Par ailleurs, certains gouvernements sont préoccupés par l’imposition (et la réglementation) de cette monnaie virtuelle, qui peut traverser les frontières par courriel, et être utilisée pour acheter des biens par voie électronique sans laisser de traces facilement repérables. Entre-temps, des entreprises de toutes tailles ont commencé à accepter les paiements en bitcoins en échange de biens et de services.
Compte tenu de l’intérêt des gouvernements, des consommateurs et des marchands pour le bitcoin au cours de la dernière année, il semble que les monnaies électroniques soient là pour rester, à condition que les obstacles liés aux technologies et à la sécurité soient surmontés. À ce stade-ci, il y a plus de questions que de réponses. Le présent article porte sur quelques faits saillants en fiscalité.
Qu’est-ce que la cryptomonnaie?
Les monnaies virtuelles, telles que le bitcoin, sont appelées de la « cryptomonnaie » parce que le mécanisme sous-jacent à ces transactions et leur validation reposent sur la cryptographie. L’utilisation de la cryptographie combinée à un registre public des transactions vise à s’assurer que la monnaie ne peut être copiée ou multipliée.
Avant d’être ajoutée dans le registre public appelé la « chaîne de blocs », toute transaction est validée par des participants au système appelé les « mineurs ». Ces derniers utilisent du matériel informatique spécialisé pour examiner, valider et publier chaque transaction réalisée entre les portefeuilles bitcoin. En échange de la validation des transactions, les mineurs se font émettre de nouveaux bitcoins par le système une fois qu’un « bloc » de transactions a été vérifié. Seuls les mineurs peuvent créer des bitcoins; la plupart des participants dans le marché doivent plutôt les acheter auprès d’un particulier.
En pratique, le bitcoin fonctionne d’une manière similaire à l’argent, à l’exception qu’il n’y a pas de pièces tangibles à compter. Les bitcoins sont détenus dans un portefeuille virtuel qui est identifié par un code unique. Tous ceux qui possèdent le mot de passe ou, dans le jargon de la cryptographie, la « clé publique » peuvent déposer de l’argent dans le portefeuille en question. Pour effectuer un retrait du portefeuille, il faut connaître la « clé privée » liée au portefeuille. La clé privée est similaire à un billet de 20 $ : le montant peut être dépensé par n’importe qui possédant cette clé. Plusieurs personnes peuvent accéder au portefeuille avec la clé privée, mais le portefeuille ne peut pas être dupliqué. Les noms des « propriétaires » d’un portefeuille de bitcoins ne sont pas publiés, ce qui rend les transactions complètement anonymes.
Comment les transactions en cryptomonnaie sont-elles imposées au Canada?
Il est important de préciser, étant donné l’évolution rapide des politiques touchant les cryptomonnaies partout dans le monde, qu’il est fort possible que les positions de l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») aient changé entre la rédaction du présent article et sa publication. Vers la fin de l’été 2014, l’ARC n’avait pas encore publié de document détaillé sur les monnaies virtuelles, mis à part deux interprétations techniques en 2013 et en 2014, ainsi qu’un court communiqué de presse en novembre 2013.
L’ARC a été parmi les premières autorités fiscales à formuler une politique visant l’imposition des transactions en cryptomonnaie. Essentiellement, au Canada, un bitcoin est traité comme un bien et non comme une devise. Les deux bulletins d’interprétation existants, que le lecteur devrait consulter, fournissent l’avis de l’ARC, selon que les bitcoins sont échangés contre des produits ou des services (Bulletin d’interprétation IT-490 (archivé) portant sur le troc) ou qu’ils sont échangés comme des valeurs mobilières ou de la marchandise (Bulletin d’interprétation IT-479R (archivé), « Transactions de valeurs mobilières »).
Vente de biens ou de services
En ce qui concerne l’achat ou la vente de biens ou de services où le paiement est effectué en monnaie virtuelle, la position de l’ARC est que les règles sur le troc s’appliquent. Le Bulletin d’interprétation IT-490, intitulé simplement « Troc », s’applique dans ces situations. Selon l’ARC, en ce qui concerne les paiements en bitcoins, la valeur des biens achetés contre de la monnaie numérique doit être comprise dans le revenu du vendeur.
En d’autres termes, dans le cas du troc, la règle habituelle est que la valeur du bien abandonné doit être incluse dans le revenu, sans nécessairement refléter la valeur du bien qui a été reçu. Par exemple, en appliquant la position de l’ARC, si une personne achète un café d’une valeur de 5 $ CAD et paie en bitcoins, qui a une valeur sur le marché de 6 $, le vendeur doit inclure 5 $ dans son revenu provenant de la vente.
Toutefois, si le bitcoin se négocie à 4 $ au moment de la vente, le vendeur doit toujours inclure dans son revenu un montant plus élevé que la valeur en bitcoins qu’il a reçue, soit 5 $. Comme la valeur d’un bitcoin est difficile à déterminer (les prix varient grandement, non seulement tous les jours, mais aussi en fonction du marché utilisé, par exemple « bitstamp » ou « btc-e ») et semble être soumise en grande partie à de la spéculation, il s’agit d’une approche raisonnable pour le vendeur.
Acheteur de biens ou de services : comment taxer les gains ou les pertes sur la disposition des bitcoins?
La personne qui a dépensé ses bitcoins est assujettie à l’impôt sur la plus-value de sa monnaie numérique quand elle achète son café à 5 $, puisque le bitcoin, traité comme un bien d’un point de vue fiscal, est cédé lors de l’achat. Les règles de troc s’appliquent toujours. La question qui se pose donc est la suivante : est-ce que le gain sur la disposition des bitcoins lors de l’achat du café est un gain en capital ou un revenu courant?
De l’avis de l’ARC, la transaction doit être traitée comme une transaction de valeurs mobilières entre le vendeur de café et l’acheteur (voir le Bulletin d’interprétation IT-479R). Effectivement, il s’agit encore de troc, mais la nature du produit de disposition (en capital ou en revenu) se détermine selon les règles de ce deuxième document. Compte tenu de cette politique, les dispositions de bitcoins (pour « acheter » le café) sont imposées à titre de revenu lorsque le contribuable vend ses produits (dans ce cas-ci, des bitcoins) dans le cours normal des affaires.
Dans le cas des transactions qui ne sont pas effectuées dans le cours des affaires, par exemple la disposition de biens pour gagner des dividendes, les gains et les pertes peuvent théoriquement être imposés comme étant de nature capital. Plus précisément, le Bulletin d’interprétation IT-479R indique ceci au numéro 10 :
« 10. Lorsque le cours normal des affaires indique
a) que, dans les transactions de valeurs mobilières, le contribuable vend des titres avec l’intention de réaliser des gains, et
b) que les transactions sont pareilles à celles d’un commerçant ou d’un courtier en valeurs mobilières et qu’elles sont faites de la même façon, le produit de la vente sera habituellement considéré comme un revenu tiré d’une entreprise et, par conséquent, à titre de revenu. »
Il semble à première vue assez évident que si un particulier achète des bitcoins avec la seule intention de les utiliser pour acheter d’autres biens et services plutôt que d’exploiter une entreprise, les gains sur les bitcoins doivent être imposés à titre de capital. On peut constater, par ailleurs, que ces cas particuliers pourraient être plutôt rares, puisque la simple utilisation de bitcoins nécessite un niveau relativement élevé de connaissances du marché ainsi que de l’achat et la vente de monnaie virtuelle. De plus, il n’existe pas vraiment de marché de biens et de services destiné aux achats en bitcoins.
Plusieurs caractéristiques liées à l’exploitation d’une entreprise seraient présentes chez le détenteur typique des unités de bitcoin, surtout à une époque où le bitcoin est un mode de paiement spécialisé utilisé principalement par des spéculateurs. En ne tenant compte que des indices de l’ARC (voir le numéro 11 du Bulletin d’interprétation IT-479R), on pourrait arriver à la conclusion qu’une grande proportion des amateurs de bitcoins exploite des entreprises. Autrement dit, le fait d’avoir été payé en café, plutôt qu’en dollars, lors de la disposition des bitcoins ne change en rien la nature courante (ou capital) de la disposition.
La manière d’imposer des mineurs de bitcoins est aussi une question de fait, mais elle est aussi régie par les règles d’évaluation de l’inventaire. Les mineurs de bitcoins font fonctionner leur matériel informatique pour vérifier les transactions sur la chaîne de blocs et obtenir ainsi des récompenses sous forme de bitcoins. La dépense subséquente de ces bitcoins crée-t-elle un revenu imposable? Est-ce que les bitcoins sont imposables lorsqu’ils sont générés, comme paiement contre des services fournis au système, ou seulement au moment de leur disposition, comme valeurs mobilières? Les gains sur la disposition des bitcoins sont-ils des gains courants ou en capital?
Il faudra analyser les règles existantes de l’impôt dans des situations similaires, puisque l’ARC n’a émis que peu de lignes directrices à cet égard. Par ailleurs, l’ARC indique dans le document VIEWS 2014-0525191E5 (28 mars 2014) que l’imposition des transactions des mineurs peut se déterminer selon, par exemple, l’arrêt Stewart c. Canada (2002 CSC 46) (gain courant ou gain en capital) et selon les règles portant sur l’évaluation et l’imposition de l’inventaire. Si les mineurs exercent leurs activités de manière suffisamment commerciale, les bitcoins ainsi générés peuvent être considérés comme de l’inventaire.
Taxes de vente
L’approche en matière de taxes de vente est similaire à celle privilégiée en matière d’imposition. Dans le cadre d’une transaction de troc, chaque participant peut être responsable de prélever les taxes de vente puisque chaque partie « fournit » un bien à l’autre.
Selon le document VIEWS 2013-0514701I7 (23 décembre 2013), les fournitures, soit de biens et de services, soit de bitcoins, doivent être taxées selon leur juste valeur marchande (« JVM »), c’est-à-dire celle des biens fournis à l’acheteur, puisque les transactions en bitcoins constituent du troc aux fins des taxes de vente. Dans le cas de « l’achat » d’un café, l’acheteur qui exploite une entreprise de vente de bitcoins doit effectivement prélever la taxe sur la JVM des bitcoins cédés, et le vendeur du café doit prélever la taxe sur le café cédé.
Comment la cryptomonnaie est-elle imposée dans d’autres juridictions?
En général, il existe trois approches d’imposition des transactions en bitcoins : traiter le bitcoin comme un bien, le traiter comme une monnaie légale ou l’interdire (bien que l’interdiction totale soit plutôt rare). Parmi ces trois approches générales, on constate plusieurs méthodes d’imposition des bitcoins. Au moment de la rédaction du présent article, il n’existait aucun traitement standard, mais un nombre important de pays avaient publié des lois, des interprétations ou d’autres lignes directrices à cet égard. Voici, par exemple, les approches adoptées par les États-Unis et le Royaume-Uni.
États-Unis (avis 2014-21 de l’Internal Revenue Service) :
• Le bitcoin est considéré comme un bien aux fins fiscales. Les cryptomonnaies ne sont pas des monnaies légales. Cette approche correspond, en principe, à celle du Canada.
• Par opposition à la position canadienne, lorsqu’un contribuable reçoit des bitcoins en contrepartie de la vente de biens ou de services, le vendeur doit inclure la valeur des bitcoins dans son revenu (la position publiée par l’ARC est d’inclure la valeur du bien ou du service). Des règles spécifiques s’appliquent lorsque la valeur du bien ou du service est différente de la valeur des bitcoins versés en échange.
• Puisque les bitcoins ne sont pas une monnaie légale, les règles portant sur les gains et les pertes de change ne s’appliquent pas.
• Les bitcoins générés par les mineurs sont inclus dans leur revenu brut.
Royaume-Uni (position de l’HM Revenue & Customs, mars 2014) :
• Impôts des sociétés : les gains ou les pertes au moment de la conversion des bitcoins en d’autres monnaies sont imposables. En ce qui concerne le traitement fiscal des monnaies virtuelles, les règles générales relatives aux gains et aux pertes de change s’appliquent.
• Impôts des entreprises non incorporées : les gains et les pertes doivent être comptabilisés normalement et sont imposés comme toute autre transaction.
• Gains en capital : si un gain ou une perte en capital est exigible sur un gain ou une perte de la valeur d’une monnaie, le traitement sera le même pour le bitcoin.
Au Royaume-Uni, le bitcoin est effectivement considéré comme une monnaie légale à des fins fiscales.
Il apparaît évident que les gouvernements à l’échelle mondiale ont du travail à faire afin de clarifier le traitement fiscal des transactions en bitcoins. Il semble qu’en 2014, il existe encore beaucoup de curiosité quant au phénomène des monnaies virtuelles, mais aussi beaucoup de scepticisme quant à leur acceptation en tant que devises fonctionnelles.
Entre-temps, il importe que les marchands, les consommateurs et les amateurs de monnaies virtuelles se tiennent au fait des positions des autorités fiscales à l’égard de ces monnaies, afin de s’assurer de déclarer correctement ces transactions d’avant-garde.
Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification fiscale et financière (APFF), et a été écrit par Travis Chalmers.