L’accusation a éclaboussé les CdeC et causé un scandale dans les milieux des représentants en assurance de personnes. «Ça m’a interpellé, dit Michel Mailloux, président de Déontologie.ca. Cet individu pouvait vendre de l’assurance sans permis. J’ai essayé de comprendre.»

Les CdeC bénéficient en effet d’un statut particulier à titre de société de secours mutuel, statut qui leur a été conféré par la Loi sur les assurances. «C’est un droit acquis, explique Sylvain Théberge, chef des relations médias à l’AMF. Ils échappent à la Loi sur la distribution de produits et services financiers. Tant qu’ils vendent des produits maison à leurs propres membres, ils n’ont pas besoin d’être inscrits auprès de l’AMF.»

Il existe 12 autres sociétés de secours mutuel au Québec qui bénéficient des mêmes privilèges que les CdeC. On trouve par exemple la Fondation d’entraide de la Grande loge d’Orange l’Amérique Britannique, l’Association bénévole des Fils de l’Écosse, l’Ordre indépendant des forestiers, l’Union fraternelle croate, l’Association des voyageurs de commerce d’Amérique, le Conseil suprême de l’Arcane royal. Toutes peuvent vendre à leurs membres, et uniquement à leurs membres, leurs propres produits d’assurance.

Comptant 95 000 membres au Québec et 1,8 million de membres dans le monde, les CdC constituent la société de secours mutuel la plus importante du Québec. En 2013, l’assureur affichait 35 M$ en primes directes souscrites au Québec, d’après le dernier rapport sur les institutions financières de l’AMF. Cela représente une part de marché de 0,26 %, qui est en déclin depuis 2010.

Loin d’être insignifiante, cette part de marché est la 27e en importance au Québec, supérieure à celle de la compagnie d’assurance-vie Primerica du Canada, mais inférieure à celle de Canassurance.

«L’Ordre des forestiers a son propre manufacturier de produits d’assurance, soutient Michel Mailloux, mais passe quand même par des vendeurs certifiés par l’intermédiaire des agences de distribution et se conforme parfaitement aux normes du Québec».

«Les CdC ont décidé d’avoir leurs propres canaux, ce que la loi leur permet, mais il reste qu’il y a un manque total de transparence sur ce qu’ils font, poursuit-il. Quelles sont la formation et la formation continue de leurs agents ? Quelle est la protection de leurs assurés ? Font-ils le portrait financier global d’un client comme l’exige l’AMF ? Qui vérifie les dossiers, et où les vérifie-t-on ? Les CdeC sont peut-être très bons, meilleurs que tout le monde au Québec, mais on ne sait pas ce qu’ils font», s’interroge Michel Mailloux.

Des explications

Ce sont les questions que nous avons posées aux CdeC au Québec. Le directeur général de la fraternité du Québec, Fernand Rochon, nous a dirigés vers une agence de communication qui nous a à son tour renvoyés au siège social américain et mondial à New Haven, au Connecticut. Au terme de ce périple, nous n’en savions pas beaucoup plus sur le mode de fonctionnement de cet acteur particulier en assurance.

«Parce qu’il s’agit d’une affaire légale en cours, notre capacité d’en parler est limitée en ce moment», a indiqué Andrew Walther, vice-président, communications, des CdC, à New Haven.

Les CdeC affichent depuis 37 ans une cote A++, la cote la plus élevée décernée par l’agence de notation A.M. Best, aux États-Unis. Cette cote reflète «leur longue présence à titre de société fraternelle, peut-on lire dans le dernier rapport d’A.M. Best, leur forte présence de marché dans la communauté catholique, accrue par leur force en tant qu’assureur à marché captif à temps plein […], le nombre croissant des adhérents… et un solide niveau de capitalisation ajustée au risque.»

Si les activités des CdeC échappent au cadre de réglementation de l’AMF sur le plan de la distribution, elles se conforment par ailleurs aux réglementations en vigueur ailleurs au Canada, sous la supervision du Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF). La formation de leurs représentants est la même que celle qui est exigée en Ontario ou en Alberta.

Les CdeC «mettent régulièrement leurs pratiques d’affaires à niveau avec les meilleures pratiques dans l’industrie et se conforment aux changements dans les réglementations gouvernementales, affirme Andrew Walther dans un courriel. À notre avis, nous sommes en conformité avec toutes les réglementations applicables.»

Au-delà de ces observations générales, nous n’avons pu obtenir plus de précisions pour répondre aux questions que pose Michel Mailloux.

Par ailleurs, les CdeC se trouvent sous la supervision de l’AMF et lui soumettent annuellement un rapport financier. Toutefois, si des membres des CdeC sont lésés par les pratiques d’un représentant de cet ordre, ils n’ont pas accès au fonds de compensation de l’AMF.

«Ils se retrouvent sans recours de notre côté, note Sylvain Théberge. Si on nous demande pourquoi nous faisons enquête, il faut se souvenir que l’AMF a quand même un mandat de protection du consommateur.»

Nous avons demandé si les CdeC envisageraient de dédommager leurs membres lésés si la chose s’avérait nécessaire. «Notre organisation doit intervenir de façon juste, a répondu Andrew Walther. Je crois que vous jugeriez le résultat très juste et équitable. Notre organisation est de celles qui prennent soin des gens.»