Ils préfèrent souvent investir dans ce qu’ils connaissent, ils ne diversifient pas assez leurs placements et sont parfois trop optimistes, ce qui les mène à trop négocier leurs titres.

Or, près de la moitié des biais classiques des investisseurs seraient déterminés par des facteurs génétiques, selon Henrik Cronqvist, de la China Europe International Business School, et Stephan Siegel, de l’Université de Washington.

Les deux chercheurs ont révélé les résultats de leur étude menée sur des dizaines de milliers de paires de jumeaux identiques et non identiques dans un article publié plus tôt cette année dans le Journal of Financial Economics (http://tinyurl.com/7ovw884).

Plus fort que l’éducation

Grâce à une vaste banque suédoise de jumeaux, créée dans les années 1960 pour étudier les effets du tabac, les deux chercheurs ont testé la présence de certaines tendances irrationnelles répandues chez les investisseurs.

À partir de relevés d’investissements très détaillés exigés par le gouvernement suédois, ils ont pu vérifier si les comportements d’investisseur étaient davantage similaires chez les jumeaux identiques que chez les jumeaux non identiques, qui ne partagent habituellement que 50 % de leurs gènes.

Après avoir considéré d’autres facteurs comme l’éducation, les deux chercheurs concluent que jusqu’à 45 % des variations notées chez les individus de l’étude sont explicables par le bagage génétique.

Ainsi, des biais comme la préférence pour les «titres maison», le manque de diversification, les transactions excessives ainsi que l’aversion pour les pertes, s’expliqueraient, en moyenne, à près de la moitié par des facteurs génétiques.

En entrevue, Stephan Siegel explique que la génétique dépasse clairement l’influence d’autres facteurs comme le sexe ou l’éducation sur le comportement des investisseurs.

«Quand on fait des tests pour analyser si l’éducation a un effet sur les décisions d’investissement, on conclut en général que c’est le cas. Mais quand on examine aussi le bagage génétique, l’influence de l’éducation devient presque nulle», explique-t-il.

C’est dire que l’oeuvre d’éducation des conseillers, qui cherchent à atténuer les tendances irrationnelles chez leurs clients, serait souvent inefficace.

Stephan Siegel précise néanmoins que d’autres facteurs «environnementaux», comme les expériences passées en matière d’investissement, sont potentiellement plus déterminants.

Réduire l’influence humaine

Les résultats de l’étude de Stephan Siegel et Henrik Cronqvist concordent avec une autre étude de 2009, également menée sur des jumeaux. Elle révélait que la confiance excessive pouvait être expliquée, dans une proportion de 16 à 34 %, par des facteurs génétiques (http://tinyurl.com/ld8vp44).

Le professeur Siegel est d’avis que ces résultats devraient remettre en question les politiques en matière d’éducation financière qui n’auraient qu’un effet limité.

Il croit aussi que les services existants de conseil financier souffrent «d’un manque de confiance, de coûts élevés et de bénéfices flous».

«On sait que même les conseillers financiers ont la plupart de ces biais», fait-il remarquer.

Pour lui, l’avenir se trouverait dans la délégation de la prise de décision afin de réduire au minimum «les interactions humaines.» Il croit que des firmes de «robot-conseil» comme Betterment et WealthBar représentent la voie de l’avenir (voir l’article de Yan Barcelo sur le sujet : http://tinyurl.com/mjkaf3h).

Ce n’est que le début

Stephan Siegel croit que la recherche sur la génétique des comportements n’en est qu’à ses débuts.

«Ce n’est qu’une question de temps avant qu’on puisse déterminer avec plus de certitude les gènes liés à ces différents comportements», affirme-t-il.

Camelia M. Kuhnen, professeur de finance à l’Université de la Caroline du Nord, est une des spécialistes qui travaille à l’identification des mécanismes génétiques qui déterminent les décisions financières.

L’année dernière, elle a publié avec des collègues les résultats de ses recherches sur le gène transmetteur de sérotonine (http://tinyurl.com/prtzw9u). La configuration de celui-ci aurait un effet sur la prise de risque en matière financière, conclut l’étude.

Camelia M. Kuhnen reste néanmoins circonspecte quand à la portée de ses recherches.

«Il y a en effet des facteurs génétiques dans les différents aspects de la prise des décisions financières, souligne-t-elle par courriel. Par exemple, nous avons trouvé des prédicteurs génétiques de la volonté des gens à tolérer un risque ou de leur capacité à donner du sens à de nouvelles informations sur les marchés. Cela étant dit, ces facteurs génétiques ne représentent qu’une partie des variations notées chez les individus dans ces aspects de la prise de décision financière.»

L’idée est moins de changer les comportements que de «mieux comprendre les mécanismes cérébraux qui déterminent certains comportements ou erreurs que font les gens.»

Ironiquement, ces erreurs et ces comportements jugés irrationnels dans un contexte financier sont aussi le produit de la sélection naturelle et peuvent être très utiles dans d’autres aspects de la vie.

«Au quotidien, il est important de pouvoir définir des tendances et d’extrapoler l’avenir à partir du passé, rappelle Stephan Siegel. C’est ce qui nous permet de mieux prévoir le comportement des autres.

«Sauf que pour les marchés financiers, tenter de prévoir l’avenir est plutôt improductif», conclut-il.