Déterminer si un employé peut bénéficier de cette exemption fiscale n’est pas une tâche facile. Pourtant, c’est l’employeur qui a la responsabilité de trancher et de retenir ou non l’impôt sur le salaire qu’il verse à son employé.
De quelle façon l’employeur doit-il s’acquitter de son obligation de diligence et de vérification dans ce contexte? Comment concilier les intérêts de ses employés indiens avec ses obligations envers les autorités fiscales?
L’exemption du revenu d’un Indien prend sa source dans la Loi sur les Indiens. Les fondements de l’exonération se trouvent à l’article 87 de la Loi sur les Indiens qui prévoit, entre autres, que les biens meubles d’un Indien qui sont situés sur une réserve sont exempts de taxation. Les lois de l’impôt sur le revenu en vigueur au Québec reconnaissent l’exemption par les paragraphes 81(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu et 725e) de la Loi sur les impôts. La principale difficulté ici est de déterminer le situs du bien meuble en question, c’est-à-dire le revenu qui est un bien intangible.
Les principes actuels entourant l’admissibilité à l’exonération du revenu d’un Indien remontent au début des années 1990 avec l’arrêt Williams c. La Reine ([1992] 1 R.C.S. 877) (« Williams ») de la Cour suprême du Canada. Dans cette cause, on cherchait à situer géographiquement des prestations d’assurance-emploi versées à un Indien. Les autorités fédérales alléguaient que l’on devait s’en remettre au vieux principe du droit international privé voulant que le lieu de la prestation soit celui du débiteur. La Cour suprême du Canada a conclu que, dans le contexte de l’exemption fiscale du revenu d’un Indien, on ne peut s’en remettre à ce principe pour déterminer si l’imposition porte atteinte à ses droits. C’est aussi cet arrêt qui a amené le principe voulant qu’un revenu découlant d’un autre revenu soit considéré comme situé au même endroit que celui-ci.
La méthode de détermination édictée par la Cour suprême du Canada implique que l’on doive se baser sur une analyse factuelle nous amenant à accorder plus ou moins de poids à divers facteurs dans les circonstances propres au cas analysé. La complexité de l’exercice découle du fait que l’on doive tenir compte du rapport des catégories de biens (dans notre cas, les revenus) et des types d’imposition s’y rapportant. Force est d’admettre qu’une telle analyse est loin d’être évidente et qu’il est fort possible que les autorités fiscales puissent arriver à une conclusion différente de celle de l’employeur.
Les tribunaux ont mis de l’avant différents facteurs permettant de rattacher un revenu à une réserve. Dans le cas du revenu d’emploi, les principaux facteurs sont : le lieu où le travail est accompli, le lieu de résidence de l’employeur, le lieu de résidence de l’employé indien, ainsi que le lieu où le salaire est versé. Dans ce contexte, comment nos entreprises peuvent-elles statuer avec suffisamment d’assurance sur le fait qu’un employé indien ait droit ou non à l’exemption de son revenu? Ce test légal est loin d’être évident et peut donner des mots de tête à bien des employeurs.
Dans toute la mouvance créée par l’arrêt Williams, l’Assemblée des Premières Nations a formé, en 1993, un groupe de travail conjoint avec l’Agence du revenu du Canada (« ARC »). Le but de l’exercice était d’établir certaines convenances pour permettre de baliser concrètement l’imposition d’un Indien dans notre système d’autocotisation. Le groupe de travail a convenu que l’aspect le plus urgent était l’imposition du revenu d’emploi. Les travaux de ce groupe en sont malheureusement restés à ce niveau, puisque l’ARC n’a pas émis de pareilles lignes directrices relativement aux autres types de revenus. Ces lignes directrices sont en fait un outil administratif permettant d’obtenir une approximation du résultat du test basé sur les facteurs de rattachement mis de l’avant par la Cour suprême du Canada. Voici ces lignes directrices qui sont aussi appliquées par Revenu Québec.
Tout le revenu qu’un Indien tire d’un emploi sera habituellement exonéré d’impôt sur le revenu si les conditions d’une des lignes directrices suivantes sont réunies :
Ligne directrice 1
• L’Indien accomplit au moins 90 % des tâches liées à son emploi dans une réserve.
Ligne directrice 2
• L’employeur réside dans une réserve;
• L’Indien vit lui-même dans une réserve.
Ligne directrice 3
• Plus de 50 % des tâches liées à l’emploi sont accomplies dans une réserve;
• L’employeur ou l’Indien réside dans une réserve.
Ligne directrice 4
• L’employeur réside dans une réserve;
• Les tâches liées à l’emploi font partie des activités non commerciales de l’employeur, lesquelles ne visent que le mieux-être des Indiens qui vivent, pour la plupart, dans des réserves;
• L’employeur est, selon le cas :
– une bande indienne possédant une réserve, ou un conseil de bande représentant une ou plusieurs bandes indiennes qui possèdent des réserves;
– une organisation indienne relevant d’un ou de plusieurs conseils ou bandes semblables et qui se consacre exclusivement au développement social, culturel, éducationnel ou économique d’Indiens qui vivent, pour la plupart, dans des réserves.
Il est primordial de comprendre que ces lignes directrices ne lient pas les autorités fiscales à l’égard de l’employé indien ou de l’employeur. Il est mentionné que le revenu qu’un Indien tire d’un emploi sera « habituellement » exonéré. Les autorités fiscales peuvent donc refuser de considérer un employé indien comme étant exempté, même si l’on se trouve dans l’une des situations énumérées ci-dessus.
Le cas classique où l’ARC peut refuser l’exonération est lorsqu’un employeur faisant du louage de services s’appuie uniquement sur la deuxième ligne directrice pour considérer comme exempt d’impôt le revenu de ses employés qui travaillent à l’extérieur de la réserve.
Cette ligne directrice met l’accent sur le fait que l’employeur et l’Indien résident tous les deux dans une réserve sans considérer où sont exécutées les tâches liées à l’emploi. A priori, la logique de cette ligne directrice n’est pas dénuée de sens, dans la mesure où il existe un lien de subordination entre l’employeur et son employé.
La Cour suprême du Canada a d’ailleurs réitéré dans l’arrêt Williams que les Indiens jouissent d’un choix de placer ou non leurs biens sur la réserve afin qu’ils puissent bénéficier de la protection prévue par la loi. On comprend que l’employé n’a pas vraiment le contrôle sur le lieu où le travail doit être accompli.
La simple utilisation d’une agence de placement de personnel sur une réserve pour faire exempter le revenu d’emploi d’un Indien qui travaille à l’extérieur de la réserve n’est pas acceptée par les autorités fiscales. D’ailleurs, tout porte à croire que les entités qui feraient ainsi du placement de personnel seraient assujetties aux nouvelles règles visant l’obtention d’attestation auprès de Revenu Québec. Pour plus amples renseignements à ce sujet, on peut se référer à l’article paru dans Stratège (2015), vol. 20, no 4 Stratège 8-13, Sylvain THIBEAULT et Kristina LUCIC, « Survol portant sur les attestations de Revenu Québec », Revenu Québec a toujours considéré que les règles fiscales applicables au Québec s’appliquaient aussi dans les réserves même si elles sont sous la juridiction du gouvernement fédéral.
Comme les employés d’une agence de placement située sur une réserve ne peuvent pas bénéficier de l’exemption s’ils travaillent à l’extérieur, il faut être en mesure de reconnaître si nous sommes ou non une agence de placement. Cela n’est pas toujours évident lorsque le service facturé au client est basé sur le nombre d’heures passées par notre employé chez lui. Il existe une zone grise entre le simple placement de personnel et la sous-traitance. Il faut porter une attention particulière à la relation entre les divers intervenants. Un élément fondamental est de regarder qui dirige l’employé lorsqu’il est chez le client. Est-il supervisé par le personnel du client ou plutôt à distance par son employeur? Les autres critères établis par la jurisprudence pour distinguer le contrat de travail du contrat de service peuvent aussi être utilisés pour apprécier les faits propres à la situation. S’il appert que la relation entre l’employeur et le client chez qui l’employé exécute ses tâches implique une obligation de résultat, l’entreprise ne devrait pas être considérée comme une agence de placement.
Avec les diverses portes qui se sont ouvertes aux Premières Nations dans l’effort de développement économique du Nord québécois, plusieurs employés indiens ont été appelés à travailler hors réserve même si leur employeur résidait sur la réserve. Il est donc préférable d’accorder une attention particulière à cet aspect dès le départ afin de ne pas se retrouver avec un passif fiscal important.
Dans la plupart des décisions portant sur le revenu d’emploi d’un Indien qui travaille à l’extérieur de sa réserve, les tribunaux ont accordé beaucoup de poids au lieu où les tâches étaient accomplies. Comme conséquence directe dans la politique administrative des autorités fiscales, on affirme qu’il s’agit du facteur clé. Il faut toutefois mettre en perspective que l’analyse factuelle des causes portées devant les tribunaux amenait le juge à ne pas accorder beaucoup d’importance à la résidence de l’employeur, voire considérer ce facteur comme étant artificiel.
Même si le facteur du lieu où les tâches sont accomplies est souvent important, il ne faut pas perdre de vue que la méthode prescrite par la Cour suprême du Canada considère l’ensemble des facteurs.
Malheureusement, le plus haut tribunal du pays n’a jamais eu l’occasion par la suite de nous instruire sur un cas de revenu d’emploi pour du travail accompli hors réserve. La Cour d’appel fédérale s’est toutefois penchée sur la question dans un contexte de revenu d’entreprise avec l’arrêt Robertson c. La Reine (2012 CAF 94). Dans cette décision, la Cour a montré beaucoup d’ouverture et s’est vue accorder l’exemption à un Indien exploitant une entreprise de pêche à l’extérieur de la réserve.
Il est important de préciser que le fait que les activités exercées par l’Indien puissent avoir un lien avec son mode de vie traditionnel ne doit pas peser dans l’analyse. Élément encore plus surprenant dans cette affaire, bien que l’Indien ait eu des liens étroits avec sa communauté sur la réserve, son domicile n’y était même pas situé. Comment ne pas mettre en question ici la position très restrictive des autorités fiscales?
Pour que le critère de la résidence de l’employeur se voie accorder du poids, il faut que l’employeur lui-même soit rattaché à la réserve. Il ne s’agit pas ici d’installer ses bureaux et son administration sur la réserve ou encore moins d’y prendre une simple boîte postale. La jurisprudence est claire sur le fait qu’on ne doit pas accorder de poids à un facteur de rattachement artificiel ou trompeur.
On regarde donc si la réserve tire des avantages réels de la présence de l’employeur sur son territoire. Par exemple, le fait qu’une bande indienne soit actionnaire d’une société employant ses membres constituerait un avantage non négligeable pour la communauté. La politique des autorités fiscales va même jusqu’à s’attendre à voir des bénéfices directs et significatifs pour la réserve. L’argument voulant que la présence de l’entité crée de l’emploi pour les membres de la communauté ne serait donc pas suffisant à lui seul.
On comprend donc qu’il faut être très prudent avant de s’appuyer sur les lignes directrices pour considérer le revenu d’emploi d’un Indien comme étant exempt d’impôt. Ces lignes directrices s’appliquent à la plupart des situations, mais les autorités fiscales se gardent le droit de s’en dissocier. Cela est encore plus vrai lorsque les membres des Premières Nations sont appelés à exécuter les tâches liées à leur travail à l’extérieur du territoire de leur communauté. Avant de prendre position et de considérer que l’on n’a aucun risque en tant qu’employeur, une analyse plus approfondie peut s’avérer nécessaire et prudente.
Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification financière et fiscale (APFF), et a été écrit par Pierre Brosseau.