Développements récents et tendance en matière d'évitement fiscal
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Nombre accru de judiciarisation des dossiers en 2016

Force est de constater que plus de 25 ans après l’entrée en vigueur de la RGAÉ tel que prévu à la Loi de l’impôt sur le revenu (« L.I.R. ») en septembre 1988, celle-ci semble être devenue un outil non plus de dernier recours, mais d’usage de plus en plus fréquent.

Nous ne pouvons que spéculer sur les raisons qui sous-tendent cette croissance de judiciarisation de dossiers où la RGAÉ est invoquée, notamment parce que les données les plus récentes publiées par l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») datent déjà de 2012 (voir Paul HICKEY, « CRA’s GAAR Update », (2013), vol. 21, no 1 Canadian Tax Highlights 3-4, qui cite les statistiques telles qu’elles sont présentées par l’ARC lors la conférence annuelle de la Fondation canadienne de fiscalité de 2012). Que ce soit parce que les contribuables cotisés ont jugé qu’il valait la peine d’appeler de leurs cotisations jusqu’en Cour canadienne de l’impôt ou que les efforts déployés par les autorités fiscales au cours des dernières années pour contrecarrer l’évitement fiscal abusif ont eu des répercussions tangibles sur le nombre de dossiers portés en appel devant la Cour, la tendance est néanmoins ressentie.

La RGAÉ gage d’incertitude

L’incidence réelle des décisions rendues en 2016 demeure incertaine étant donné que tous les jugements ont été portés en appel. Cette incertitude, jumelée au caractère subjectif inhérent de la RGAÉ, a vraisemblablement créé un besoin encore plus grand d’obtention de précisions de la part des cours supérieures quant à sa portée d’application.

• Affaire Golini c. La Reine, 2016 CCI 174

Un défi fiscal est donc aux portes de la Cour d’appel fédérale, notamment quant à la détermination de balises pour juger du critère de l’abus, à commencer par l’affaire Golini où la décision de la Cour d’appel fédérale influencera fort probablement la portée des commentaires du juge Miller en obiter sur l’applicabilité de la RGAÉ aux faits d’espèce.

Dans cette affaire, l’ARC remettait en question les conséquences fiscales découlant d’une planification fiscale complexe qui avait été mise en place afin que le contribuable puisse bénéficier d’un plan de retraite et successoral optimal. Le plan comportait plusieurs étapes qui, finalement, permettaient au contribuable de bénéficier indirectement d’un prêt de 6 M$ qu’il n’aurait jamais réellement à rembourser (sauf certains frais de garantie) puisque la société débitrice dont il était actionnaire s’était engagée à rembourser ce prêt notamment à l’aide de primes d’assurance qu’elle prévoyait recevoir à son décès. Divers autres avantages avaient été établis par l’ARC et les ramifications fiscales de celles-ci étaient d’ailleurs toutes contestées.

Bien que la Cour canadienne de l’impôt ait donné raison à l’ARC et rejeté l’appel en vertu du paragraphe 15(1) L.I.R., monsieur le juge Miller a tout de même commenté sur l’applicabilité de la RGAÉ aux faits d’espèce, argument subsidiaire soulevé par l’ARC. La Cour canadienne de l’impôt a indiqué que si elle avait eu besoin d’appliquer la RGAÉ, elle n’aurait pas eu de mal à conclure que certaines étapes du plan constituaient une série d’opérations abusive en ce que l’esprit du paragraphe 84(1) L.I.R. en était contrecarré.

Bien que l’analyse de l’applicabilité de la RGAÉ ait été discutée en obiter, cette décision demeure importante puisqu’elle suppose l’existence d’une politique fiscale claire en matière de dépouillement de surplus basée sur la plus récente décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Copthorne Holdings Ltd. c. La Reine (2011 CSC 63). Avec égard, cette décision de monsieur le juge Miller de commenter sur l’applicabilité de la RGAÉ en admettant, d’une part, qu’un test basé sur l’esprit de la loi est en soi nébuleux tout en laissant sous-entendre, d’autre part, que le caractère abusif de la série d’opérations soit clair, semble contradictoire et nécessitera sans contredit que la Cour d’appel fédérale apporte certaines précisions.

• Affaire Gervais et autres c. La Reine, 2016 CCI 180

Cette approche peut toutefois être comparée à celle adoptée dans l’affaire Gervais où le dossier en sera à son quatrième débat au fond devant les tribunaux. C’est donc à la suite du renversement de la décision de la Cour canadienne de l’impôt en appel que la Cour d’appel fédérale a décidé de retourner les dossiers devant la Cour canadienne de l’impôt pour que la validité de la cotisation en vertu de la RGAÉ soit finalement tranchée.

Dans l’affaire Gervais, il s’agissait d’une cotisation émise en vertu de la RGAÉ dans le contexte où l’ARC jugeait que le gain en capital résultant de la vente de l’entreprise familiale à une partie sans lien de dépendance avait été scindé entre les conjoints de façon à contrecarrer l’esprit du paragraphe 74.2(1) L.I.R. La série d’opérations prévente impliquait des transferts d’actions successifs par le mari, en faveur de sa femme, dans le but que celle-ci puisse enfin bénéficier de la vente de l’entreprise dans laquelle elle avait travaillé activement. Cette réorganisation comprenait à la fois une vente et une donation d’actions entre conjoints (effectués respectivement sans roulement et par roulement prévu à l’article 73 L.I.R.) et s’assurait que les règles d’attribution du paragraphe 74.2(1) L.I.R. et de majoration du prix de base rajusté (« PBR ») en vertu de l’article 47 L.I.R. soient utilisées de façon optimale de sorte que les deux époux puissent bénéficier de leur exonération pour gains en capital. Dans ce contexte, la Cour canadienne de l’impôt a conclu lors de sa deuxième analyse qu’un avantage fiscal résultait d’une série d’opérations d’évitement fiscal abusif, contraire à l’esprit de la Loi de l’impôt sur le revenu.

La décision de la Cour d’appel fédérale sera attendue notamment parce que la Cour canadienne de l’impôt n’aborde pas le fait que le caractère abusif de la série d’opérations semble résider plutôt dans la manipulation du PBR et non dans la manipulation des règles d’attribution. De plus, il sera intéressant de voir si la Cour d’appel fédérale apportera des précisions quant à l’intention du législateur dans un contexte de planification familiale et quant à la notion d’abus lorsque celle-ci implique une règle antiévitement spécifique. Notons finalement que la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Gervais sera tout aussi attendue afin de voir ce qu’elle fera de l’importance accordée, par la Cour canadienne de l’impôt, à la « nécessité » de certaines étapes de la série d’opérations pour déterminer l’applicabilité de la RGAÉ.

• Affaire Pomerleau c. La Reine, 2016 CCI 228

Dans l’affaire Pomerleau, il était aussi question de l’abus d’une règle antiévitement spécifique. En effet, la seule question en litige consistait à déterminer si la série d’opérations d’évitement mise en place avait pour effet de contourner l’esprit de l’article 84.1 L.I.R. de façon abusive.

La série d’opérations en litige s’inscrivait dans un contexte familial particulier où le transfert de l’entreprise aux quatre enfants du fondateur s’était échelonné sur une dizaine d’années afin que la pérennité de celle-ci en soit assurée. Pour concrétiser ce transfert, la société contrôlée par le contribuable a notamment procédé à un rachat d’actions bénéficiant d’un PBR préalablement augmenté par l’effet de l’utilisation de la déduction pour gains en capital. Ce rachat a entraîné une perte en capital qui a, par ailleurs, été transférée au PBR d’autres actions de la société par l’effet du paragraphe 40(3.6) L.I.R. Ensemble, ces opérations ont permis d’augmenter, lors d’un roulement subséquent, le capital versé des actions reçues en contrepartie, sans que l’article 84.1 L.I.R. ne trouve application.

C’est donc dans ce contexte que l’ARC évoquait que la série d’opérations d’évitement allait à l’encontre de la politique fiscale qui sous-tend l’article 84.1 L.I.R., soit le dépouillement de surplus d’une société en franchise d’impôt grâce à l’utilisation de la déduction pour gains en capital ou de la valeur au jour de l’évaluation. La Cour canadienne de l’impôt a accepté les prétentions de l’ARC et rejeté l’appel du contribuable.

En concluant à l’existence d’une politique fiscale claire dans la Loi de l’impôt sur le revenu voulant que les surplus d’une société soient imposés entre les mains de ses actionnaires à titre de dividendes, sauf s’il s’agit de remboursement du capital de celle-ci, la Cour canadienne de l’impôt semble avoir écarté certains principes sans pour autant déterminer comment le dossier du contribuable pouvait se distinguer. En effet, le jugement de la Cour canadienne de l’impôt semble s’appuyer principalement sur les décisions Descarries c. La Reine (2014 CCI 75) et Desmarais c. La Reine (2013 CCI 356), alors que l’impact de la décision de la Cour d’appel fédérale rendue dans l’affaire La Reine c. Collins & Aikman Canada (2010 CAF 251) n’a pas été abordé. La jurisprudence semble pourtant claire lorsqu’il s’agit de déterminer l’abus d’une politique fiscale à la lumière de la non-application d’une règle antiévitement spécifique. Encore là, peut-on en inférer que la décision Lipson reprend du terrain et que même si une règle antiévitement spécifique ne s’applique pas à une série d’opérations données, celles-ci peuvent quand même être considérées comme constituant un abus de la Loi de l’impôt sur le revenu lue dans son ensemble?

Des précisions s’imposent aussi quant à l’influence que l’on doit accorder au contexte commercial et familial entourant la série d’opérations pour déterminer s’il y a eu abus d’une politique fiscale, ce que la Cour canadienne de l’impôt semble avoir omis de prendre en considération.

• Affaire Oxford Properties c. La Reine, 2016 CCI 204

La portée de la décision Lipson pourra aussi être revisitée par la Cour d’appel fédérale dans le cadre de l’appel du dossier Oxford Properties. Dans cette affaire, le contribuable avait procédé à une série d’opérations qui finalement lui permettaient de majorer, à deux reprises, le PBR de certaines parts sociales détenues au sein de sociétés en commandite en vertu de l’alinéa 88(1)d) et du paragraphe 98(3) L.I.R. et, ensuite, de bénéficier du fait que la vente de celles-ci puisse se faire de façon optimale en procédant à leur vente trois ans plus tard de sorte que le paragraphe 69(11) L.I.R. ne puisse trouver application. La Cour canadienne de l’impôt a conclu dans cette affaire que la série d’opérations n’était pas assujettie à la RGAÉ et a souligné que les règles spécifiques prévues par le législateur permettaient d’inférer d’une politique fiscale de portée limitée lorsqu’elles étaient analysées à la lumière des modifications ultérieures faites à la Loi de l’impôt sur le revenu.

La Cour d’appel fédérale aura vraisemblablement à préciser dans quelle mesure la RGAÉ peut trouver application pour étendre la portée d’une règle antiévitement spécifique qui, strictement, ne trouve pas elle-même application. Ce faisant, une des questions que la Cour d’appel fédérale aura potentiellement à disposer est celle de savoir si l’analyse faite du caractère abusif de la série d’opérations reposait trop sur une approche basée sur le sens littéral des mots alors que l’affaire Copthorne, précédemment citée, enseigne qu’il faudrait privilégier la quête de la raison d’être d’une disposition qui peut ne pas ressortir de la seule signification des mots eux-mêmes. À titre comparatif, la décision de la Cour d’appel fédérale dans cette affaire aura potentiellement à être réconciliée avec les décisions rendues dans les affaires Gervais et Pomerleau.

• Affaire Univar Canada Ltd. c. La Reine, 2005 CCI 723

L’affaire Univar soulève, à son tour, plusieurs questions de principe. Dans ce dossier, la Cour canadienne de l’impôt devait déterminer si une réorganisation d’entreprise qui permettait au contribuable d’éviter le paiement de la retenue d’impôt prévue à l’article 212.1 L.I.R. était assujettie à la RGAÉ.

La Cour canadienne de l’impôt a jugé en faveur de l’ARC et rejeté l’appel. Notamment, la Cour canadienne de l’impôt a conclu qu’il existait une politique fiscale générale contre les dépouillements de surplus dans la Loi de l’impôt sur le revenu et que celle-ci lui permettait d’inférer que le législateur ne pouvait pas avoir eu l’intention d’autoriser des planifications comme celle-ci qui permettaient qu’une société canadienne puisse simplement être interposée dans une structure d’entreprises afin d’éviter l’application du paragraphe 212.1(1) L.I.R. Selon la Cour canadienne de l’impôt, la série d’opérations était d’autant plus abusive à la lumière des modifications proposées dans le Budget 2016, qui serviront justement à contrecarrer ce genre de planification fiscale.

Vu cette conclusion, un des éléments importants qui méritera certaines précisions est sans doute le poids que les tribunaux devraient accorder à des notes explicatives déposées pour modifier prospectivement la disposition faisant l’objet de l’abus lorsque vient le temps de déterminer l’intention du législateur au moment de l’avènement de cette disposition.

• Affaire 594710 British Columbia Ltd. c. La Reine 2016 TCC 288

Enfin, il sera intéressant de voir l’analyse que fera la Cour d’appel fédérale du dossier 594710 British Columbia, un des deux seuls dossiers où le contribuable a eu gain de cause. Cette affaire est unique en ce que l’ARC a soulevé la RGAÉ en deux temps : pour cotiser, d’une part, la filiale en propriété exclusive du contribuable en se basant sur le mauvais usage du paragraphe 111(5) L.I.R. et, d’autre part, le contribuable pour la dette fiscale présumée de ladite filiale vendue et dissoute en invoquant l’abus de l’article 160 L.I.R.

Ces cotisations s’inscrivent dans un contexte d’une série d’opérations mise en place pour limiter l’incidence fiscale des revenus générés par une société en commandite dans laquelle le contribuable détenait des parts par l’entremise de sa filiale. Au final, le plan permettait que les liquidités de la société en commandite soient extraites libres d’impôt en faveur des sociétés qui contrôlaient les commanditaires (dont le contribuable) et que les revenus soient enfin attribués à une société publique sans lien de dépendance qui avait assez de pertes autres qu’en capital pour éponger tous les revenus de la société en commandite suivant l’acquisition faite des commanditaires à leur juste valeur marchande.

La Cour canadienne de l’impôt a accueilli l’appel du contribuable en concluant que la cotisation émise en vertu de la RGAÉ à sa filiale n’était pas valide, faute d’abus. La Cour canadienne de l’impôt est toutefois allée plus loin en commentant le bien-fondé de la cotisation émise au contribuable en vertu de la RGAÉ, même si la dette qui soutenait celle-ci n’avait pas été confirmée. C’est donc en obiter que la Cour canadienne de l’impôt a mentionné que, si un avantage fiscal avait pu être établi, la RGAÉ aurait trouvé application en se fondant sur le fait qu’il y avait eu abus de l’article 160 L.I.R.

Il sera donc intéressant de savoir, au même titre que dans l’affaire Golini, si la Cour d’appel fédérale précisera l’obiter de la Cour canadienne de l’impôt. De façon plus importante, la décision de la Cour d’appel fédérale présentera certainement un intérêt particulier puisqu’elle aura à aborder l’esprit et l’objet de la Loi de l’impôt sur le revenu en matière de partage de profits ainsi que la distinction entre la politique fiscale de la Loi de l’impôt sur le revenu en matière de partage de pertes et celle en matière de partage de profits.

Conclusion

La notion d’abus de la Loi de l’impôt sur le revenu et l’acceptation qu’une politique fiscale sous-jacente ait été frustrée semble maintenant plus facile à établir dans le cadre d’une cotisation émise en vertu de la RGAÉ. Néanmoins, l’objectif du législateur en prévoyant une règle fiscale d’application large et générale pour pallier les « lacunes législatives » (voir l’affaire Gwartz c. La Reine (2013 CCI 86)) n’était pas de brimer le principe voulant que tous les contribuables ont le droit de planifier leurs affaires fiscales de façon optimale. Cet exercice d’équilibre semble toutefois ne plus être systématiquement pris en compte lorsque vient l’analyse du caractère abusif d’une série d’opérations d’évitement. Bien que l’ARC ait le fardeau d’établir l’existence d’une politique fiscale de manière précise (voir l’affaire Hypothèques Trustco Canada c. Canada), d’une part, ainsi que le caractère abusif des opérations d’évitement en cause de l’autre, la Cour canadienne de l’impôt dans les affaires Golini, Gervais et Univar a été à même de conclure à une politique fiscale claire sans qu’une analyse élaborée de l’intention du législateur soit effectuée au fond. À plus forte raison, comment peut-on réconcilier ces décisions avec le principe établi voulant que lorsque survient un doute quant à l’esprit et à l’objet de la Loi de l’impôt sur le revenu, et quant au caractère abusif d’une série d’opérations, ce doute doit être interprété en faveur du contribuable.

Cette année, avec le nombre accru de dossiers ayant été porté devant la Cour canadienne de l’impôt, cette propension à confirmer des cotisations émises en vertu de la RGAÉ est manifeste. Il en résulte que les enjeux découlant de planifications fiscales plus ou moins agressives doivent être soupesés d’autant plus diligemment à la lumière du courant jurisprudentiel afin de déterminer si le risque en vaut bel et bien la chandelle. Il s’ensuit que les aléas pour les conseillers fiscaux en sont aussi augmentés lorsque vient le temps d’étayer une planification ou de rendre une opinion traitant de l’applicabilité de la RGAÉ. Cela dit, l’idée que la Cour d’appel fédérale puisse de nouveau baliser l’application de la RGAÉ est sans contredit bienvenue par la communauté fiscale.

* Article paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, vol. 22, numéro 1, du mois de mars 2017.

Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification fiscale et financière (APFF), et a été écrit par Marie-Claude Marcil.