Toutefois, bien que depuis 1994 les fiducies soient davantage encadrées, il n’en demeure pas moins que les règles suscitent encore des questionnements quant à leur application. De plus, la majorité de ces règles est de droit nouveau pour les praticiens et ceux-ci commencent à peine à ce jour à en voir les impacts.
Une fiducie est un outil de planification, de protection et de gestion du patrimoine hors pair. Il importe donc de la constituer et de l’utiliser adéquatement. Pour ce faire, outre les règles la constituant et la régissant qui se retrouvent dans le Code civil, il est primordial de tenir compte des exigences qui se retrouvent dans la Loi de l’impôt sur le revenu (« L.I.R. ») et la Loi sur les impôts (« lois fiscales »). Une fiducie pourrait très bien être légalement constituée et légalement administrée sans toutefois respecter les exigences fiscales et vice versa, ayant ainsi des conséquences fiscales fâcheuses. Le présent texte se veut un résumé de certaines lacunes trouvées lors de la rédaction des actes de fiducie tant légalement que fiscalement qui, trop souvent, sont constatées alors qu’il est déjà trop tard.
Exigences dites « légales »
Exigence de l’article 1260 C.c.Q. – Création d’un nouveau patrimoine
L’article 1260 C.c.Q. prévoit que la fiducie résulte d’un acte par lequel le constituant transfère à un autre patrimoine des biens qu’il affecte à une fin particulière. Le Code civil n’indique pas spécifiquement comment est constitué le patrimoine, mais il édicte clairement qu’il doit y avoir un transfert de bien « instantanément » avec la constitution de la fiducie. Dans l’arrêt P.M.R. (Succession de) c. C.G.R. ([2002] R.J.Q. 1871 (C.A.)), la Cour d’appel a reconnu qu’il n’est pas nécessaire que l’acte contienne une mention expresse selon laquelle un patrimoine est créé tout en précisant par contre « […] qu’il doit s’agir de la création d’un nouveau patrimoine ». Un document qui ne ferait référence qu’aux fiduciaires, sans mentionner le mot fiducie (comme c’était le cas) ne conviendrait tout simplement pas. D’ailleurs, Jacques Beaulne écrit à cet égard dans son ouvrage Droit des fiducies « […] qu’un écrit mentionnant qu’une personne transfère tel ou tel bien au profit de X afin qu’il les administre pour le bénéfice de …. ne créerait pas une fiducie ». Par conséquent, il s’avère important de retrouver dans l’acte une mention de la création d’un nouveau patrimoine afin que l’acte soit bel et bien un acte de constitution de fiducie.
Exigence des articles 1264 et 1265 C.c.Q. – Acceptation par le ou les fiduciaires
L’acceptation du fiduciaire du transfert est une condition essentielle à la constitution de la fiducie et détermine également le moment de sa constitution. Lorsque nous sommes en présence d’une fiducie créée par acte à titre gratuit, est-ce que cette donation doit obligatoirement être effectuée par acte notarié? L’article 1824 C.c.Q. prévoit que toute donation doit se faire par acte notarié en minute sous peine de nullité absolue. Jacques Beaulne, quant à lui, est également d’avis que dans les cas où l’acte constitutif d’une fiducie est une véritable donation, la forme notariée en minute est nécessaire. Cet avis a été corroboré par la Cour dans l’affaire Plachcinski (Syndic de) (2002 QCCS 539). Il faut par ailleurs mentionner que l’auteur John B. Claxton, de son côté, est d’avis contraire, prétendant dans son ouvrage Studies on the Quebec Law of Trust (Carswell, 2005) qu’on pourrait se retrouver en présence d’un don manuel, soit la seule exception à l’obligation de l’acte notarié en minute prévue au second alinéa de l’article 1824 C.c.Q.
Donc acte notarié ou non? Personne n’a de réponse définitive pour le moment. Toutefois, l’acte notarié en minute pourrait s’avérer un outil fort utile pour limiter toute argumentation ou allégation de planification rétroactive par les autorités fiscales de par son caractère authentique quant à la date de l’acte et l’identité des parties. C’est d’ailleurs le propre de chaque réorganisation de ne laisser place à aucune contestation possible.
Exigence de l’article 1275 C.c.Q. – Les acteurs d’une fiducie
On ne répétera jamais assez l’importance de l’article 1275 C.c.Q. exigeant qu’au moins un des fiduciaires ne soit ni le constituant ni un bénéficiaire. Encore aujourd’hui, on retrouve plusieurs fiducies qui ne respectent pas cette règle.
Dans l’affaire Spicer (Succession de) (R.E.J.B. 2004-61697 (C.S.)), le terme « bénéficiaire » a reçu une interprétation très large incluant toute personne qui pourrait éventuellement bénéficier d’une façon ou d’une autre de la fiducie. Dans ce cas, ces « bénéficiaires » peuvent tout de même être fiduciaires mais à la condition de s’adjoindre une tierce personne indépendante à la fiducie. Dans les commentaires du ministre de la Justice publiés en 1993, on peut lire sous l’article 1275 C.c.Q. que « […] cette ouverture demeure tempérée cependant, par l’exigence de la présence d’un fiduciaire impartial, exigence propre à assurer une administration objective et à tempérer les conflits possibles ». Ainsi dans l’affaire Spicer, la mère des enfants mineurs bénéficiaires de la fiducie n’a pu se qualifier de fiduciaire indépendante pour satisfaire aux exigences de l’article 1275 C.c.Q. En sa qualité de tutrice de ses enfants, elle ne se qualifiait pas selon la Cour de « personne impartiale ou totalement désintéressée » pouvant se rendre aux exigences de l’article 1275 C.c.Q.
Bien que cette position ait été confirmée dans l’arrêt Brassard c. Brassard (2009 QCCA 898), il est important par ailleurs de mentionner que dans l’affaire Droit de la famille – 093071 (2009 QCCA 2460), la Cour d’appel a conclu que Mme T., seule fiduciaire nommée pour une fiducie créée au bénéfice de ses deux enfants, pouvait agir seule comme fiduciaire. La Cour fut d’avis que Mme T., n’étant ni constituante ni bénéficiaire, pouvait agir seule comme fiduciaire puisque seule cette exigence est requise en vertu de l’article 1275 C.c.Q.
De plus, qu’en est-il des actes posés par les fiducies si aucun fiduciaire ne satisfait aux exigences de l’article 1275 C.c.Q.? L’auteur Jacques Beaulne est d’avis que les actes posés par les fiduciaires en l’absence d’un tiers fiduciaire sont invalides et sont nuls de nullité absolue. L’auteur André J. Barette signale dans l’ouvrage Fiducies personnelles et successions que l’acte en question est sans effet et ne peut être ratifié par le ou les nouveaux fiduciaires indépendants. Encore une fois, cette notion de fiduciaire indépendant laisse en suspens bien des questionnements quant à la qualification de la personne nommée à ce titre ainsi qu’aux répercussions d’une nomination non conforme. Une chose est certaine : en raison du caractère d’ordre public de l’article 1275 C.c.Q., la prudence est de mise sur le choix de ce tiers fiduciaire indépendant.
Rectification versus implications fiscales
Dans l’affaire Desourdy c. Boucher-Desourdy (2014 QCCS 4146), la question fut posée quant à savoir si l’acte de fiducie pouvait être modifié afin d’éviter l’application des règles sur les fiducies avec droit de retour et ainsi éviter des conséquences fiscales désastreuses et non prévues. Selon les requérants, l’application des règles sur les fiducies avec droit de retour entraînait des conséquences fiscales inattendues, lesquelles ne reflétaient pas entièrement la volonté du constituant qui était d’offrir un transfert de richesse avec un impact fiscal minimal. En effet, les requérants craignaient que les règles de roulement à la sortie ne soient pas applicables à la fiducie et qu’ainsi les autorités fiscales appliquent le paragraphe 107(4.1) L.I.R. Le greffier de la Cour supérieure a conclu que le fait que la fiducie ne soit pas parfaitement créée pour arriver aux résultats les plus efficients possibles n’était pas un motif de révision valable pour modifier l’acte de fiducie de façon rétroactive. Selon lui, il serait en effet inconcevable, aberrant, voire surréaliste, de songer a posteriori à modifier l’acte afin de l’adapter aux lois fiscales. La demande a par conséquent été rejetée.
Nous pouvons donc en conclure que si certaines clauses contenues dans un acte de fiducie génèrent des conséquences fiscales inattendues, elles ne seront pas automatiquement modifiées par le tribunal. Il est de ce fait primordial de s’attarder au but souhaité par la fiducie, et aux conséquences fiscales engendrées par l’acte constitutif lors de sa rédaction.
Sociétés associées et choix des bénéficiaires
Le choix des bénéficiaires d’une fiducie doit se faire judicieusement puisque celui-ci peut aussi entraîner des conséquences fiscales non prévues. En effet, l’alinéa 256(1.2)f) L.I.R. prévoit que les actions du capital-actions d’une société détenue par une fiducie discrétionnaire sont réputées être la propriété de chaque bénéficiaire. Ainsi, en présence d’une telle fiducie discrétionnaire, chaque bénéficiaire sera réputé être propriétaire à 100 % des actions que la fiducie détient dans une société, rendant par le fait même associée cette société et toute société contrôlée par un bénéficiaire au sens de l’article 256 L.I.R. Les bénéficiaires ainsi nommés pourraient voir leurs sociétés par actions associées, parfois sans même le savoir, entraînant le partage de différents plafonds et limites entre eux dont notamment le plafond de 500 000 $ de la déduction accordée aux petites entreprises (« DPE »). Dès lors, si parmi les bénéficiaires se retrouvent un conjoint ou une conjointe, un enfant, un frère, une sœur, un neveu ou une nièce, etc., étant lui-même ou elle-même en affaires et détenant des actions dans une société, les deux sociétés pourraient être associées et devraient se partager la DPE.
De plus, il ne faut pas oublier qu’en vertu du paragraphe 256(1.3) L.I.R., les actions d’une société qui sont réputées être détenues par un bénéficiaire mineur sont réputées être la propriété du père ou de la mère du bénéficiaire mineur pour les règles d’association entre sociétés. C’est pourquoi, par le biais du bénéficiaire mineur d’une fiducie, la société détenue par cette fiducie pourrait être associée à une société contrôlée directement ou indirectement de quelque manière que ce soit par les parents du bénéficiaire mineur.
Toutefois, il faut comprendre qu’éviter que le conjoint d’un entrepreneur qui lui-même serait en affaires soit nommé à titre de bénéficiaire d’une fiducie et par le fait même ses enfants mineurs fait en sorte que ceux-ci ne pourront bénéficier des biens et des revenus générés dans la fiducie. Chaque situation devra donc être analysée distinctement afin de bien circonscrire le choix des bénéficiaires, en comprendre les enjeux et y apporter parfois certaines solutions adéquates.
Les paragraphes 104(4) et 104(5.8) L.I.R. – Règle de « 21 ans »
On ne saurait passer sous silence l’affaire Ozerdinc Family Trust c. Gowling Lafleur Herderson LLP (2017 ONSC 6) rendue par la Cour supérieure de justice de l’Ontario récemment. Dans cette affaire, les demandeurs ont retenu les services de leurs avocats en 1990 afin de constituer une fiducie. En 2007, les demandeurs ont à nouveau eu recours à leurs avocats afin d’éviter la disposition présumée des actifs de la fiducie prévue dans l’acte lorsque le plus jeune de leurs enfants avait atteint l’âge de 22 ans. Ainsi, une deuxième fiducie fut créée comportant les mêmes bénéficiaires que la première. Les demandeurs n’ont pas été avisés par leurs avocats de l’application du paragraphe 104(4) L.I.R. (la règle de 21 ans) obligeant la fiducie à constater ses gains en capital accumulés et à payer l’impôt sur ceux-ci tous les 21 ans ainsi que l’impact du paragraphe 104(5.8) L.I.R. faisant en sorte que la règle de 21 ans établie au paragraphe 104(4) L.I.R. ne puisse être contournée par des transferts entre fiducies. Par conséquent, dans le présent cas, la disposition présumée à 21 ans se calculait à partir de la constitution de la première fiducie. Puisque les demandeurs n’ont pas été avisés adéquatement de cette règle, leurs avocats ont été tenus responsables de négligence.
Il va sans dire à la lumière de ce jugement que la responsabilité des professionnels ne s’arrête pas seulement à la rédaction et à l’établissement de la fiducie mais au contraire qu’elle va au-delà de la signature d’un acte de fiducie. Les professionnels doivent faire preuve de vigilance, de prudence et bien entendu de compétence dans l’établissement d’une fiducie pour leur client.
Tel qu’il a été mentionné précédemment, le présent texte n’est qu’un résumé de quelques-unes des nombreuses dispositions légales et fiscales visant et régissant les fiducies. La rédaction d’un acte de fiducie est complexe; celui-ci doit être rédigé en considérant tant les aspects légaux que fiscaux propres à chaque situation. Bien que la fiducie soit un outil fort populaire et utile dans le cadre de réorganisations de sociétés et de planification successorale, il est primordial d’être à l’affût des règles qui la régissent afin que l’acte constituant la fiducie soit légalement valable tout en n’entraînant pas de conséquences fiscales imprévues.
Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification fiscale et financière (APFF), et a été écrit par Sophie Rivest.