Dans ma dernière chronique, je mentionnais que trois conditions ne m’apparaissaient pas déjà satisfaites : la représentativité de l’économie dans l’indice, l’effet de la mondialisation sur la composition des profits des entreprises de l’indice et le modèle économique sous-jacents de plusieurs de ces pays qui créaient des distorsions entre l’économie et le marché.

J’aimerais maintenant ajouter à ces trois facteurs, deux autres conditions que je juge suffisantes.

La gouvernance est essentielle pour que la plus-value crée dans une économie et dans les entreprises puisse atteindre les poches des actionnaires. Ceci est encore plus frappant lorsqu’on parle d’actionnaires minoritaires étrangers. On doit avoir en place ce que les anglophones appellent le « rule of law » qui sert à protéger les droits de tous les actionnaires. Cette protection est d’ailleurs encore aujourd’hui parfois fragile dans les marchés développés.

En effet, on a encore besoin de champions tel les instituts de gouvernance et les investisseurs institutionnels. Ceux-ci ont à la fois l’expertise et la capacité financière pour entreprendre la bataille souvent nécessaire pour faire respecter les droits des investisseurs. Une telle lutte implique souvent des campagnes médias et des poursuites légales.

Vous comprendrez aussi que la « rule of law » ne pourra pas survivre dans un monde où les médias sont parfois contrôles par les individus et les entreprises qui créent des problèmes sur les marchés. La propriété du capital dans les marchés émergents est souvent concentrée dans les mains de quelques familles ou du gouvernement en place, ce qui rend la bataille encore plus difficile à mener lorsque les transactions ne respectent pas les droits des actionnaires minoritaires.

De plus, on a souvent à faire à un enchevêtrement de participations croisées qui rend l’analyse de l’allocation des profits entre les entreprises presque impossible même pour les professionnels. Les règles de dévoilement de l’information rendent ceci encore plus hasardeux.

Le deuxième piège réside dans la difficulté de rapatrier notre capital sans avoir à subir de sévères fluctuations du a l’absence de liquidité. En effet, beaucoup des entreprises cotées en bourse sont en grande majorité contrôlées par des actionnaires largement majoritaires. La conséquence est de rendre ces marchés peu liquides, car la quantité de titres transigés est faible par rapport à la capitalisation. Tant à la hausse qu’à la baisse, la volatilité des prix est exacerbée.

Ceci est amplifié par le fait que le marché physique est beaucoup moins liquide que le marché des dérivés sur les indices (contrats à termes, options et FNB). Cette façon d’acheter ou de vendre les pays émergents est souvent privilégiée par les fonds macroéconomiques et pour mettre en place des changements d’allocation d’actifs. Une volatilité plus grande m’apparait justifier un escompte d’évaluation.

Quand je regarde l’ensemble de tous ces facteurs, ma conclusion est que l’argument d’achat des marchés émergents en raison de leur croissance économique n’est pas en soi suffisant. Le lien entre la croissance économique et le rendement des actionnaires, surtout chez les actionnaires minoritaires étrangers, est faible.

Je crois que pour que l’argument soit valable, on doit regarder des titres individuels et non des agrégats. L’autre façon de jouer la croissance économique supérieure de ces pays sans sacrifier la gouvernance, est d’investir dans des titres de pays industrialisés qui participent à cette croissance grâce à la répartition de leurs activités.

En conclusion, si vous désirez investir dans les pays émergents, ne vous laissez pas attirer par le mirage de la croissance du PNB qui, souvent, ne se cristallise pas en espèces sonnantes dans vos poches. La correction du début de 2014 pourrait signaler l’approche d’une opportunité d’achat, mais soyez patient. Il est toujours dangereux d’essayer d’attraper un couteau en chute libre!

Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification financière et fiscale (APFF), et a été écrit par Pascal Duquette.