Favorables au changement des règles sont divers participants de l’industrie des placements, des associations de défense des consommateurs et des organismes de réglementation. Leurs arguments sur les conflits d’intérêts, la cherté des frais et l’absence de transparence sont bien enregistrés dans le document de consultation publié en janvier par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières. Comme l’ont souligné maintes fois les autorités, le statu quo n’est pas une option.
Le camp opposé se positionne comme le défenseur des choix du consommateur et de la préservation de l’accès aux conseils par les petits investisseurs. Ceux qui sont contre l’interdiction comprennent la plupart des sociétés de fonds communs et des conseiller payés à la commission ainsi que leurs associations professionnelles.
Après s’être livrées à d’intenses recherches, avoir organisé des discussions en comités pour mettre en présence ces opinions contradictoires et examiné les 142 commentaires écrits reçus en réponse au document de consultation, les autorités sont en passe de prendre une décision sur la manière de procéder. Par le truchement des ACVM, leur organisme d’expression collective, les autorités comptent publier leurs recommandations préliminaires au printemps prochain.
La grande question est la suivante : les autorités décideront-elles d’imposer une interdiction des commissions intégrées? Une question connexe, tout aussi pertinente, est : une interdiction améliorerait-elle la transparence sur le prix des conseils? Une interdiction améliorerait la transparence du prix des conseils. Toutefois, elle n’éliminerait pas les conflits, ne ferait pas baisser le prix des conseils et ne garantirait pas la qualité des conseils ou des services. Elle perturberait un marché dans lequel la concurrence parmi les services à bas prix est déjà corsée, et dans lequel les arrangements reposant sur des honoraires gagnent en popularité. Et cela éliminerait l’option du choix pour les nombreux investisseurs qui demeurent satisfaits du régime de rémunération que les autorités s’évertuent à réformer.
Songez aux considérations suivantes :
Interdire les commissions intégrées n’éliminera pas les paiements faits aux conseillers par les gestionnaires de fonds.
Un des principaux avantages d’une interdiction, selon les autorités, devrait être d’éliminer les rémunérations qui influent sur le choix des produits que recommandent les conseillers. En grande partie, c’est prendre ses désirs pour des réalités. Comme nous l’avons précédemment signalé, les sociétés de fonds communs peuvent contourner une interdiction en mettant en œuvre des accords de paiements directs. Avec ces alternatives aux commissions de suivi, les investisseurs s’entendent pas écrit pour permettre aux sociétés de fonds de prélever de leur compte, au besoin en rachetant des parts, le paiement des conseils et des services dispensés par leurs courtiers. Une autre solution pour les vendeurs de fonds communs titulaires de deux permis est de vendre des polices de fonds distincts, qui sont supervisées par les autorités de réglementation du secteur de l’assurance et ne sont pas soumises à une interdiction des commissions de suivi. On appelle ça l’arbitrage règlementaire. Troisièmement, comme les autorités en ont pris conscience lors des consultations, les firmes intégrées comme les banques peuvent circonvenir une interdiction en réaffectant de façon interne les flux de coûts et de revenus. Par définition, les choix de produits effectués par une force de vente interne qui ne vend que des marques exclusives est source de conflits d’intérêt. Interdire les rémunérations intégrées pour les fonds communs n’éliminerait qu’une seule forme de conseils à conflits.
Une interdiction ne réduira pas le prix des conseils.
Les conseils facturés séparément des produits gérés ne sont pas nécessairement meilleur marché que ceux dont le paiement provient des commissions intégrées. Les commissions de suivi ont tendance à être comparables : le taux prévalent est de 1 % par an pour les fonds d’actions et la plupart des fonds équilibrés, et de 0,5 % pour les fonds à revenu fixe.
Les conseillers payés sur honoraires ont la souplesse d’adapter leurs frais à la situation de chaque client. Dans certains cas, cela peut se traduire par des frais de 1,25 % à 1,5 % par an, ce qui est plus généreux que ce que les sociétés de fonds paient en commissions de suivi. Ou alors, le coût des conseils rémunérés sur honoraires peut être inférieur à 1 % des actifs du client, selon la taille du compte concerné. Une initiative réglementaire qui ferait diminuer le coût des conseils serait d’interdire ou de restreindre les commissions au point de vente, habituellement de 5 %, que reçoivent les négociants sur la vente de fonds à frais d’acquisition différés.
Généralement, les paiements directs pour les conseils ont des prix plus souples pour les investisseurs, mais ne représentent pas nécessairement des économies.
Payer directement ne garantit pas de bons conseils et services, mais c’est plus transparent.
Le coût des conseils peut représenter ou non une bonne valeur selon les services rendus, quel que soit le mode de rémunération. Cela dépend de la compétence, du dévouement et de l’intégrité de chaque conseiller. Il y a d’excellents conseillers et d’autres qu’il faut éviter, qu’ils soient rémunérés par commissions intégrées ou autrement. Les paiements directs effectués par les investisseurs ont bel et bien l’avantage d’une plus grande transparence et d’une divulgation plus fréquente sur les relevés des clients.
Avec les commissions intégrées, de par les exigences de transparence récemment mises en place, les investisseurs ne reçoivent qu’un relevé annuel des commissions et autres frais payés aux conseillers.
L’abandon des commissions intégrées est déjà en train de se produire.
Au sein de l’univers de 141 milliards $ des quelque 550 fonds négociés en bourse inscrits au Canada, il y a une sélection importante et grandissante de produit gérés principalement à frais modiques qui n’ont pas de commissions intégrées. Bien que les actifs des FNB au Canada ne représentent qu’un dixième de ceux des fonds communs traditionnels, ils ont grandi à un rythme de 30 % au cours des 12 mois qui se sont terminés en octobre, ou trois fois plus rapidement que ceux des fonds communs. Le marché florissant des FNB contredit l’argument selon lequel les modèles de commissions intégrées ont entravé la croissance d’alternatives à moindre prix. Ces dernières années, nous avons aussi assisté à l’émergence des conseillers robots, qui utilisent principalement des FNB et font payer moins cher pour des conseils sur les placements que les réseaux de conseillers traditionnels. Au sein de l’industrie des fonds communs elle-même, on se dirige de plus en plus vers des options d’achat sur honoraires et on abandonne les commissions intégrées. Les investisseurs sont également bien servis par plusieurs sociétés de fonds communs procédant à des ventes directes qui ne paient pas de commissions de suivi. Dans l’ensemble, la concurrence parmi les segments à faibles frais et à rémunération non intégrée se porte bien au Canada. Ces tendances sont menées par les forces du marché, qui sont beaucoup plus puissantes que les autorités ou les gestionnaires de fonds.
De nombreux investisseurs se satisfont des commissions intégrées.
Sans aucun doute, les commissions intégrées influent sur les choix de placement que les courtiers présentent à leurs clients. Ces conseillers peuvent éliminer par principe tout fonds commun, FNB ou autre placement qui ne leur verse pas de commissions de suivi. Cela limite le choix des investisseurs. Mais il en va de même pour toutes les banques qui ne vendent que leurs propres produits, ainsi que tous les courtiers ou négociateurs boursiers qui, même si la rémunération des conseillers se fait sur honoraires, ne vendront que les produits qui sont sur sa liste de placements approuvés.
Ce qui est aussi vrai, et qui n’a pas eu beaucoup d’influence sur les autorités, c’est que de nombreux investisseurs dans les fonds, voire la plupart, sont contents de payer pour des conseils de façon indirecte, par le biais de commissions de suivi. Selon un sondage mené en 2017 auprès des investisseurs dans les fonds communs par Pollara financé par l’Institut des fonds d’investissement du Canada, 53 % des personnes interrogées préfèrent payer leurs conseillers par des frais attachés aux fonds qui réduisent le rendement de leurs placements, contre 37 % qui préfèrent payer leurs conseillers directement. Le reste n’a exprimé aucune préférence. Publiée en novembre, cette enquête nationale se fondait sur des conversations téléphoniques ayant eu lieu en juillet avec 1 000 Canadiens adultes qui prennent certaines décisions d’achat de fonds communs, voire toutes, au niveau familial. Interdire les commissions intégrées éliminerait un choix qui demeure extrêmement populaire auprès d’un vaste groupe d’investisseurs satisfaits des services qu’ils reçoivent et de la manière dont ils les paient.
Une interdiction des commissions intégrées serait pour l’industrie des services financiers un élément perturbateur du marché.
Le degré de perturbation reste à débattre, mais les plus grands perdants pourraient bien être les courtiers de fonds mutuels indépendants dont la clientèle a souvent moins de 100 000 $ d’investis. Si un changement du règlement oblige les courtiers à demander à leurs clients de payer pour des conseils de façon séparée, ils peuvent abandonner des parts de marché à leurs concurrents, notamment les banques. Certains investisseurs qui paient de façon indirecte par des commissions intégrées peuvent décider que les conseils sont un service dont ils n’ont pas besoin s’ils doivent le payer directement. Et nombre d’entre eux résisteraient à toute augmentation des tarifs. L’enquête de Pollara a trouvé que la moitié des personnes interrogées ont déclaré qu’elles demeureraient avec leur conseiller si leurs frais augmentaient dans une configuration de paiement direct, alors que l’autre moitié mettrait un terme à cette relation. Mais là aussi, il se peut que ce soient les conseillers qui laissent tomber, puisque les conseillers qui ont recours à des arrangements rémunérés sur honoraires ont tendance à éviter de s’occuper des petits comptes. C’est ce qui s’est produit au Royaume-Uni quand ce pays a décidé de bannir les commissions de suivi. Il y aurait des alternatives pour les petits investisseurs peu désirables, puisque les banques et la plupart des conseillers robots ont de faibles exigences de placement minimum dans leurs comptes. D’autres investisseurs du marché de grande consommation pourraient, du moins provisoirement, se retrouver sans accès aux conseils, soit délibérément, soit parce que les conseillers rémunérés sur honoraires ne veulent pas de leur clientèle. C’est une conséquence involontaire que les autorités et les parties prenantes de l’industrie auraient à cœur d’éviter, ou du moins de minimiser.