Cette lettre avait aussi pour but de communiquer une réponse possible à ces appréhensions. Certaines d’entre elles font l’objet du texte qui suit. La solution décrite suggère, à certaines conditions, de ne pas appliquer l’alinéa 104(13.4)b) L.I.R. aux fiducies lors du décès du bénéficiaire.
Tel que la loi le prévoit actuellement, à compter du 1er janvier 2016, les fiducies en faveur de soi-même, en faveur de l’époux ou du conjoint de fait (fiducie exclusive) ou les fiducies mixtes en faveur de l’époux ou du conjoint de fait, testamentaires et non testamentaires, existantes et à créer, seront assujetties à de nouvelles règles fiscales prévues aux paragraphes 104(13.4) et 160(1.4) L.I.R. Ces mesures portent respectivement sur les revenus réalisés lors de la disposition réputée des biens de ces fiducies au décès du bénéficiaire et sur leur responsabilité conjointe et solidaire de payer l’impôt à la suite du décès du bénéficiaire. L’application simultanée de ces nouvelles règles peut poser le problème de savoir qui, en pratique, paiera l’impôt au décès du bénéficiaire?
Prenons l’exemple suivant.
Conjoint A est marié à Conjoint B. Conjoint A a deux enfants d’une première union et Conjoint B en a quatre aussi d’une première union. En vertu du testament de Conjoint A, au décès de ce dernier, l’ensemble de ses biens en immobilisation sera transféré en franchise d’impôt à une fiducie exclusive en faveur de Conjoint B.
Le testament de Conjoint A prévoit aussi qu’au décès de Conjoint B, le capital de la fiducie exclusive sera transmis aux deux enfants de Conjoint A. Quant au testament de Conjoint B, il prévoit qu’à son décès, ses quatre enfants hériteront des biens de sa succession. Dans ce cas, au décès de Conjoint B, qui paiera l’impôt afférent aux biens de la fiducie exclusive? La réponse sera différente selon la date du décès de Conjoint B.
Si le décès de Conjoint B survient avant le 1er janvier 2016, ce sont les règles prévues à l’alinéa 104(4)a) L.I.R. qui s’appliqueront.
L’alinéa 104(4)a) L.I.R. prévoit qu’au jour du décès de l’époux ou du conjoint de fait ou au jour du décès du constituant ou, s’il est postérieur, au jour du décès de l’époux ou du conjoint de fait, lorsque la fiducie est testamentaire ou non testamentaire en faveur de l’époux ou du conjoint de fait, en faveur de soi-même ou qu’elle est mixte en faveur de l’époux ou du conjoint de fait, cette fiducie est réputée avoir disposé de chacune de ses immobilisations à une valeur équivalente à sa juste valeur marchande (« JVM ») à la fin de ce jour et avoir réacquis ces mêmes biens immédiatement après ce jour pour un montant égal à cette même valeur. Par conséquent, dans notre exemple, la fiducie exclusive sera réputée avoir disposé de ses biens à la fin du jour du décès de Conjoint B et sera imposée sur le revenu qui en découlera. Les deux enfants de Conjoint A recevront le capital de la fiducie exclusive une fois l’impôt acquitté par cette dernière. Ainsi, puisque c’est la fiducie qui réalise le revenu, c’est elle qui paie l’impôt.
Si le décès de Conjoint B survient le 1er janvier 2016 ou après cette date, ce sont les règles prévues aux nouveaux alinéas 104(13.4)a) et 104(13.4)b) ainsi qu’au paragraphe 160(1.4) L.I.R. qui s’appliqueront. L’alinéa 104(13.4)a) L.I.R. prévoit que l’année d’imposition de la fiducie sera réputée se terminer à la fin du jour du décès du bénéficiaire, alors que l’alinéa 104(13.4)b) L.I.R. prévoit que tout revenu (incluant le gain en capital) réputé réalisé par la fiducie en vertu de l’alinéa 104(4)a) L.I.R. sera réputé être devenu payable au bénéficiaire décédé dans l’année de son décès.
Ces revenus seront inclus dans la déclaration de revenus finale du bénéficiaire plutôt que dans celle de la fiducie. En se référant à notre exemple, ces règles auront pour effet de réputer le revenu de la fiducie payable à Conjoint B dans l’année de son décès. La succession de Conjoint B (ses quatre enfants) devra inclure ce revenu dans la déclaration de revenus finale de Conjoint B et acquitter l’impôt. Quant au capital de la fiducie exclusive, il ira aux deux enfants de Conjoint A en vertu de son testament. Avec les nouvelles règles, l’impôt pourrait devoir être payé par une autre partie que celle qui bénéficierait du capital, ce qui est plutôt inéquitable.
Néanmoins, l’application conjointe des nouveaux alinéas 104(13.4)a) et 104(13.4)b) L.I.R. et de l’actuel alinéa 104(4)a) L.I.R. aura comme avantage de calculer l’impôt entre les mains du bénéficiaire décédé (Conjoint B) plutôt que dans celles de la fiducie et d’utiliser les attributs fiscaux disponibles du bénéficiaire – tels les crédits pour dons, les pertes en capital reportées et les provisions particulières – à l’encontre du revenu généré dans la fiducie au moment du décès.
L’application conjointe aura aussi comme avantage, dans le cas où la fiducie serait réputée avoir réalisé et transféré à Conjoint B un gain en capital admissible à sa déduction pour gains en capital, de permettre de demander cette déduction dans la déclaration de revenus finale de Conjoint B. En outre, le gain en capital découlant de la disposition réputée des biens de la fiducie au décès de Conjoint B sera imposé à des taux progressifs plutôt qu’à un taux uniforme correspondant au taux marginal le plus élevé de la fiducie. Dans la plupart des cas, on peut penser que la facture d’impôt imputable à Conjoint B après son décès sera inférieure à ce qu’elle aurait été si les revenus avaient été imposés dans les mains de la fiducie.
En revanche, l’application de la disposition prévue à l’alinéa 104(13.4)b) L.I.R. entraînera deux conséquences : d’une part, augmenter le fardeau fiscal de la succession de Conjoint B même si les biens de la fiducie sont transférés aux deux enfants de Conjoint A et, d’autre part, empêcher toute planification qui permettait l’imposition du gain en capital dans la province de résidence de la fiducie plutôt que dans celle où résidait Conjoint B. En conclusion, à compter du 1er janvier 2016, il sera nécessaire d’être attentif à l’application conjointe des alinéas 104(4)a) et (13.4)a) et (13.4)b) L.I.R. et à leurs effets d’iniquité.
Quant à la nouvelle règle du paragraphe 160(1.4) L.I.R., qui prévoit que le bénéficiaire décédé et la fiducie seront conjointement et solidairement responsables de payer l’impôt dû en vertu du paragraphe 104(13.4) L.I.R., son application présente une incongruité.
En matière de fiscalité, en principe et en pratique, lorsque la loi prévoit une responsabilité conjointe et solidaire de plusieurs contribuables, c’est le contribuable qui est tenu d’inclure le revenu dans sa déclaration qui est implicitement responsable de payer l’impôt afférent. Si le contribuable omet de s’y conformer, l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») peut prendre un recours à l’encontre d’un autre contribuable conjointement et solidairement responsable. Dans notre exemple, comme les revenus gagnés par la fiducie sont réputés être transférés à Conjoint B dans l’année de son décès et qu’en vertu du paragraphe 104(13.4) L.I.R., Conjoint B est le premier responsable de les inclure dans sa déclaration de revenus et de payer l’impôt, il reviendrait donc à sa succession d’acquitter la facture d’impôt.
Cependant, les notes explicatives relatives au paragraphe 160(1.4) L.I.R. émises en octobre 2014 par le ministère des Finances indiquent qu’« il est prévu que le ministre applique le paragraphe 160(2) relativement aux sommes dues en vertu du paragraphe 160(1.4) comme si la fiducie était responsable en premier lieu » (notre soulignement).
Ces notes contredisent le libellé même du paragraphe 104(13.4) L.I.R., qui prévoit clairement une imputation de premier niveau au bénéficiaire décédé – indirectement, à sa succession – et non à la fiducie. Force est de constater qu’en principe, aux fins de l’application du paragraphe 160(1.4) L.I.R., l’ARC pourrait cotiser la fiducie sans égard au fait que la succession soit en mesure de remplir ou non, en tout ou en partie, son obligation de payer l’impôt résultant du paragraphe 104(13.4) L.I.R. Ainsi, dans notre exemple, l’ARC pourrait prendre une mesure à l’encontre de l’une ou l’autre de la succession de Conjoint B ou de la fiducie. D’autres questions se posent quant à l’impact du paiement de l’impôt par la fiducie à la place de la succession.
Rappelons qu’en vertu du paragraphe 108(1) L.I.R., sauf pour quelques exceptions, une fiducie testamentaire est une « fiducie qui a commencé à exister au décès d’un particulier et par suite de ce décès » et dont les biens n’ont pas été remis à la fiducie autrement que par le particulier lors de son décès ou postérieurement ou par suite de ce décès.
Rappelons aussi qu’en vertu du paragraphe 105(1) L.I.R., « la valeur des avantages conférés à un contribuable pendant une année d’imposition par une fiducie ou en vertu d’une fiducie, […] doit être incluse dans le calcul du revenu du contribuable pour l’année ».
Par conséquent, compte tenu du paragraphe 108(1) L.I.R., quelle serait la position de l’ARC dans le cas où, d’emblée, la fiducie payait volontairement l’impôt dû en vertu du paragraphe 104(13.4) L.I.R. en remplacement de la succession de Conjoint B ou si elle versait à la succession le montant d’impôt dû? De telles pratiques pourraient-elles entraîner des conséquences fiscales pour la succession de Conjoint B en lui faisant perdre son statut de fiducie testamentaire et, du coup, son droit à des taux d’impôt progressifs de même que d’autres avantages fiscaux? Compte tenu du paragraphe 105(1) L.I.R., le montant versé par la fiducie à l’ARC ou à la succession pour être versé à l’ARC pourrait-il être considéré comme un avantage imposable entre les mains de la succession?
En outre, selon le paragraphe 160(1.4) L.I.R., la responsabilité conjointe et solidaire ne vaut que pour l’impôt dû, qu’en est-il des intérêts à payer pour retard de paiement de l’impôt advenant le fait que la fiducie les paie à la place de la succession? À nouveau, les paragraphes 108(1) et 105(1) L.I.R. trouveraient-ils application?
Ces quelques questions illustrent les difficultés que présente l’application des dispositions de la loi qui entreront en vigueur le 1er janvier 2016. En attendant la position de l’ARC, des fiscalistes ont élaboré quelques pistes de solution. Bien qu’il n’y ait pas unanimité sur l’impact de ces façons de procéder, nous en présentons certaines.
Pour éviter que la succession du bénéficiaire (Conjoint B) perde son statut de fiducie testamentaire en raison du montant versé par la fiducie aux administrations fiscales et que ce montant soit imposé entre les mains de la succession, l’acte constituant la fiducie, le testament du constituant (Conjoint A), ou encore un contrat d’indemnisation ou de contribution pourrait accorder le pouvoir aux fiduciaires de payer l’impôt à la place de la succession de Conjoint B, voire les obliger selon la nature de l’entente, ou indemniser la succession, le cas échéant. Un tel document devrait prévoir que la fiducie paie l’impôt directement à l’ARC lorsqu’elle sera cotisée. Un montant devra être conservé par la succession de Conjoint B pour rembourser les intérêts en cas de retard de paiement de l’impôt. Le document utilisé pourrait prévoir que tout remboursement d’impôt reçu par la succession serait versé à la fiducie.
Au Québec, une autre solution pourrait atteindre le même but, à savoir l’utilisation du contrat de mariage ou d’union civile pour créer une dette courante entre conjoints de leur vivant. Bien qu’en vertu de l’article 631 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »), il n’est pas permis de conclure un accord relativement à une succession qui n’est pas encore ouverte, il existe une exception. Le contrat de mariage ou d’union civile peut prévoir une donation entre vifs qui se concrétise à la fin d’un terme, par exemple, au décès de l’un des deux conjoints ou au décès des deux conjoints (art. 1807 et 1840 C.c.Q.).
Voyons à l’aide de notre exemple : puisque Conjoint A et Conjoint B sont mariés, une dette courante pourrait être contractée engageant Conjoint A à payer l’impôt découlant du paragraphe 104(13.4) L.I.R. au décès de Conjoint B. En pratique, au décès de Conjoint A, la fiducie exclusive en faveur de Conjoint B serait créée et recevrait les biens de Conjoint A par roulement fiscal. La dette courante de Conjoint A envers Conjoint B obligerait la fiducie exclusive à payer l’impôt découlant de l’application du paragraphe 104(13.4) L.I.R. au décès de Conjoint B.
En créant une dette courante entre les deux conjoints vivants (A et B), la succession de Conjoint B ne perdrait pas son statut de fiducie testamentaire puisqu’il n’y aurait pas de transfert de biens à la succession pour une raison autre que le décès au sens du paragraphe 108(1) L.I.R.
Dans l’éventualité d’un tel scénario, il serait important que la clause sur la donation soit rédigée avec soin et que l’intention des parties (faire une donation entre vifs et non à cause du décès) soit indiquée sans équivoque tant en fait, en circonstances que dans le libellé de cette clause. Avant de faire une telle donation par contrat de mariage ou d’union civile, il conviendrait de consulter un professionnel juridique.
Un autre moyen d’éviter à la succession la perte de son statut de fiducie testamentaire serait de s’assurer que la succession de Conjoint B ait personnellement les liquidités pour payer l’impôt dû en vertu du paragraphe 104(13.4) L.I.R. Une des sources de financement à envisager est la détention d’une police d’assurance vie personnellement par Conjoint B. Ce dernier devrait avoir désigné sa succession comme bénéficiaire de la police. De cette façon, à son décès, le produit d’assurance vie serait distribué directement à sa succession qui pourrait payer l’impôt dû.
Dans une situation concernant les paragraphes 104(13.4) et 160(1.4) L.I.R., si la source de financement retenue pour payer l’impôt est une police d’assurance vie, bien qu’il y ait un risque de « contaminer » la fiducie et d’entraîner la perte du roulement fiscal lors du transfert des biens du constituant à la fiducie (voir AGENCE DU REVENU DU CANADA, interprétations techniques 2012-0435681C6, 2006-0174041C6 et 2006-0185551C6), la police pourrait être détenue par la fiducie ou par une société du bénéficiaire, le cas échéant. Pour choisir qui devrait être le titulaire de la police d’assurance vie, il est essentiel de déterminer qui devra payer l’impôt au décès du bénéficiaire de la fiducie.
L’application des nouvelles règles relatives aux fiducies mentionnées précédemment amène certainement un questionnement, elle propose aussi de nouveaux défis aux planificateurs. Selon les circonstances, l’acte de fiducie, le testament, le contrat de mariage ou d’union civile et l’assurance vie peuvent faire partie de la planification.
Devant une telle situation, le ministère des Finances du Canada envisage de considérer la solution décrite dans sa lettre dans une optique d’équité, de neutralité et de prévention de l’érosion de l’assiette fiscale.
Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification fiscale et financière (APFF), et a été écrit par Karine Gaouette Précourt.