Après la mise au point de la règle de Bengen qu’on a appelé Safamax, trois ou quatre autres recherches en ont confirmé la validité. Or, appliquée dans le contexte financier d’aujourd’hui, cette règle pourrait s’avérer dangereuse, juge une étude de Morningstar intitulée Low Bond Yields and Safe Portfolio Withdrawal Rates.

Attention aux moyennes

La plupart des analyses qui ont confirmé la règle de Bengen, fait ressortir l’étude Morningstar, ont utilisé un modèle de simulation basé sur les moyennes de rendement à long terme et où ces rendements sont les mêmes pour chaque année de la simulation.

Une telle approche est raisonnable quand les marchés sont près de leurs moyennes historiques, mais «elle est moins utile quand il y a une déviation soutenue comme c’est le cas dans les rendements des marchés obligataires actuels», écrivent les auteurs.

Ensuite, il faut tenir compte du «risque de séquence», soit le fait que les rendements du portefeuille dans les premières années de la retraite ont une plus grande chance d’assurer le succès d’une stratégie de retraite que les rendements plus tard dans le cycle de retraite.

En effet, un client dont le portefeuille affiche des rendements négatifs durant les premières années de décaissement risque d’épuiser ses épargnes beaucoup plus tôt que si ces rendements sont élevés au début.

Les auteurs de l’étude ont donc composé leur simulation en tenant compte des taux actuels et en les faisant progressivement monter, une approche qui reproduit plus fidèlement ce à quoi un retraité d’aujourd’hui peut s’attendre dans le futur.

Notons enfin que le portefeuille modèle de Morningstar se distingue de celui de Bengen en ce qu’il contient 60 % d’obligations et 40 % d’actions. Il reflète ainsi plus fidèlement la pratique fréquente de composer des portefeuilles où le poids obligataire équivaut à peu près à l’âge du retraité.

À partir de son modèle, l’étude Morningstar juge qu’un taux de décaissement de 4 % n’a que 50 % de chances de réussir sur une période de 30 ans. Pour augmenter ses chances de réussite à 90 %, un retraité doit avoir un taux de décaissement de 2,8 %. Évidemment, l’impact sur l’épargne est considérable: le retraité doit avoir accumulé 42,9 % plus d’épargne s’il désire retirer la même rente de ses avoirs qu’en appliquant la règle Safemax.

De la souplesse svp

Évidemment, qu’il s’agisse d’une règle de Bengen ou de Morningstar, c’est dans chaque cas une généralisation approximative, une règle empirique. Et elle n’a aucune valeur pratique pour Frédérick Bouchard, directeur associé, stratégie financière, chez Planica Services financiers, à Québec. «Je préfère une règle du pouce de l’épargne, dit-il. Pour le décaissement, il y a trop de variables dont il faut tenir compte.»

Par ailleurs, «une règle du pouce peut toujours être commode», justement parce qu’une planification de retraite «c’est très complexe», soutient Stéphane Chrétien, professeur de finance et titulaire de la Chaire Groupe Investors en planification financière au Département des sciences de la gestion de l’Université Laval.

Toute règle a le défaut d’être statique, déplore Stéphane Chrétien, tout particulièrement celle de Bengen. Il préfère une approche plus dynamique et souple où un retraité navigue en tenant compte des vents dominants.

Par exemple, au début de la retraite, parce que l’épargne est plus élevée, on peut régler un taux de décaissement moindre et le laisser monter au gré des rendements, tout en corrigeant le tir selon l’humeur des marchés.

Selon lui, le nouveau taux de décaissement de 2,8 % de Morningstar est valable, mais dans la mesure où on n’oublie pas les importantes hypothèses qui la sous-tendent: la pondération 40/60 du portefeuille entre actions et obligations, la durée de 30 ans, la volonté de préserver un certain niveau de vie de la part des retraités.

Pour beaucoup de retraités «qui veulent continuer de miser sur un portefeuille moins risqué composé à 60 % d’obligations, une règle de 2,8 % se tient, ajoute-t-il. Ça rejoint une autre règle du pouce qui propose de mettre en obligations un poids équivalent à son âge, mais c’est une règle contestée.»

En effet, plusieurs analystes proposent d’accroître le poids des actions dans le portefeuille des retraités. Un retraité va mieux préserver son revenu, et avec autant de sécurité qu’avec des obligations, en privilégiant une proportion plus importante d’actions dans son portefeuille, d’après l’étude The Glidepath illusion… and Potential Solutions, de Research Affiliates.

Frédérick Bouchard juge qu’il y a trop de variables en jeu pour s’en référer à quelque règle empirique que ce soit : tenir compte de l’ensemble des actifs du client, y compris sa résidence, et pas seulement de son épargne, taux d’inflation, fractionnement du revenu, taux d’imposition implicite.

«Je n’ai jamais eu deux clients qui avaient des situations semblables,» dit-il. C’est pourquoi il trouve dangereux de fonctionner avec une règle empirique. «Je préfère me coller aux circonstances du client et lui montrer les conséquences à long terme des décisions qu’il prend aujourd’hui.»