Dans son livre Irrational Exubérance paru en 2000, Robert Shiller, prix Nobel d’économie en 2013, soulignait que «l’histoire des crises financières commençait en même temps que l’apparition des journaux».
Pourtant, de nos jours, la vision classique en économie veut que les médias ne publient que de «vieilles nouvelles» qui n’ont aucune valeur pour les investisseurs, puisque l’information aurait déjà été incorporée dans les prix. Cela ne semble pas tout à fait vrai.
Des recherches révélatrices
Selon Joel Peress, professeur associé en finance à l’Institut européen d’administration des affaires (INSEAD), il est difficile d’évaluer précisément l’effet des médias sur la Bourse. Il est en effet ardu de déterminer si la couverture médiatique est la cause ou la conséquence des fluctuations boursières, dit-il en entrevue.
C’est pourquoi il a décidé d’étudier les effets des grèves dans les médias, tant celles des distributeurs que celles des journalistes (http://tinyurl.com/l4va7hw).
Il a découvert que de 1989 à 2010, dans quatre pays (France, Grèce, Italie et Norvège), le volume négocié sur les marchés diminuait en moyenne de 12 % les jours où une grève de «portée nationale» empêchait la parution d’un important quotidien.
Il a aussi constaté que l’effet se faisait sentir davantage sur les petits titres, qui sont selon lui plus négociés par les investisseurs individuels.
«Les investisseurs institutionnels ont accès à d’autres sources d’information continue, comme les applications spécialisées de Bloomberg, etc., mais les investisseurs individuels dépendent toujours de la presse», explique-t-il.
Pour sa part, Casey Dougal, professeur de finance à l’Université Drexel, à Philadelphie, s’est penché sur l’influence d’une seule et même chronique dans le Wall Street Journal, «Abreast of the Market» (http://tinyurl.com/kw8dsky). Avec ses collègues, il a découvert que les mouvements de la Bourse étaient corrélés au ton, négatif ou positif, de chacune des chroniques la journée de la publication.
«Ce n’est pas un effet énorme, mais l’originalité de notre recherche se trouve plutôt dans la définition précise de cet effet», a expliqué Casey Dougal à Finance et Investissement.
De son côté, Christopher Parsons, professeur de finance à l’Université de Californie à San Diego, s’est intéressé à l’influence des journaux locaux américains sur la Bourse (http://tinyurl.com/mnwd7ur).
De 1991 à 2007, il a constaté que si l’un de ces journaux locaux ne rapportait pas une annonce de résultats par une entreprise du S&P 500, le volume de négociation de ce titre était moindre de près de 50 % dans le territoire de diffusion du journal en question que dans ceux où la nouvelle avait été diffusée.
Encore vrai à l’ère d’Internet
Christopher Parsons admet que les journaux n’ont probablement plus le même poids aujourd’hui qu’au moment de son étude. Néanmoins, il croit que les médias continuent assurément d’avoir un effet, mais qu’il est tout simplement plus compliqué de le mesurer.
«Internet a aplani le paysage médiatique et cela devient très difficile de faire une expérimentation contrôlée», affirme-t-il.
Casey Dougal précise de son côté que l’effet médiatique des chroniques du Wall Street Journal se faisait encore sentir au cours des années les plus récentes de son échantillon, qui couvrait la période de 1970 à 2007.
Il soupçonne que les médias, quels qu’ils soient, continueront d’avoir un effet, puisque «nous ne sommes pas soudainement devenus plus intelligents», souligne-t-il.
Joel Peress a remarqué que les grèves des distributeurs de journaux avaient moins d’effet avec les ans, probablement parce que la nouvelle pouvait être diffusée sur d’autres supports. Cependant, l’effet des grèves de journalistes est resté le même, et ce, jusqu’en 2010.
De nouvelles recherches sur l’influence des nouveaux médias tendent à donner raison à ces trois professeurs.
En effet, des chercheurs ont récemment fait un lien entre les publications du site Seeking Alpha, une plateforme en ligne d’échange d’information et d’opinions sur les marchés financiers, et les rendements boursiers (http://tinyurl.com/mhekzyw). De 2005 à 2012, ils ont noté des effets sur les titres dont on discutait le plus, en termes négatifs ou positifs, et ce, même trois mois après la publication.
D’autres chercheurs ont quant à eux établi un lien entre «l’humeur» générale sur Twitter et le cours de la Bourse (http://tinyurl.com/m79z7sv).