En effet, les décisions Discovery Trust v. MNR, 2015 NLTD (G) 86 (« Discovery Trust »), de la Cour suprême de Terre-Neuve-et-Labrador, rendue le 18 juin 2015, et Boettger c. Québec (Agence du revenu), 2015 QCCS 7517 (« Boettger »), de la Cour du Québec, rendue le 6 août 2015 et laquelle a été portée en appel, ont étendu la portée du principe de la gestion centrale et du contrôle afin de déterminer la province de résidence d’une fiducie et ont circonscrit le rôle de chacun des acteurs (constituant, fiduciaires et bénéficiaires) dans l’évaluation de la gestion centrale et du contrôle d’une fiducie.

Rappel historique des critères déterminant la résidence d’une fiducie

Le lieu de résidence constitue le fondement principal de l’imposition du revenu au Canada. La Loi de l’impôt sur le revenu et la Loi sur les impôts ne comportant aucune définition du terme « résidence », l’établissement de la résidence d’un individu, d’une société ou d’une fiducie au Canada a toujours été une question de fait.
En matière de fiducie, le jugement Fiducie Famille Thibodeau c. Canada, 78 D.T.C. 6376 (C.F.), a longtemps établi la règle selon laquelle le lieu de résidence des fiduciaires déterminait la résidence de la fiducie. Toutefois, l’interprétation des autorités fiscales en matière de résidence d’une fiducie dans le Bulletin d’interprétation IT-447 du 30 mai 1980 (maintenant remplacé par le Folio de l’impôt sur le revenu S6-F1-C1, « Résidence d’une fiducie ou succession », 3 février 2015) a toujours soutenu que le lieu de la gestion et du contrôle des biens de la fiducie était un critère déterminant aux fins de l’établissement de la résidence d’une fiducie pour les autorités fiscales.

En 2012, l’arrêt Fundy Settlement a confirmé l’interprétation des autorités fiscales en rejetant l’appel de la contribuable prétendant que son lieu de résidence était celui de la Barbade, soit le lieu de résidence de son fiduciaire. En effet, cet arrêt établissait que le lieu de résidence d’un fiduciaire n’est pas suffisant pour établir la résidence d’une fiducie, mais qu’il faut plutôt déterminer le lieu de la gestion centrale et du contrôle d’une fiducie afin d’établir la résidence d’une fiducie aux fins fiscales canadiennes. Bref, la Cour a étendu les principes régissant la résidence d’une société aux fiducies.

Analyse des jurisprudences récentes

• Affaire Discovery Trust

Les faits de l’affaire Discovery Trust sont les suivants :
CHC Helicopter Corporation (« CHC ») est une société de service de transport aérien. Le fondateur et ultime actionnaire de CHC, par l’entremise de sa société de gestion Discovery Helicopters Inc. (« DHI »), était M. Dobbin. Dans le contexte d’une réorganisation de société et d’un gel successoral, une fiducie familiale (« Fiducie ») a été créée en 2002 dont les fiduciaires et bénéficiaires étaient les enfants de M. Dobbin. La majorité des enfants étaient des résidents de la province de Terre-Neuve-et-Labrador. La Fiducie détenait des actions ordinaires et privilégiées de DHI à la suite du gel successoral.

En 2006, les fiduciaires ont été remplacés par une société résidente en Alberta, la Compagnie Trust Royal. Entre 2006 et 2008, plusieurs transactions ont eu lieu ayant des répercussions sur les actions de DHI, incluant à la toute fin la vente des actions de CHC par DHI.

Chacune des transactions a été approuvée par les bénéficiaires de la Fiducie, soit directement ou par leurs représentants. À la suite de la disposition des actions de CHC, DHI a distribué les produits de la vente à la Fiducie sous forme de dividendes sur les actions ordinaires et rachat d’actions privilégiées détenues par la Fiducie. La Fiducie a par la suite inclus dans le calcul de ses revenus les dividendes ordinaires et réputés qui lui ont été versés et a calculé son impôt à payer en tant que résidente de la province de l’Alberta à des fins fiscales. À la suite d’une demande formulée par les bénéficiaires avant la disposition des actions de CHC, la Fiducie a ensuite distribué les produits de la vente à ses bénéficiaires du capital.

Dans le cadre d’une vérification fiscale, l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») a émis un nouvel avis de cotisation pour l’année d’imposition 2008 à la Fiducie en prenant position que la Fiducie était résidente de la province de Terre-Neuve-et-Labrador, soit la province de résidence de la majorité des bénéficiaires. En effet, l’ARC alléguait que les bénéficiaires exerçaient en fait la gestion centrale et le contrôle de la Fiducie puisqu’ils ont approuvé chacune des transactions.

La Cour a tout d’abord révisé les principes établis dans l’affaire Fundy Settlement et a confirmé que la gestion centrale et le contrôle déterminent le lieu de résidence d’une fiducie. La Cour a tenu à préciser que ce principe s’applique aussi bien sur le plan international que sur le plan national afin de déterminer la province de résidence d’une fiducie.

Ensuite, la Cour s’est attardée sur le rôle des bénéficiaires dans le processus de prise de décisions d’une fiducie. À cet égard, la Cour a reconnu que l’approbation et la participation des bénéficiaires constituent une pratique courante dans le monde des affaires et ne devraient pas signifier que le fiduciaire n’a pas le contrôle sur la gestion de la fiducie dans certaines situations. Par exemple, il n’est pas inhabituel qu’une demande de distribution de capital soit présentée au fiduciaire par les bénéficiaires. Ainsi, afin de confirmer que ses décisions ont été prises dans l’intérêt des bénéficiaires et pour faire preuve de prudence, le fiduciaire peut tenir compte de l’opinion ou de la volonté des bénéficiaires dans son processus décisionnel. Par contre, afin de garder la gestion centrale et le contrôle dans les mains du fiduciaire, il est nécessaire que ce dernier possède le pouvoir de prendre la décision finale.

Il y a lieu d’ajouter que l’affaire Discovery Trust a également démontré que l’analyse de l’indépendance du fiduciaire devait être abordée en tenant compte de la nature, de l’importance ou de la matérialité de l’actif de la fiducie pour considérer le niveau de participation acceptable attendu d’un fiduciaire dans pareille situation. En l’espèce, l’ensemble de la preuve a démontré que l’indépendance du fiduciaire avait été maintenue quant aux transactions ayant impliqué la fiducie puisque le fiduciaire a fait preuve d’une diligence raisonnable, eu égard à l’actif de la fiducie géré puisqu’il a examiné la transaction et demandé des explications suffisantes en s’assurant que ces transactions n’avaient pas de conséquences négatives pour les bénéficiaires.

En tenant compte des circonstances de cette affaire, la Cour a jugé que le fiduciaire a maintenu son indépendance 1) en révisant chaque transaction, 2) en obtenant les explications nécessaires afin de prendre une décision, 3) en conservant le pouvoir de prendre la décision finale dans toute situation, 4) en s’assurant qu’aucune conséquence négative prévisible ne découlait de chaque transaction et 5) en s’assurant aussi que la transaction était dans l’intérêt des bénéficiaires.

La Cour a ainsi conclu que le fiduciaire avait le réel contrôle et la gestion de la fiducie, et que la Fiducie était donc résidente de l’Alberta.

• Affaire Boettger

Les faits de l’affaire Boettger sont les suivants :

La Fiducie Nancy Smith (« Fiducie NS ») a été mise en place le 25 mars 2002 par Jean-Pierre Gibeault, son constituant, lequel est résident du Québec (« JPG »). La bénéficiaire de la Fiducie NS est Nancy Smith, conjointe du constituant et résidente du Québec (« NS »). Le fiduciaire de la Fiducie NS est Roy D. Boettger (« Fiduciaire »), lequel a été choisi sous la recommandation des avocats de JPG, car il était résident de l’Alberta. Le Fiduciaire ne connaît ni le constituant ni la bénéficiaire. Cetco Capital inc. (« Cetco ») est une compagnie constituée en 1999 selon la partie 1A de la Loi sur les compagnies et a son siège social à Montréal. Ses administrateurs sont JPG (constituant de la Fiducie NS) et NS (bénéficiaire de la Fiducie NS).

La Fiducie NS a été mise en place à la suite de recommandations résultant d’opinions fiscales émises par un cabinet d’avocats et un cabinet de comptables. Ces opinions fiscales avaient été rendues à la demande du constituant JPG. Elles précisaient les différentes étapes à mettre en place afin d’établir une structure fiscale permettant à la Fiducie NS de bénéficier du taux d’impôt de l’Alberta sur un dividende réputé et à Cetco de récupérer son impôt en main remboursable à titre de dividendes. L’ensemble de la documentation avait été préparé à Montréal par la firme d’avocats avec la participation du Fiduciaire. Ces transactions ont eu lieu le 25 mars 2002. La Fiducie NS fut considérée comme relativement inactive par la suite, aucune transaction n’ayant été exécutée pour son compte outre une distribution de capital à la bénéficiaire NS en 2003.

En 2007, l’Agence du revenu du Québec (« Revenu Québec ») a émis un nouvel avis de cotisation pour l’année d’imposition 2002 à la Fiducie NS en prenant position que la Fiducie NS était résidente de la province du Québec, soit la province de résidence du constituant, de la bénéficiaire et de Cetco. En effet, Revenu Québec alléguait que le constituant JPG et Cetco exerçaient en fait la gestion centrale et le contrôle de la Fiducie.

Afin de statuer sur cette affaire, la Cour s’est attardée sur le rôle du Fiduciaire dans le processus de prise de décisions de la Fiducie NS, mais également du constituant JPG et de Cetco. Comme pour l’affaire Discovery Trust, la Cour a révisé les principes établis dans l’affaire Fundy Settlement et a confirmé que la gestion centrale et le contrôle déterminent le lieu de résidence d’une fiducie. Cependant, la Cour a également mentionné qu’elle ne pouvait pas s’en tenir uniquement à l’analyse du rôle du Fiduciaire dans ce cas et qu’elle ne pouvait faire abstraction des facteurs rattachant la Fiducie NS au constituant, au bénéficiaire, au fiduciaire et au patrimoine composant les biens de la fiducie.

Ainsi, l’ensemble de la preuve a démontré que le Fiduciaire avait été nommé uniquement pour son lieu de résidence. Il a également été prouvé que le rôle du Fiduciaire pour la Fiducie NS était assez minime (ouverture de compte et deux rencontres avec le constituant JPG et la bénéficiaire NS). Il fut démontré que l’ensemble des frais et dépenses de la Fiducie NS était payé par le constituant JPG et Cetco. Il fut démontré que les agissements et décisions du fiduciaire étaient dictés par les différentes étapes énumérées aux opinions fiscales des cabinets d’avocats et de comptables engagés par le constituant JPG et Cetco et circonscrits par l’acte de la Fiducie NS. En effet, la Cour a décidé que, malgré la présence d’articles donnant de larges pouvoirs au fiduciaire, tous les gestes d’importances pouvant être faits par le fiduciaire étaient balisés par l’acte de fiducie : 1) le mode de paiement de la Fiducie NS. 2) Les revenus devaient être remis à 100 % à la bénéficiaire. 3) En cas de rachat des actions, le produit devait être remis à 100 % à sa bénéficiaire. 4) Un protector pouvait être nommé par le constituant JPG, puis destituer le fiduciaire en poste et procéder à la nomination d’un fiduciaire remplaçant.

Ainsi, la Cour a établi que le Fiduciaire n’était qu’un élément de cette planification fiscale et que sa mission n’était pas de gérer le patrimoine de la Fiducie NS ni de le faire fructifier, mais de le détenir passivement et de suivre les règles édictées dans l’acte de fiducie et les mémorandums. La Cour a ainsi conclu que le Fiduciaire n’avait pas le contrôle réel de la Fiducie NS et que c’était plutôt le constituant JPG et Cetco qui avaient la gestion centrale et le contrôle de la Fiducie NS et que celle-ci était par conséquent résidente de la province de Québec.

Conclusion

Ces deux décisions confirment donc la tendance jurisprudentielle instaurée par l’arrêt Fundy Settlement. Elles confirment également que le test de gestion centrale et du contrôle conçu pour déterminer la résidence d’une société dans l’affaire De Beers Consolidted Mines Ltd. v. Howe, (1906) A.C. 4 SS (H.L.), s’étend plus que jamais aux fiducies et aux successions. Elles démontrent et attestent l’importance de répondre aux critères suivants lors de la mise en place d’une structure pour bénéficier de taux fiscaux plus avantageux ou tout simplement pour choisir les fiduciaires d’une fiducie ou les liquidateurs d’une succession :

1) Quel est l’endroit où se situent la possession et le contrôle des actifs de la fiducie?

2) Où sont tenues les réunions des fiduciaires et où sont prises les décisions concernant les actifs et l’administration de la fiducie?

3) Par qui sont prises les décisions financières touchant la fiducie?

4) Quelle est l’importance du contrôle des fiduciaires et de l’influence des autres acteurs rattachés (ou non) à la fiducie en cause, tels les bénéficiaires, constituants et conseillers d’affaires?

5) Est-ce que les fiduciaires sont responsables des questions administratives, telles que la gestion des investissements, la préparation des déclarations d’impôt de la fiducie et de la garde et la supervision de ses actifs?

Les arrêts Discovery Trust et Boettger sont importants, car ils soutiennent qu’à moins de démontrer que les fiduciaires jouent réellement un rôle actif dans leurs fonctions, que leurs tâches vont au-delà des tâches administratives et que les fiduciaires ont le pouvoir final des décisions impliquant la gestion et les stratégies de la fiducie, il faudra alors analyser les acteurs de la fiducie en cause et leurs niveaux d’implication dans les activités et décisions de celle-ci pour statuer sur le lieu de résidence de la fiducie.
Par ailleurs, il appert de cette tendance jurisprudentielle que le concept d’administrateur de facto régissant les sociétés est transformé en une nouvelle notion de « fiduciaire de facto » pour les fiducies. En effet, l’administrateur de facto sera considéré comme un administrateur si, dans les faits, il accomplit des actions normalement réservées aux administrateurs. Dorénavant, il faudra s’assurer qu’aucun administrateur, constituant, tiers, mandataire de l’un des acteurs de la fiducie ou bénéficiaire ne puisse inférer dans les décisions des fiduciaires en poste et encore moins contrôler leurs décisions. Évidemment, il faudra éviter qu’une personne résidant à l’extérieur du lieu d’imposition choisi ne puisse avoir un droit de veto ou un pouvoir de nomination des fiduciaires de la fiducie.

Ces jugements nous obligent également à remettre en question les protectors, ayant généralement les pouvoirs de modifier les fiduciaires en poste que nous retrouvons dans les fiducies de common law, et des lettres d’intention, qui peuvent souvent être préparées pour expliquer l’intention du constituant ou du fiduciaire possédant un pouvoir d’électeur sur les biens et décisions de la fiducie. Les conclusions de ces deux jugements permettent de penser que la résidence fiscale des protectors ou des auteurs des lettres d’intention pourraient déterminer la résidence fiscale de la fiducie.

Le jugement Boettger rendu par la Cour supérieure du Québec vient soulever plusieurs interrogations quant à la rédaction des fiducies dans ce contexte et ouvre à nouveau le débat entre les règles fiscales et les règles des fiducies édictées par le Code civil du Québec notamment quant au rôle du constituant et du fiduciaire. L’analyse et les prétentions de la Cour nous rendent perplexes quant au test réalisé et à la capacité qu’avait la Cour d’en élargir les balises. L’importance des conseillers juridiques et des comptables au dossier engagés par le constituant laisse présager une certaine confusion dans le rôle et les conséquences fiscales possibles pour les clients. De plus, les conclusions de ce jugement montrent clairement qu’il y a lieu de se questionner sur les fiducies non discrétionnaires rédigées de manière à restreindre et baliser clairement les pouvoirs des fiduciaires et à édicter la façon dont les revenus et le capital devront être distribués aux bénéficiaires.

Texte paru dans le Stratège Volume 21, no 1, mars 2016. 

Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification fiscale et financière (APFF), et a été écrit par George Angelopoulos, avocat, D. Fisc., Directeur, Fiscalité et Andrée-Anne Potvin, notaire, M. Fisc. Directrice principale – Fiscalité