Même si le milieu tend à changer, les professionnelles en services financiers sont encore témoins de comportements « très machos » et peuvent vivre « des situations vraiment désagréables et déplacées » dans le cadre de leur travail, comme le racontaient les quatre conseillères interrogées par Finance et Investissement en juin 2016. Elles estimaient cependant que la « culture » de l’employeur peut faire toute la différence. C’est pourquoi il est primordial de s’informer des règles établies par une entreprise en matière d’inconduites sexuelles avant de choisir d’y travailler.
« Le candidat doit demander à l’employeur potentiel s’il a mis en place une politique de prévention du harcèlement psychologique », affirme Katherine Poirier, avocate en droit du travail et de l’emploi, conseillère en ressources humaines agréée (CRIA) et associée chez Borden Ladner Gervais. « Une bonne politique de harcèlement psychologique comprend toutes les formes de harcèlements en milieu de travail, que ce soit le harcèlement sexuel, l’abus de pouvoir, l’abus d’autorité ou le harcèlement discriminatoire. »
Une fois la politique en main, Me Poirier recommande de s’assurer qu’« elle n’est pas simplement un énoncé de principes ». « La politique doit avoir un niveau de précision suffisant pour permettre de comprendre le chemin à suivre lorsque l’employé voudra déposer une plainte, les personnes auprès de qui le faire doivent y être précisément identifiées par leur poste ou par leur nom, et le processus en cas d’enquête expliqué. »
L’avocate ajoute que « lorsqu’elles reçoivent un signalement ou des informations qui portent à croire qu’il y a potentiellement une situation de harcèlement, plusieurs organisations procèdent d’abord à une vérification informelle, et au besoin à une médiation, avant qu’une enquête soit déclenchée ». Plusieurs prévoient également un « mécanisme alternatif » si le présumé harceleur est la personne à qui l’employé devrait normalement faire part de sa plainte.
Dans tous les cas, le candidat doit se faire confirmer que les documents sont facilement accessibles. « Si la personne interrogée doit vérifier où la politique se trouve, nous pouvons nous douter qu’elle n’est pas vastement diffusée, et que la prévention ne fait pas partie des mœurs de l’organisation, fait valoir la CRIA. Une autre façon de s’en assurer est de demander s’il y a de l’information sur le harcèlement dans le programme de formation, et si la politique est incluse dans le manuel d’employé. »
Finance et Investissement a cherché à illustrer les conseils de l’avocate par des exemples concrets de l’industrie, mais les nombreuses organisations contactées ont préféré ne pas s’exprimer sur ce « sujet délicat ».
Employeurs à responsabilités variables
Au Québec, la majorité des employeurs en services professionnels sont régis par la Loi sur les normes du travail (LNT). « En 2004, cette loi a intégré des dispositions qui visent à prévenir le harcèlement psychologique, explique Me Poirier. Tout salarié a droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique, donc l’employeur est tenu de le prévenir et d’intervenir lorsqu’une situation est portée à sa connaissance. »
Il est également tenu de s’assurer que les personnes à l’origine d’un signalement ou ayant collaboré à une enquête soient protégées contre toutes représailles ou sanctions. Dans le cas contraire, celles-ci peuvent déposer un recours auprès de la Commission des droits de la personne ou de la Commission des normes de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). « D’ailleurs, un salarié peut toujours s’adresser à la CNESST s’il estime que les mécanismes internes de son entreprise ne sont pas suffisamment efficaces ou qu’ils n’ont pas répondu à ses attentes », souligne l’avocate.
De juridiction fédérale, les institutions bancaires sont soumises à une législation différente, le Code canadien du travail. « Les obligations ne sont pas aussi précises que dans la LNT, mais l’employeur doit, dans la mesure du possible, veiller à ce qu’aucun de ses employés ne fasse l’objet de harcèlement sexuel », résume Katherine Poirier. Le Code réfère aux dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et des plaintes peuvent être faites auprès de la Commission canadienne des droits de la personne.
Qu’en est-il des conseillers indépendants ? « Ça vaut la peine de se renseigner sur les politiques et les mécanismes en place dans les organisations avec lesquelles ils sont affiliés, parce que celles-ci vont souvent étendre leur application à leurs travailleurs autonomes, affirme Me Poirier. Sauf que ce n’est pas automatique. » La LNT ne s’applique pas à eux, mais ils peuvent déposer une plainte auprès de la Commission des droits de la personne. Au fédéral, la Loi canadienne sur les droits de la personne protège contre le harcèlement en matière d’emploi, et lorsqu’une entreprise fournit des services. « Il n’est pas clair en l’instance qu’un travailleur autonome qui dispense des services à une organisation puisse se prévaloir de ces dispositions », note cependant l’avocate.
Finalement, si des accords de non-divulgation de renseignements confidentiels ont pu compliquer la dénonciation d’inconduites sexuelles aux États-Unis, dont dans le cas du producteur hollywoodien Harvey Weinstein, Katherine Poirier « verrai[t] très très difficilement de telles ententes avoir préséance et interdire à quelqu’un de dénoncer des infractions à la loi » de ce côté-ci de la frontière.
« Comme avocate qui représente principalement les employeurs, ce que je vois comme politique de non-divulgation de renseignements confidentiels ne servira jamais à protéger l’entreprise ou ses représentants contre une infraction, déclare-t-elle. Et que l’entreprise soit de juridiction provinciale ou fédérale, le Code civil du Québec a des dispositions pour protéger le salarié concernant le contenu de son contrat de travail. »
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