est une solution intéressante pour garantir la protection des épargnants et réduire le fardeau administratif pour les intervenants. En effet, les fonctions de la CSF qui sont déontologiques et disciplinaires, ainsi que liées à la formation continue des représentants, devraient malgré tout être présentes au sein de l’AMF. De plus, elle se questionne sur l’opportunité que l’AMF, qui exerce déjà plusieurs fonctions différentes dans l’encadrement du secteur financier, se retrouve au surplus responsable d’exercer le contrôle disciplinaire des représentants visés.

Même point de vue sur le plan de l’encadrement des représentants en assurance de personnes, des cabinets et des dirigeants du secteur. Sur cet aspect, elle suggère de réfléchir au fait qu’un cabinet n’est pas encadré par la CSF, alors que ses représentants en assurance de personnes le sont. Pourquoi l’AMF ne délèguerait-elle pas à la CSF sa supervision des cabinets en assurance et de leurs dirigeants, élargissant ainsi le champ de compétence de la CSF, comme elle le fait pour les courtiers en placement auprès de l’OCRI. Cette délégation ne simplifierait pas le portrait en matière de pouvoirs concurrents des régulateurs, mais elle constituerait possiblement un avantage en matière de protection des épargnants en raison de l’approche englobante de tous les acteurs (représentants, entreprises et dirigeants) qu’elle permettrait sur le plan disciplinaire, selon la chercheuse.

(NDLR: Ce texte et cette entrevue ont été réalisés avant le dépôt du projet de loi 92 sur le secteur financier par le ministre des Finances du Québec Eric Girard, le 8 avril. Ce projet de loi prévoit notamment la fusion de la Chambre de la sécurité financière et de la Chambre de l’assurance de dommages au sein d’une nouvelle chambre, soit la Chambre de l’assurance.)