Ce document, qui précise les attentes des assureurs en matière de conformité à l’égard des AG, s’ajoute à la nouvelle version du Sondage normalisé pour l’examen de la conformité des AG, qui entrera en vigueur en janvier prochain.

Le document de référence présente les meilleures pratiques déjà en place chez certaines AG au Canada et que l’ACCAP propose d’uniformiser dans son document de lignes directrices.

«Ce que nous mettons de l’avant n’est pas une série de règles et de procédures spécifiques», précise Peter Goldthorpe, directeur de la règlementation des marchés à l’ACCAP, à Toronto.

«Il s’agit plutôt de propositions de pratique dans une perspective de [gestion du] risque, ajoute-t-il. Donc, on ne doit pas s’attendre à ce que les mêmes pratiques soient nécessairement adoptées par toutes les AG partout au Canada. Par exemple, une petite AG pourrait mettre en place moins de pratiques qu’une grande ou des pratiques différentes.

Selon le document de référence, «la première étape de la mise en oeuvre d’un tel programme de conformité consiste pour l’AG à évaluer le risque que représente un conseiller».

Contrôle continu

D’après le document, les AG devraient effectuer un contrôle continu des conseillers afin de déceler des signes de problèmes potentiels et éviter que ceux-ci se concrétisent et nuisent aux clients.

Par exemple, un conseiller qui manquerait de connaissance ou d’expérience, qui effectuerait une fausse déclaration, qui abuserait de son influence afin de vendre un produit qui ne répond pas aux besoins du client ou qui serait dans une détresse financière risque davantage d’avoir une pratique commerciale inconvenable.

Selon le document, parmi les signes qui devraient alerter une AG, on trouve les changements dans l’apparence habituelle des propositions et des documents à l’appui présentés par le conseiller, les changements dans l’écriture du conseiller sur une proposition, et un volume d’affaires supérieur à celui auquel on pourrait normalement s’attendre.

Le document cible d’autres risques potentiels. Par exemple, certains conseillers annuleront systématiquement les polices de leurs clients alors qu’elles n’ont été en vigueur que deux ans et leur en vendront une nouvelle. Ainsi, après deux ans, la commission de vente et de suivi n’encourt plus de pénalités, de telle sorte que le conseiller l’empoche en totalité, et gagne par la suite une nouvelle commission de vente sur la nouvelle police vendue.

Pour repérer si un conseiller se livre à une telle pratique abusive, l’ACCAP propose qu’une AG organise ses mécanismes de supervision de façon à suivre, entre autres, le taux de maintien en vigueur des polices du conseiller, le taux de conservation des polices et le pourcentage de polices placées par rapport au nombre de propositions présentées. En corrélant certains de ces indices entre eux, l’AG pourrait déceler qu’un conseiller trompe ses clients.

D’autres activités visées par le document de l’ACCAP concernent autant les AG que leurs conseillers : conflits d’intérêts, respect de la vie privée et contrôles liés au blanchiment d’argent.

Pour le moment, il faut attendre de voir comment ceci se concrétisera dans les contrats que signeront assureurs et AG. Mais les changements prévus paraissent considérables à l’AG à qui Finance et Investissement a parlé.

Qui payera ?

«Avant, on formait nos conseillers et on les informait ; désormais, il faudra les superviser», souligne Linda Cockburn, directrice, Services d’assurance Peak, à Montréal, une agence qui fait affaire avec 940 conseillers.

«Il faudra entraîner du personnel pour faire ça, leur faire connaître à fond tous les produits pour être en mesure de dire si une proposition d’assurance convient à un client ou pas, poursuit-elle. Ça va être difficile, même au point de vue administratif. Ça va hausser nos frais de telle sorte qu’il faudra que les assureurs nous rémunèrent davantage.»

«Ce sera un travail substantiel de plus», affirme Michel Kirouac, directeur général chez Groupe Cloutier, qui compte environ 1 000 conseillers dans son réseau.

Celui-ci appréhende que les assureurs veuillent que ce fardeau soit à la charge complète des AG, même si la responsabilité ultime de la conformité des conseillers repose sur l’assureur : «Il me semble que ça irait de soi que les assureurs assument une partie du coût relié à la supervision».

La charrue avant les boeufs

Du côté des conseillers, toutefois, la charge ne sera pas particulièrement lourde, croit Michel Kirouac. «Pour le conseiller qui gardait ses affaires en ordre, ça ne changera pas grand-chose», dit-il. Pour ceux qui manquaient de rigueur, ce sera l’occasion d’en acquérir.

Par ailleurs, l’approche de l’ACCAP soulève quelques problèmes importants. Tout d’abord, il y a le fait que les AG n’ont aucun statut légal reconnu.

«Laissez-moi vous dire qu’un client qui fait affaire avec un conseiller à qui il donne des renseignements personnels, médicaux, ou même criminels, veut savoir avec qui il fait affaire et son statut», remarque Michel Kirouac.

C’est pourquoi un groupe d’AG du Québec propose, depuis 2012, que soit décrété le statut légal de «mandataire général», sous le contrôle de l’Autorité des marchés financiers et de la Chambre de la sécurité financière.

Ce cabinet aurait une existence propre, un permis distinct et un rôle clair. De plus, toutes les affaires d’un représentant en assurance convergeraient vers un seul et même cabinet mandataire, ce qui faciliterait la supervision de l’ensemble des affaires d’un représentant.

Actuellement, un conseiller en sécurité financière peut répartir ses affaires entre plusieurs AG, ce qui permettrait à un représentant malhonnête de répartir auprès de plusieurs AG ses activités inconvenantes.

Peter Goldthorpe croit qu’un tel détour légal est superflu : «Le CCRRA [Conseil canadien des responsables de la réglementation d’assurance] était clair : il veut une initiative dont les manières de faire proviennent des participants du marché. Ce sera une question contractuelle», et tout sera établi dans les contrats liant les assureurs aux AG et à chaque conseiller.

Risque de migration de conseillers

Selon Linda Cockburn, il faudra que ces contrats soient clairs et précisent que les conseillers sont obligés désormais de rendre des comptes aux AG. Car, à l’heure actuelle, note-t-elle : «On n’a aucun contrôle sur les actes d’un conseiller. Si je lui demande de me soumettre son analyse de besoins financiers, par exemple, il peut refuser sans problème».

Les intervenants craignent aussi que l’approche par lignes directrices introduise de grandes zones de flou. «L’ACCAP ne veut pas établir un cadre de règlementation précis comme ça existe dans le secteur des fonds communs, note Michel Kirouac. Elle laisse aux AG toute latitude d’introduire ou non de la supervision, selon qu’elle juge qu’il y a un risque potentiel ou non.»

Cependant, qu’en sera-t-il si une AG instaure un cadre de supervision très rigoureux tandis qu’une autre en établit un très approximatif ? demande Michel Kirouac. «On pourrait assister, répond-il, à un déplacement de conseillers vers des AG moins exigeantes.»