Transferts de polices d'assurance vie, le roulement fiscal n'est pas pour demain...
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En effet, l’actionnaire pouvait recevoir un montant égal à la juste valeur marchande (« JVM ») de sa police alors qu’il était imposé sur la différence entre la valeur de rachat (« VR ») et le coût de base rajusté (« CBR »). Le Projet de loi C-2 adopté le 15 décembre 2016 est venu changer les règles du jeu.

Plusieurs articles ont été publiés sur les nouvelles règles qui s’appliquent désormais aux transferts d’une police détenue personnellement à sa société; c’est pourquoi le présent texte traitera du transfert d’une police détenue par une société à son actionnaire, à un actionnaire et à une société sœur.

Plusieurs de ces règles existaient depuis longtemps, alors que d’autres ont changé à la suite du budget et à la suite des modifications de l’article 55 L.I.R.

Nous illustrerons ces changements au moyen d’exemples, et nous verrons qu’il n’est pas facile d’extraire une police d’assurance vie d’une société sans avoir à payer de l’impôt. Dans certaines situations, l’impôt à payer est relativement facile à calculer, alors que dans d’autres cas ce calcul est beaucoup plus difficile à déterminer.

Situation

Jean, un citoyen et résident canadien, est l’unique actionnaire d’une société exploitant une petite entreprise (« SEPE »). La société est propriétaire et bénéficiaire d’une assurance vie permanente de 2,5 M$ sur la vie de Jean. La police a été acquise il y a plusieurs années à titre de personne clé pour fournir une protection financière à la société advenant le décès prématuré de Jean, et pour lui servir éventuellement dans le cadre de sa planification successorale.

Jean décide de prendre sa retraite et il vend ses actions à une tierce partie avec laquelle il traite à distance. Étant donné que Jean désire conserver sa police d’assurance, nous allons examiner les différentes transactions ainsi que les conséquences fiscales de chacune des options :

a) Don de la police par la société à Jean;

b) Transfert de la police à Jean au moyen d’un dividende en nature;

c) Transfert de la police à une société de gestion par voie de dividende en nature (en présumant que la société de gestion est actionnaire de la société exploitante au lieu de Jean);

d) Vente de la police à une autre société dont Jean est le seul actionnaire.
Les caractéristiques de la police sont :

Capital-décès : 2 500 000 $

VR : 300 000 $

CBR : 250 000 $

JVM : 1 000 000 $

Règles fiscales

Le paragraphe 148(7) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« L.I.R. ») traite du transfert de police d’assurance en faveur d’une personne avec laquelle le titulaire avait un lien de dépendance, incluant un don et une distribution effectuée par une société.

Lorsque ce paragraphe s’applique, le produit de disposition pour le titulaire sera le plus élevé de la valeur de rachat de la police, de la JVM de la contrepartie donnée et du CBR de la police. Le montant le plus élevé deviendra le CBR du nouveau propriétaire.

De plus, le transfert d’une police d’assurance peut, dans certains cas, donner lieu à un avantage imposable. Par exemple, le paragraphe 15(1) L.I.R. s’appliquera si la société donne la police à l’actionnaire, ou lorsque la police est transférée par voie de dividende en nature pour un montant inférieur à la JVM. D’autres dispositions peuvent s’appliquer telles que les paragraphes 56(2) et 246(1) L.I.R. dont nous parlerons un peu plus loin.

Options de transfert

a) Le don de la police à Jean

Le produit de disposition pour la société sera au plus élevé de la VR, du CBR et de la JVM de la contrepartie donnée, c’est-à-dire 300 000 $. Étant donné que le CBR est de 250 000 $, la société aura un montant imposable de 50 000 $.

Jean devra s’imposer sur un avantage à l’actionnaire égal à la valeur du don, soit la JVM de 1 M$. L’Agence du revenu du Canada a déjà mentionné dans une interprétation technique du 13 janvier 1994 (no 93227305) que le CBR de Jean sera égal à l’avantage imposable même si le paragraphe 148(7) L.I.R. prévoit que le CBR devrait être égal au produit de disposition de la société, soit 300 000 $. De toute façon, cette solution est beaucoup trop onéreuse pour être recommandée.

b) Transfert par voie de dividende en nature à Jean

Selon le paragraphe 148(7) L.I.R., les conséquences fiscales pour la société dans le cas du transfert de la police par voie de dividende à Jean seront exactement les mêmes que dans le cas d’un don. Il faut mentionner que, dans le cas d’un dividende, aucune contrepartie n’est donnée par l’actionnaire. Donc, le montant du transfert pour une police distribuée à titre de dividende en nature sera le plus élevé de son CBR et de sa VR (300 000 $ dans notre exemple, ce qui signifie un montant imposable de 50 000 $ pour la société).

Jean devra payer un impôt sur le dividende qui doit être égal à la JVM de la police, soit 1 M$. Dans le cas où le dividende est moins élevé que la JVM de la police, l’excédent sera imposable à titre d’avantage à l’actionnaire. Le CBR de Jean sera égal au produit de disposition de la société (300 000 $) plus un rajustement dans le cas où il serait imposé sur un avantage à l’actionnaire.

Cette méthode n’est généralement pas recommandée.

c) Transfert de la police par voie de dividende en nature à sa société de gestion

Dans cet exemple nous tenons pour acquis que Jean est le seul actionnaire d’une société de gestion, qui est l’actionnaire unique de la société exploitante. La police peut-elle être transférée à la société de gestion sans conséquence fiscale à titre de dividende en nature?

Pour la société exploitante, la disposition de la police par voie de dividende en nature donnera lieu au même résultat que dans l’exemple précédent, c’est-à-dire que la société réalisera un gain imposable de 50 000 $.

Le montant du dividende versé à la société de gestion devra être égal à la JVM de la police, soit 1 M$, sinon l’excédent donnera lieu à un avantage à l’actionnaire et sera imposable dans la société de gestion. Peut-on dans ce cas considérer que le dividende sera un dividende intercorporatif exempt d’impôt, tel que le permet le paragraphe 112(1) L.I.R.?

Généralement, le dividende payé par la société exploitante à la société de gestion serait exempt d’impôt. Toutefois, selon le paragraphe 55(2) L.I.R., un dividende exempt d’impôt peut être qualifié de gain en capital et être imposable dans la société qui le reçoit. Or, les changements apportés au paragraphe 55(2) L.I.R. et qui s’appliquent aux dividendes reçus après le 20 avril 2015 causent beaucoup d’incertitude. Il faut noter ici que l’application du paragraphe 55(2) L.I.R. peut être évitée si le montant du dividende n’excède pas le « revenu protégé ». Dans le cas où le transfert d’une police d’assurance fait partie des exceptions du paragraphe 55(2) L.I.R., la société de gestion recevra la police sans conséquence fiscale et son CBR sera égal au produit de disposition de la société exploitante, soit 300 000 $. Il faut donc être prudent et faire une analyse sérieuse afin de déterminer l’incidence potentielle d’un transfert de police par voie d’un dividende en nature.

d) Vente à une société sœur

Nous présumons, dans cet exemple, que Jean est détenteur de toutes les actions de la société exploitante, et qu’il est également le détenteur de toutes les actions d’une autre société (sœur). Aux fins de discussion, le prix de vente sera égal au plus élevé du CBR et de la VR, soit 300 000 $.

Selon le paragraphe 148(7) L.I.R., le produit de disposition pour la société et le CBR pour la société sœur sera le plus élevé du CBR, de la VR et de la JVM de la considération donnée par la société sœur. La société réalisera un gain imposable de 50 000 $.

Le paragraphe 148(7) L.I.R. permet le transfert entre personnes qui ne traitent pas à distance à une valeur moindre que la JVM et cela permet de minimiser les conséquences fiscales. Cependant, il y a d’autres dispositions dans la loi qui doivent être considérées. Par exemple, le transfert d’une police d’assurance d’une société à son actionnaire pour une valeur moindre que la JVM entraîne l’application du paragraphe 15(1) L.I.R. et constitue un avantage imposable à l’actionnaire. Cette règle ne devrait pas s’appliquer dans le cas du transfert à la société sœur, car celle-ci n’est pas et n’a jamais été actionnaire de la société.

Toutefois, il y a d’autres dispositions telles que les paragraphes 56(2) et 246(1) L.I.R. qui doivent être pris en considération lors d’une telle vente à la société sœur, car même si l’application de ces deux dispositions est discutable, nous sommes loin d’être certains que ces dispositions ne trouveraient pas application.

Il est donc important d’aviser le client des conséquences possibles et des pièges d’un tel transfert.

Autres options

Voici quelques pistes de solution auxquelles Jean pourrait avoir accès.
1) L’acheteur pourrait choisir d’acheter les actifs de la société au lieu des actions. Dans ce cas, la police pourrait demeurer dans la société qui ne serait plus une société exploitante, mais qui pourrait être une société de placements pour Jean. Par contre, cette vente peut ne pas être efficace pour Jean si la vente des actions de la société lui donnait la possibilité de profiter de l’exemption du gain en capital pour SEPE.

2) Les actifs de la société, autres que la police d’assurance, peuvent être transférés par roulement à une filiale en échange d’actions de la filiale, et cette dernière peut alors être vendue à une tierce partie. La police demeure donc dans la société qui est contrôlée par Jean. Ici encore, l’exemption du gain en capital ne peut pas être réclamée, car c’est la société qui dispose des actions et non l’individu.

3) Il est possible de conserver la police d’assurance dans la société même après que les actions ont été vendues à une tierce partie. Jean pourrait créer une nouvelle société de gestion et cette nouvelle gestion devrait être nommée bénéficiaire irrévocable de la police.

4) Une autre possibilité serait d’émettre une catégorie d’actions privilégiées de la société à Jean ou à sa nouvelle société de gestion. Ces actions auraient droit à tout dividende en capital créé par la réception du capital-décès de la police sur la vie de Jean. Il pourrait peut-être y avoir un problème d’évaluation de ces actions. La valeur de ces actions pourrait être la valeur de la police et créer un avantage imposable à Jean.

En ce qui a trait aux deux derniers points, Jean et sa société de gestion seraient responsables du paiement des primes futures. Toutefois, la plupart des propriétaires d’entreprises n’aimeraient pas avoir leur police d’assurance dans une société détenue par une tierce partie. Donc, cette solution pourra être considérée seulement lorsque les conséquences fiscales sont vraiment très onéreuses, ou dans des circonstances très spéciales.

Conclusion

Les règles qui régissent le transfert des polices d’assurance entre actionnaires et leurs sociétés sont très complexes et manquent de cohérence. Plusieurs problèmes de planification pourraient être évités s’il était possible de profiter d’un roulement fiscal tel qu’il est permis à l’article 85 L.I.R. pour les biens en immobilisations et autres. Une règle similaire pourrait être prévue pour les polices d’assurance vie, ce qui éliminerait toute cette complexité.

Entre-temps, il est très important dans la planification de l’acquisition d’une nouvelle police d’assurance de tenter de minimiser, dans la mesure du possible, les changements de titulaire dans le futur. Il est suggéré, dans plusieurs situations, de placer la police d’assurance vie dans la société de gestion contrôlée par l’assuré, puisqu’il est beaucoup moins probable que la société de gestion soit l’objet d’une vente éventuelle.

* Ce texte a paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, vol. 22, numéro 3, du mois de septembre 2017.

Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification fiscale et financière (APFF), et a été écrit par Jocelyne Gagnon, AVA, M. Fisc., Pl. Fin., FEA Vice-présidente, Services de Planification – Québec.