Cependant, il est loin d’être certain que tous en profiteront, car ces tendances risquent de créer plus de perdants que de gagnants.
Selon certains acteurs qui sont fréquents preneurs et vendeurs de blocs d’affaires, la période actuelle n’a jamais été aussi active. «Ça cogne constamment à ma porte ; ça n’a pas de bon sang, lance Daniel Guillemette, président de Diversico Experts-conseils. C’est un phénomène que je n’ai jamais vu. L’an dernier, j’ai effectué 10 acquisitions. Je m’attends à terminer l’année en cours à 20, et j’en prédis 40 l’an prochain. Je n’ai jamais vu un phénomène s’amplifier aussi vite.»
De plus, alors que le marché favorisait encore les vendeurs il y a quelques années, aujourd’hui, «ce sont les acheteurs qui sont en selle», ajoute Daniel Guillemette.
Même son de cloche chez Gino Savard, président de MICA Cabinets de services financiers. «On n’a jamais autant travaillé en transfert de book, confirme-t-il. Il y a maintenant entre cinq et dix fois plus de ventes et d’achats qu’il y a 10 ans.»
Gare au décaissement des clients
Maxime Gauthier, représentant en épargne collective et chef de la conformité chez Mérici Services financiers, apporte un bémol. Chez Mérici, la moyenne d’âge des représentants est plus basse que celle de l’industrie en général, de telle sorte que ces derniers reçoivent beaucoup d’offres. Toutefois, avertit Maxime Gauthier, les acheteurs ont souvent affaire à de «faux vendeurs», qui entament un processus de vente mais qui, à la dernière minute, se désistent. «Ce n’est pas qu’ils sont malhonnêtes, note-t-il ; ils sont probablement simplement à la recherche d’un prix.»
C’est dire que tous les conseillers plus âgés ne sont pas désespérés de vendre, une situation que confirment les chiffres généraux sur l’entrepreneuriat, selon Karine Précourt, directrice, planification fiscale et successorale, chez Placements Mackenzie. «En 2013, on prévoyait que le nombre de PME québécoises allait diminuer de 25 000 en 2018, rappelle-t-elle. En fait, le nombre a monté de 64 000, et s’est établi à 240 000. Plusieurs entrepreneurs constatent que leur société leur rapporte davantage que ce que leur rapporterait une vente.» Maxime Gauthier dit la même chose des «faux vendeurs».
La dynamique démographique est le principal facteur à l’origine de cette situation. Les conseillers ne rajeunissent pas, leurs clients non plus. Mais il y a d’autres moteurs, juge Daniel Guillemette, notamment la crainte devant le fardeau de la réglementation qui ne cesse de s’alourdir et l’avancée technologique, qui se complexifie.
Or, des clients qui avancent en âge, dont bon nombre sont parvenus à la phase de décaissement, ne contribuent pas à rehausser la valeur d’un bloc d’affaires, constatent nos intervenants. «Dans nos évaluations de book, tant en investissement qu’en assurance, on tient compte de l’âge des clients, dit Gino Savard, un facteur dont on tenait beaucoup moins compte il y a cinq ans.»
Si les «faux vendeurs» peuvent encore tirer leur épingle du jeu, ils le pourront de moins en moins. «Dans cinq ans, ça risque de se corser», prévoit Maxime Gauthier, et l’impératif de vendre va se présenter avec plus d’insistance. «Surtout, si je n’ai pas déjà près de moi un jeune conseiller avec qui je peux déjà convenir d’un mécanisme de passation de clients», ajoute-t-il.
«Beaucoup d’acheteurs vont être tentés d’utiliser la ruée de vendeurs pour offrir un prix moindre», prévoit Daniel Guillemette. Mais un marché de vendeurs plus concurrentiel n’est pas en soi une raison pour diminuer la valeur d’une clientèle, prévient-il. Un book de qualité va toujours demeurer attrayant, mais il est certain que la présence d’une clientèle plus âgée peut influencer à la baisse le prix de vente, et continuera d’exercer une pression à la baisse sur les prix.
Ainsi, Daniel Guillemette estime que le ratio d’évaluation courant, c’est-à-dire de 3 à 3,5 fois les revenus annuels, continuera de prévaloir. Mais il est certain que l’acheteur qui ne pense pas pouvoir préserver ce flux de revenus pour les cinq années à venir abaissera son offre. Il appliquera le même ratio, mais à un flux de revenus diminué.
Enfants oubliés
Le vieillissement des clients entraîne deux conséquences. D’une part, le décès de clients résulte souvent en une perte nette de revenus pour le conseiller, puisque son actif sous administration décline. D’autre part, le transfert de l’actif du client défunt à ses héritiers peut générer un gain potentiel de revenus ou tout au moins une préservation de revenus. À cela peut s’ajouter le versement aux héritiers de prestations d’assurance, un gain en actifs dont le conseiller peut profiter.
Le conseiller en profitera toutefois à une seule condition : s’il a su établir un lien avec les enfants et la famille de ses clients. Malheureusement, ceux qui ont réussi à le faire sont l’exception, constatent tous nos intervenants.
Or, c’est ici que se joue la préservation, et même la hausse de la valeur d’un bloc d’affaires à l’occasion d’une vente future. Le conseiller qui peut encore retarder la vente de sa clientèle a tout avantage, à défaut de recruter de nouveaux clients plus jeunes, à recruter les enfants de ses clients.
C’est une tâche qui n’est pas nécessairement aisée aujourd’hui, reconnaît Maxime Gauthier : «Bon nombre de mes plus jeunes clients ne veulent carrément pas avoir le même conseiller que leurs parents, et la mobilité n’aide pas. Autrefois, on naissait et on mourait dans le même village. Aujourd’hui, parents et enfants sont dispersés.»
S’il est difficile de recruter de jeunes clients, au moins les conseillers peuvent éviter de se nuire, ce que beaucoup font, juge Maxime Gauthier, en fixant des planchers d’actifs dans leur recrutement de clientèle. Par exemple, ceux qui exigent un minimum de 250 000 $ d’actif pour que l’on puisse accéder à leurs services «se trouvent à exclure les enfants de leurs clients qui, en général, ont beaucoup moins d’actifs, fait-il remarquer. La clé est de faire un modèle le plus accueillant possible pour les nouvelles générations».