La situation n’est guère plus reluisante pour le Brent de la mer du Nord. À la mi-novembre, le prix du baril gravitait dans les 82 $ US sur l’Intercontinental Exchange, son plus bas niveau depuis quatre ans.
Freiner les Américains
Les causes de la baisse des prix sont multiples. Toutefois, les observateurs avancent comme principale raison la volonté de l’Arabie Saoudite – propriétaire des plus importantes réserves d’hydrocarbures traditionnels – de réduire les prix à terme, en décembre, du pétrole destiné au marché américain.
L’Arabie saoudite a les reins assez solides pour vendre au rabais, selon les analystes, alors qu’une chute des prix compromet la rentabilité de l’exploitation du pétrole par des méthodes non traditionnelles (comme le pétrole de schiste et les sables bitumineux).
De nombreux observateurs croient donc qu’en cassant les prix, l’Arabie saoudite vise à freiner l’élan des producteurs américains de pétrole de schiste, qui ont considérablement augmenté leur production au cours des ans.
La mise au point des technologies de fracturation hydraulique ainsi qu’un investissement massif de capitaux dans ce secteur ont permis aux États-Unis de redevenir un acteur clé de la production pétrolière à l’échelle mondiale. La croissance de la production est telle que les États-Unis ont recommencé à exporter du pétrole, une première en quatre décennies !
Cité par l’Agence France-Presse, Phil Flynn, expert pétrolier de Price Futures Group, souligne que les États-Unis sont devenus pour l’Arabie saoudite «la première menace» dans la filière des hydrocarbures non traditionnels.
Le spécialiste note qu’en visant les États-Unis, la stratégie saoudienne ébranle l’ensemble de l’échiquier pétrolier.
«Il se pourrait bien que la Russie, l’Iran et le Venezuela soient les victimes collatérales du message que les Saoudiens veulent envoyer aux producteurs américains de pétrole de schiste», explique-t-il.
Un complot ?
D’autres observateurs y perçoivent plutôt une action concertée avec les États-Unis pour déstabiliser leurs principaux rivaux que sont l’Iran et la Russie et, dans une moindre mesure, le Venezuela. Soulignons que les budgets de ces États producteurs ont été calculés en se basant sur un prix du baril supérieur à 100 $ US.
Éditorialiste au New York Times, Thomas Friedman s’est fait l’apôtre de cette interprétation en y percevant une guerre détournée contre les régimes de Moscou et de Téhéran.
«Cette baisse des prix sert les intérêts stratégiques des États-Unis et de l’Arabie saoudite», écrit-il. Il rappelle que près de 60 % des recettes publiques de l’Iran et plus de la moitié de celles de la Russie viennent des exportations de pétrole.
Rien de surprenant à ce que l’ancien ministre des Finances de la Russie, Alexeï Koudrine, abonde dans le même sens.
«Il n’est pas exclu que la chute actuelle des prix du pétrole soit le résultat d’un complot entre plusieurs acteurs majeurs du marché, notamment les États-Unis et le Proche-Orient», soutient-il, selon Le Courrier de Russie.
Dur coup pour le Canada
L’économie canadienne fera elle aussi les frais de cette stratégie.
À la fin d’octobre, le gouverneur de la Banque du Canada, Stephen Poloz, indiquait devant le Comité permanent des banques et du commerce du Sénat que si les prix du pétrole restaient aussi bas, un quart de point devrait être retranché de la croissance du produit intérieur brut du Canada en 2015.
Stephen Poloz a rappelé qu’un tel ralentissement serait significatif, étant donné que son institution prévoit une croissance modérée l’an prochain (de 2 à 2,5 %).
La production pétrolière canadienne serait également touchée.
L’Agence internationale de l’énergie estimait récemment que le quart des nouveaux projets pétroliers canadiens pourrait ne pas voir le jour si le prix du baril chutait sous la barre des 80 $ US. L’exploitation des sables bitumineux n’est rentable que lorsque le prix du baril est supérieur à ce prix, estiment plusieurs analystes.
Cité par le Globe and Mail, Philip Verleger, un consultant indépendant qui oeuvre dans le secteur pétrolier, avance que l’Arabie saoudite veut aussi s’attaquer à la production canadienne. «Les Saoudiens agissent ainsi parce que leurs parts de marché sont en danger. Et je pense qu’ils visent l’Alberta.»
Il rappelle que les producteurs canadiens désirent exporter aux États-Unis, ce qui ferait diminuer davantage les exportations saoudiennes chez nos voisins du Sud.