«C’est sûr que plus un client a de grosses sommes à investir, plus nos commissions sont importantes. Mais j’ai toujours eu pour philosophie que tout le monde a le droit d’obtenir des conseils financiers, quelle que soit la taille de son portefeuille», affirme Julie Arseneault, une représentante en épargne collective liée à Desjardins sécurité financière Investissements.
Par ailleurs, la compétition est très féroce au sein des hauts créneaux de marché. «Or, lorsqu’un gros client décide de nous laisser tomber pour aller voir ailleurs, on se retrouve avec un important manque à combler. Les petits investisseurs sont plus fidèles, surtout lorsqu’on prend vraiment le temps de les éduquer, comme notre mandat avec l’Autorité des marchés financiers nous y oblige, et qu’on les aide à planifier l’achat de leur première maison, leur retraite, etc.», poursuit Julie Arseneault.
Sortir des sentiers battus
C’est aussi pour se démarquer de la concurrence que Jean-François Robert s’est donné pour mission de guider les moins nantis dans la gestion de leurs finances.
«Après avoir fait carrière dans différentes institutions financières, j’ai opté pour la voie de l’indépendance. Mais n’étant pas un as de la vente, je savais que je devais être différent des autres conseillers», dit ce représentant de courtier en épargne collective chez Mérici Services financiers.
Pour se faire connaître, Jean-François Robert a commencé par donner des conférences pour permettre aux familles de mieux comprendre la mesure du Soutien aux enfants, qui est entrée en vigueur en 2005.
«Certaines personnes me demandaient alors si je m’occupais des déclarations de revenus. Ma première réaction a été de leur répondre par la négative et de leur rappeler que j’étais un conseiller en services financiers. Par la suite, j’ai compris que c’était la meilleure façon d’aider les familles à prendre des décisions financières éclairées», raconte-t-il.
Bien que plusieurs de ses collègues du milieu de la finance se demandaient comment il arriverait à s’en sortir, Jean-François Robert a réussi à aller chercher de 20 à 30 % de nouveaux clients chaque année, et ce, uniquement grâce au bouche-à-oreille. «Je n’ai pas à insister auprès des gens, car ils sentent que je veux vraiment les aider», observe-t-il.
Approche différente
Or, offrir des conseils financiers aux gens à faible et à moyen revenu n’est pas toujours une mince tâche. D’abord, il faut les convaincre que ce genre de service n’est pas uniquement réservé aux gens riches.
Les conseillers doivent aussi revoir leur approche, car les besoins des clients plus modestes diffèrent grandement de ceux qui ont des actifs élevés. «Avec eux, on est loin des fiducies ! On les aide plutôt à établir un budget, ou à rembourser leurs dettes», illustre Julie Arseneault.
Enfin, il y a aussi toute la question de la rentabilité. Car les clients importants ne rapportent pas seulement plus de revenus ; ils permettent également aux conseillers de réaliser des économies d’échelle.
«Lorsqu’on parle de gestion de portefeuille, il y a deux sources de coûts. Il y a d’abord les frais transactionnels, qui sont entièrement assumés par les clients, puis les frais administratifs, qui comprennent, par exemple, la comptabilité et les frais de gestion. Or, plus la masse d’actifs du conseiller augmente, plus la proportion de ses frais administratifs diminue», explique Robert Pouliot, directeur général de Rating Capital Partners SA et membre du conseil d’administration de FAIR Canada, un organisme de défense des épargnants.
Pour servir les plus petits comptes tout en restant rentables, certains conseillers, comme Julie Arseneault, se tournent vers la diversification. «Plutôt que de m’attarder à ce que chaque client me rapporte, je considère ma rémunération dans sa globalité. Parce que oui, il m’arrive de ne pas faire d’argent avec certains clients, mais je finis toujours par me rattraper avec d’autres comptes», indique-t-elle.
La conseillère souligne également que les petits épargnants exigent un investissement de temps beaucoup moins important. «Les clients fortunés demandent beaucoup d’attention. Ils s’attendent à ce qu’on les rencontre régulièrement et à ce qu’on les invite à manger au restaurant, à jouer au golf, etc. Lorsqu’il s’agit d’un plus petit client, généralement, une seule rencontre par année suffit. Je peux donc me permettre d’en servir plus.»
Julie Arseneault estime toutefois qu’il est préférable de conserver le ratio de petits comptes autour de 50 %. «Bien sûr, tout dépend du genre de service qu’on souhaite offrir et de la provenance de ces clients. S’agit-il des enfants ou de la soeur de l’investisseur le plus important ? Dans ce cas, on peut peut-être faire une exception.»
La firme de recherche PriceMetrix a établi un constat similaire. Selon un rapport qu’elle a publié en 2013, les conseillers qui comptaient plus de 40 % de petits comptes avaient beaucoup moins de clients à haute valeur nette et ceux-ci leur procuraient des revenus moins élevés.
Robert Pouliot estime malgré tout que la robotisation des services financiers facilitera beaucoup le travail des conseillers auprès des petits épargnants. «D’une part, les portefeuilles dont la gestion sera automatisée auront des frais de gestion nettement plus bas. D’autre part, les conseillers économiseront beaucoup de temps, car tout ce qu’ils auront à faire, c’est de bien comprendre les besoins du client», précise-t-il.
En attendant que le soutien du robot-conseiller ne devienne la norme, Robert Pouliot assure qu’il est tout à fait possible de bien servir les gens à faible et à moyen revenu, sans pour autant leur faire la charité. «Bien sûr, il est difficile d’être rentable en leur proposant des solutions personnalisées. La clé réside donc dans ce que j’appelle le « sur-mesure collectif » avec, par exemple, des modèles de portefeuilles prédéterminés.»
Robert Pouliot est toutefois conscient que ce «sur mesure collectif» recèle certains pièges. Il s’oppose notamment à la pratique de certains conseillers qui consiste à proposer au client de contracter un prêt pour cotiser à son REER.
«Cette stratégie peut être profitable aux investisseurs importants, mais elle ne l’est pas pour les gens à faible ou à moyen revenu, parce que ceux-ci paient peu, voire aucun impôt. Malheureusement, cette pratique est très répandue dans l’industrie, car les conseillers sont de moins en moins indépendants et ont ainsi de plus en plus de quotas à respecter», conclut celui qui est également le cofondateur de la Coalition pour la protection des investisseurs.