Par contre, il est clair pour moi que certaines tendances à très long terme ont énormément d’influence sur l’inflation et la croissance potentielle de l’économie, ce qui change dramatiquement la direction et l’efficacité des politiques monétaires et fiscales. On parle ici de changement de régime qui touche le rendement potentiel à moyen terme, toutes choses étant égales par ailleurs comme disent les économistes.
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La démographie est au centre de ces changements de régime et son rôle primordial est rarement perçu à sa juste valeur. La croissance potentielle de l’économie s’explique par deux facteurs : la participation de la main d’œuvre, soit le nombre de personnes actives dans le marché du travail, et la productivité, qui est fonction de l’innovation et du ratio capital-travail.
Depuis la deuxième guerre mondiale, l’économie mondiale a vécu une transformation probablement sans égal depuis le début de l’Histoire moderne. En effet, la participation de la main d’oeuvre a explosé en raison:
1) Du baby boom qui a amené un nombre accru de personnes aptes au travail.
2) D’une forte croissance de l’espérance de vie grâce aux progrès dans le monde de la santé et une révolution agricole qui a permis une amélioration marquée de la nutrition
3) D’une forte montée de la participation des femmes dans l’économie officielle. N’oublions pas que le travail des conjoints au foyer, pourtant si important, n’est pas inclus dans les statistiques officielles du marché du travail.
4) De la défaite de l’idéologie communiste symbolisée par la chute du mur de Berlin et l’arrivée de prés de 3 milliards d’individus dans le giron de l’économie capitaliste. Le tout étant grandement simplifié par une poussée idéologique vers le libre échange ce qui permet d’optimiser les avantages comparatifs des pays et donc accroitre la productivité.
Alors que nous vivions ce boom démographique, nous avons vécu une augmentation quasi miraculeuse de la productivité que l’on doit à l’arrivée du microprocesseur, qui nous a permis d’accélérer les cadences de production. La naissance d’Internet a aussi permis l’arrivée de nouvelles façons d’opérer grâce à un échange d’information et une transparence accrus. Ceci, jumelée à une démocratisation des marchés financiers, a permis une allocation beaucoup plus efficace des ressources.
C’est, ce qu’on appelle en économie, un choc d’offre. Concrètement, cela veut dire que l’offre augmente, ce qui cause une pression à la baisse sur les prix, donc une augmentation de la croissance économique potentielle, et ce, sans pression inflationniste. C’est le nirvana économique, ou ce que les économistes ont appelé la période « Boucle-d’or », ni trop chaud, ni trop froid.
Ce genre de période est fantastique, car une croissance économique plus rapide sans inflation permet des taux d’intérêt plus bas et un niveau d’endettement supérieur (dettes moins coûteuses et revenus plus élevés, car le produit national brut (PNB) est plus gros). Le point culminant de cette période dorée est de 1980 à 2000, période où les rendements ont été de loin plus élevés que la tendance à long terme.
Cette période dorée a pris fin lorsque les forces qui étaient derrière celle-ci ont perdu de la vigueur. J’insiste sur le fait qu’on a besoin seulement d’un ralentissement de ces forces pour que la croissance économique potentielle diminue. Effectivement, on parle maintenant plus du baby bust et du vieillissement de la population, du taux de participation des femmes au marché du travail qui plafonne, de la diminution de l’impact marginal des pays émergents et de la productivité qui n’est plus au rendez-vous.
Par ailleurs, on parle de croissance économique potentielle qui diminue, ce qui amène un tout nouveau contexte économique. Il est de plus en plus difficile de supporter la dette qui a augmenté de façon astronomique dans un monde où le PNB croit plus lentement. On oscille sans arrêt entre les craintes de déflation et d’inflation. Les politiques monétaires et fiscales sont soit de moins en mois efficaces ou muselées par les forces du marché. Les autorités travaillent plus à minimiser l’impact de ces changements qu’à mettre en place des conditions gagnantes.
On doit remettre en cause bien des comportements ou des croyances que l’on prenait pour acquis. Bref, le monde a changé et on doit revoir nos façons de faire, ce qui est très difficile, car personne n’accepte facilement de changer les règles du jeu durant la partie.
Pour paraphraser l’ancien CEO de Columbia Health Care : le changement n’arrive seulement que lorsque le statu quo est plus pénible que le changement. Lors de la prochaine chronique, je me concentrerai sur les changements plus microéconomiques et sur les marchés.
Photo Bloomberg
Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification financière et fiscale (APFF), et a été écrit par Pascal Duquette.