Afin d’avoir assez d’informations en main permettant de prendre la décision d’exploiter une mine, les sociétés minières au stade de l’exploration peuvent engager des sommes énormes en frais d’exploration. Puisqu’il est difficile de financer ces investissements, le ministère des Finances du Québec a introduit un crédit d’impôt relatif aux ressources (« CIRR ») afin d’encourager l’exploration minière au Québec. Le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles du Québec, quant à lui, définit le crédit comme étant un mécanisme d’aide directe aux sociétés minières admissibles qui engagent des dépenses d’exploration admissibles sur le territoire québécois (voir le site web). Or, l’objectif est d’aider les sociétés à se rendre à la phase de mise en valeur et d’exploitation de la ressource.
Toutefois, l’aide fiscale découlant du crédit d’impôt apparaît moins généreuse qu’on pourrait le croire. Il semble y avoir divergence d’opinion entre l’industrie et les autorités fiscales sur l’interprétation de ce qu’est une dépense d’exploration admissible au crédit, telle qu’elle est définie au paragraphe 395c) de la Loi sur les impôts (« L.I. »). Essentiellement, les frais admissibles doivent être engagés pour déterminer l’existence d’une ressource minérale au Canada, situer une telle ressource, ou en déterminer l’étendue ou la qualité. Le test d’objet tel qu’il est décrit au paragraphe 395c) L.I. semble avoir une portée assez large. Le Ministère ne serait pas du même avis. D’ailleurs, Revenu Québec a récemment intensifié ses vérifications à l’égard du CIRR, un crédit pleinement remboursable, et de nombreuses cotisations semblent confirmer l’interprétation plutôt restrictive de la définition de frais d’exploration admissibles au CIRR.
Ceci dit, le principal critère de la définition qui pose un problème d’interprétation est celui de la détermination de la qualité de la ressource. Les divers types de minerais recherchés et exploités au Québec ne sont plus seulement l’or, l’argent, le zinc ou le cuivre (à titre d’exemple). Nous retrouvons plutôt des minerais qui imposent des défis de qualification beaucoup plus importants qu’autrefois. Avec la croissance de l’exploration touchant des minerais qui n’étaient pas exploités auparavant au Québec, de nombreuses recherches, études, analyses et de multiples tests sont nécessaires afin d’en connaître la qualité. Les ressources minérales non encore exploitées au Québec sont également souvent moins concentrées et se trouvent en profondeur dans le sol, ce qui augmente les coûts, le risque et la complexité de l’exploration.
D’ailleurs, plutôt qu’à une profondeur de 300 ou 400 mètres sous terre, nous pouvons parfois situer la ressource à 1 500 mètres, voire à 2 000 mètres. Quoi qu’il en soit, l’interprétation actuelle des autorités fiscales ne semble pas tenir compte de ces nouvelles réalités. Or, il est pertinent de poser la question suivante : est-ce que les positions administratives et les interprétations actuelles du fisc relativement à cette définition sont adéquates et souhaitables à l’ère des minéraux complexes qui sont recherchés aujourd’hui? Le présent article analysera la disparité qui s’est créée au fil du temps entre l’interprétation du fisc et les acteurs dans le domaine, et proposera des pistes de solution.
La législation et l’admissibilité des frais résultant d’activités d’exploration
Afin d’étoffer la compréhension approfondie de l’enjeu, il est important de noter que l’article 1 L.I. définit une ressource minérale comme signifiant un gisement de métaux communs ou précieux, de charbon, de sable bitumineux, de schiste bitumineux, ou un gisement minéral. Or, il est nécessaire de considérer une ressource minérale, ou plutôt un gisement, comme étant un « tout » à l’intérieur de ses coordonnées spatiales définies. Ainsi la localisation, l’accès et la détermination de l’exploitabilité de la ressource ont un impact direct sur la qualité de ladite ressource minérale. Ceci dit, les différences d’interprétation mentionnées précédemment viennent souvent du fait que les autorités fiscales considèrent seulement la qualité du minerai ainsi que ses qualités techniques, plutôt que le gisement dans son ensemble, tel qu’il est décrit dans la loi.
Selon l’interprétation actuelle, les autorités fiscales refusent d’incorporer le facteur économique à la définition de « qualité de la ressource ». Il est pourtant difficile d’imaginer que ces deux termes et principes ne soient pas intimement liés, en ce qui a trait aux activités d’exploration pouvant conduire à la décision de mener un gisement au stade de la production commerciale. En d’autres termes, comment évaluer la qualité d’une ressource minérale sans connaître son potentiel économique en vue de l’exploitation? Ainsi, compte tenu des procédés modernes d’exploration qui sont maintenant nécessaires, il serait important de revoir le test d’objet contenu au paragraphe 395c) L.I. (ou son équivalent fédéral à l’alinéa 66.1(6)f) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« L.I.R. ») et voir ce qu’on entend par la détermination de la qualité de la ressource. La Cour a noté, dans l’affaire International Nickel Co. of Canada Ltd. c. MRN (69 D.T.C. 5092 (C. de l’É.)), que la définition du mot « exploration » donnée dans le dictionnaire inclut le travail entrepris pour augmenter la connaissance en ce qui concerne la taille, la forme, la position, les caractéristiques et la valeur d’un gisement. Par conséquent, il est clair qu’on ne peut acquérir des connaissances sur la « valeur » d’un gisement minéral sans examiner les caractéristiques économiques et commerciales dudit gisement.
Un exemple précis de l’impact du rejet de la notion économique dans la définition de « qualité de la ressource » par les autorités fiscales peut être illustré par l’admissibilité des études de faisabilité effectuées par les firmes de génie-conseil, qui représentent une portion non négligeable des frais engagés lors de l’exploration.
Frais reliés à une étude de faisabilité : peuvent-ils être considérés comme admissibles au CIRR?
Il existe certaines décisions des tribunaux qui pourraient nous permettre de remettre en question l’interprétation étroite des autorités fiscales à l’égard de l’admissibilité des frais reliés à une étude de faisabilité. D’abord, dans la cause Oro Del Norte S.A. c. La Reine (93 D.T.C. 5217 (C.F. 1re inst.)), le juge établit qu’à la lumière de l’historique de la législation (référence au paragraphe 66.1(6) L.I.R.), les dépenses en question sont celles engagées dans des activités préliminaires entreprises afin d’évaluer s’il existe un gisement de minerai de qualité suffisante et qui justifierait en termes économiques le développement d’une mine (dans ce corps minéralisé). Par la suite, l’ouvrage de l’auteur Ian J. Gamble, Taxation of Canadian Mining (Thomson Carswell, 2011, p. 3-19), résume clairement qu’au moins un des objectifs de ces coûts est d’ultimement déterminer quelle partie du gisement peut être exploitée sur une base économique, tout en considérant l’ensemble des autres facteurs. Autrement dit, il est clair qu’en engageant ces coûts, on veut déterminer les caractéristiques physiques et économiques de ce gisement. On mentionne finalement que, suivant ces faits, la Cour devrait conclure que ces frais d’études sont engagés dans le but de déterminer la qualité du gisement et donc relèvent de l’alinéa f) de la définition de « frais d’exploration au Canada » (« FEC ») telle qu’elle peut être lue au paragraphe 66.1(6) L.I.R.
L’Agence du revenu du Canada a quant à elle établi des lignes directrices à suivre sur l’admissibilité de ces différentes dépenses d’exploration, notamment à l’égard des études de faisabilité (voir document 2007-0252761E5, « Frais d’exploration canadiens », 19 septembre 2007) :
– Planification et études associées à la conduite d’un projet d’exploration ou d’une partie de celui-ci : frais d’exploration (FEC);
– Évaluations physiques, chimiques reliées au dépôt minier, avec objectif de documenter la décision de procéder ou non à une exploration avancée sur le site : FEC;
– Évaluations physiques et chimiques du dépôt minier pour évaluer son potentiel commercial : FEC.
Il est toutefois important de faire la nuance entre les dépenses qui se qualifient en vertu des alinéas 66.1(6)f) et 66.1(6)g) L.I.R. Du côté de Revenu Québec, on est d’avis que les dépenses qui se qualifieraient normalement selon l’alinéa 66.1(6)g) L.I.R. au fédéral ne sont pas des dépenses admissibles au CIRR en raison de leur nature économique.
Le processus d’exploration minier d’un point de vue économique : le contexte
Jusqu’ici, nous avons analysé les frais d’exploration miniers d’un point de vue législatif. Toutefois, comment pouvons-nous espérer voir le portrait complet sans comprendre l’enjeu en question d’un point de vue opérationnel? Afin de bien comprendre les divergences d’interprétation de la législation entre le fisc et l’industrie minière, tentons d’analyser la question d’une façon scientifique et technique. La question fondamentale qu’il faut remettre en contexte est la suivante : de quelle façon procède un projet minier dès ses premières phases et de quelle façon un investisseur potentiel est-il à risque?
Le texte Mineral Exploration and Development: Risk and Reward publié en 2010 par le professeur Roderick G. Eggert (Ph. D. en économie minérale) du Colorado School of Mines traite parfaitement de la situation. Dès le début du texte, le professeur Eggert définit une activité d’exploration, dans son sens large, comme étant une variété d’activités qui collectent les informations nécessaires pour identifier les gisements de minéraux et évaluer ensuite si elles devraient être développées en mines. Puis il définit la qualité d’une ressource minérale comme étant dépendante de facteurs pouvant être regroupés en quatre catégories distinctes :
1) Facteurs géologiques : la ressource minérale existe-t-elle dans une région donnée, en quelles quantités et de quelle qualité? Le risque géologique peut être vu comme étant la probabilité ou le degré de différenciation entre la minéralisation étudiée actuellement (quantité et qualité) et ce qui est anticipé au point où une décision est prise de mener une mine à la production.
2) Facteurs techniques : est-ce qu’une ressource connue peut être traitée avec les technologies existantes ou futures? En d’autres termes, y a-t-il des problèmes techniques imprévus ou des complications associées à l’exploitation, au traitement des minerais et à la métallurgie extractive?
3) Facteurs environnementaux, sociaux et politiques : la ressource (le minerai) peut-elle être traitée d’une façon compatible avec les préférences et politiques environnementales de la région concernée?
4) Facteurs économiques : la ressource, selon ses caractéristiques physiques techniques, peut-elle être extraite et traitée à profit?
Les phases préliminaires d’un projet minier, quant à elles, sont définies en trois temps : l’exploration de base (ou grassroots exploration), l’exploration avancée et finalement le développement du gisement minéral. D’une manière précise, selon l’interprétation et la position de Revenu Québec, seulement les frais engagés dans l’exploration de base seraient admissibles au CIRR selon le paragraphe 395c) L.I. Toutefois, il est défendable de prétendre que les frais engagés dans la phase d’exploration avancée puissent être admissibles au titre de frais d’exploration.
La phase avancée d’exploration, au cours de laquelle les études de faisabilité sont effectuées, est souvent considérée par les autorités fiscales comme étant une phase de développement non admissible au crédit. Toutefois, il est possible de démontrer que l’exploration avancée contient plusieurs étapes primordiales dans la détermination de la qualité du minerai et du gisement visé. Lors de cette phase, les tâches telles que les études géologiques, géochimiques et géophysiques sont exécutées plus en profondeur et à une échelle ou amplitude beaucoup plus importante que lors de l’exploration initiale.
De plus, nous pouvons aussi retrouver des activités telles que le forage, le traçage et l’ouverture de fosses d’exploration (dans le but précis d’obtenir plus d’informations sur la qualité et la localisation du minerai), la capacité de récupération du minerai visé provenant du dépôt minéral (la métallurgie extractive), la récupération de données environnementales et sociales de base entourant les régions visées, etc. Les résultats possibles d’une telle phase ou activité d’exploration peuvent se présenter sous la forme d’une étude préliminaire de faisabilité ou un rapport d’étude exploratoire. Il est alors évident que cette étude est nécessaire à l’évaluation de la qualité du minerai, surtout dans le cas des minéraux qui demandent un traitement complexe.
Il est établi que l’objectif initial de la législation relativement à l’admissibilité des frais au crédit d’impôt concernait des minéraux d’une complexité technique et physique beaucoup moindre que plusieurs minéraux visés par les sociétés minières d’aujourd’hui. Contrairement à la simplicité (relative) technique de la caractérisation de l’or ou du charbon (à titre d’exemple), des minéraux et matériaux plus complexes peuvent demander une étude beaucoup plus approfondie avant qu’on puisse déterminer la qualité du gisement et prendre la décision d’aller en exploitation.
Ainsi, il est aussi important de reconnaître la législation pour ce qu’elle est : une législation incitative. La cause Northwest Hydraulic Consultants Ltd. c. La Reine (98 D.T.C. 1839 (C.C.I.)) établit que, fondamentalement, une législation dite incitative devrait bénéficier d’une interprétation plus large afin d’augmenter les possibilités de réalisation de ses objectifs (Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 12), ce qui ne semble pas être le point de vue des autorités fiscales présentement.
Or, étant donné les efforts déployés pour investir dans le développement du potentiel minier au Québec, il est dommage que les autorités fiscales continuent d’avoir une interprétation aussi restrictive de ce que représentent des frais d’exploration.
À l’occasion d’un discours prononcé devant les membres de l’Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs, le 1er mars 2015, le ministre des Finances du Canada, Joe Oliver, a annoncé de nouvelles mesures pour appuyer l’industrie minière canadienne.
Ces dernières ont pour objectif d’apporter des éclaircissements sur les coûts liés au lancement d’études environnementales et de consultations auprès des collectivités, et qui sont nécessaires à l’obtention d’un permis d’exploration, lesquels sont admissibles à titre de FEC. Ces nouvelles mesures sont plus que bienvenues pour une industrie qui traverse une période difficile et qui a du mal à trouver le financement nécessaire à l’exploration. Le 26 mars 2015, le ministère des Finances du Québec a annoncé son intention de s’harmoniser à celles-ci. Ces mesures sont encourageantes. Malgré tout, il serait souhaitable que la définition de frais d’exploration soit modernisée afin de mieux refléter les nouvelles réalités de l’industrie minière.
Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification fiscale et financière (APFF), et a été écrit par Hugues Lachance, CPA, CA, associé, fiscalité KPMG Rémi McLaughlin, Directeur principal, fiscalité KPMG .