Toutefois, des clients qui devraient privilégier la rente ne le font pas. «Différents biais comportementaux expliquent qu’une personne puisse prendre une décision qui ne semble pas l’avantager financièrement», affirme Richard Guay, professeur au Département de finance de l’Université du Québec à Montréal et spécialiste de la finance comportementale.
Intérêt mitigé
«On observe chez nous une tendance légère à la baisse depuis quelques années en ce qui concerne les achats de rentes viagères, et cette tendance est assez généralisée dans l’industrie», confirme Jean-François Girard, directeur, développement des produits et mise en marché, épargne pour les particuliers chez Desjardins Sécurité financière (DSF).
Plusieurs raisons expliquent la réticence des clients à se procurer une rente viagère, selon lui. Parmi celles-ci, il y a le fait que l’achat est irréversible, que le client risque de ne pas récupérer l’entièreté du capital investi dans le cas d’un décès survenu trop rapidement, de même que l’impossibilité de bénéficier d’une hausse éventuelle des taux d’intérêt.
Ces réticences ne devraient pas influencer la décision d’achat, selon Daniel Laverdière, directeur principal, planification financière et service conseil chez Banque Nationale Gestion privée 1859 : «Les gens s’interrogent-ils au sujet des taux de rendement auxquels les assureurs vie vont placer leur argent ? Non, car en cas de décès, la prestation garantie sera versée».
L’achat d’une rente viagère vise à assurer que le client aura suffisamment d’argent jusqu’à son décès, ajoute-t-il : «Si nous mourons rapidement, il se peut effectivement que nous perdions l’argent, que notre rendement soit négatif, mais lorsque nous mourrons, notre retraite sera réglée.»
Daniel Laverdière établit un parallèle avec l’assurance habitation, que l’on paye périodiquement sans faire de réclamation : «Je ne tiens pas à « passer au feu », mais si ça arrive, je veux pouvoir réclamer. Dans le cas d’une rente viagère, si je vis jusqu’à 100 ans, j’ai l’assurance qu’il y aura encore un petit montant qui sera payable, et ce risque, c’est l’assureur qui l’assume.»
Ce biais comportemental, qui s’exprime par une aversion pour la perte, empêche le client d’évaluer correctement les risques auxquels il s’expose.
Pour éviter une mauvaise décision
D’autres biais comportementaux sont susceptibles d’influencer la décision d’un client, notamment l’illusion du contrôle et le biais du statu quo, selon Richard Guay.
Afin d’illustrer l’illusion du contrôle, le professeur cite le cas d’un homme qui a l’impression que s’il choisit lui-même les numéros de son billet de loterie, en utilisant par exemple les dates de naissance de sa femme et de ses enfants, il augmente ses chances de remporter un lot. Il reste que statistiquement, ses chances ne sont pas meilleures que s’il confie cette tâche à une machine.
L’illusion du contrôle mène ainsi le client à penser qu’il peut prendre de meilleures décisions et s’en tirer mieux dans ses investissements qu’en transférant le risque à une compagnie d’assurance, par exemple.
Une cliente disposant d’un capital de 200 000 $ en REER pourrait être réticente à transférer cette somme auprès d’un assureur qui lui garantira une rente annuelle de 11 000 $ jusqu’à la fin de ses jours, sous prétexte qu’elle perdra le contrôle de son capital, alors qu’elle pourrait en disposer autrement, illustre Richard Guay.
«Toutefois, ce raisonnement n’a pas de sens, car si un individu ne dispose que de 200 000 $ pour vivre jusqu’à la fin de ses jours, il serait logique de consacrer ce capital à une rente annuelle garantie plutôt que de risquer de le perdre à la suite de mauvaises décisions financières», ajoute-t-il.
Un tien vaut mieux…
L’autre biais comportemental, celui du statu quo ou de l’inertie, repose sur le fait que les gens ont le réflexe émotif de donner plus de valeur à ce qu’ils ont déjà.
«Selon ce biais, les gens qui disposent d’un capital de 200 000 $ dans leur compte REER seront réticents à l’idée de l’utiliser pour acheter une rente viagère. À l’opposé, si vous demandez à une personne qui dispose d’un régime à prestations déterminées, c’est-à-dire d’une rente viagère au moment où elle prendra sa retraite, si elle préfère avoir 200 000 $ à gérer plutôt que sa rente annuelle de 11 000 $, elle préférera généralement conserver sa rente.»
La rente viagère est un produit courant dans l’industrie et peut s’accompagner de diverses garanties, mentionne Jean-François Girard. Ces garanties peuvent atténuer partiellement certaines hésitations de clients.
Elles peuvent par exemple fixer la période de versement de la rente (5, 10 ou 15 ans), assurer le remboursement des primes versées ou offrir une réversibilité au conjoint au moment du décès du rentier.
«Plus l’investisseur achète de garanties, plus la période de versement de sa rente pourrait être longue. Cependant, le prix d’achat de la rente viagère est un peu plus élevé», précise-t-il toutefois.