Selon l’opinion générale, le client doit générer un certain niveau de revenus pour s’incorporer, sans quoi l’impôt payé sera semblable à celui d’un particulier. C’est sans compter les coûts fixes liés à l’incorporation, qui risquent d’être plus élevés.
Créer une société par actions n’est effectivement pas gratuit. Il en coûtera entre 1 500 et 2 500 $, parfois plus, en frais d’incorporation. Ensuite, on paiera chaque année un comptable pour produire des états financiers distincts, dont un pour la société par actions et un autre pour l’actionnaire de cette société.
«Dans certains cas, même si le travailleur n’épargne pas un sou dans sa société, cela peut valoir la peine de s’incorporer, et ce, dans l’unique but de fractionner des revenus avec des enfants majeurs ou un conjoint», indique Normand Verville, spécialiste principal en planification fiscale et successorale du Groupe Investors.
Si ces derniers ont peu ou pas de revenus d’autres sources, les montants reçus provenant de la société pourraient être faiblement ou aucunement imposés.
Deux voies de fractionnement
En général, on considère qu’il y a deux options pour réaliser le fractionnement de revenu avec des conjoints ou des enfants majeurs : les actions à dividendes discrétionnaires et la fiducie familiale.
Dans le premier cas, le client devra octroyer des actions aux membres de sa famille. «Si l’on ne souhaite pas qu’ils aient un pouvoir décisionnel ou un accès à la plus-value de l’entreprise, on leur émettra des actions privilégiées avec dividendes discrétionnaires», explique Normand Verville. Cela peut simplifier les choses en cas de séparation, quand un couple vit en union de fait ou qu’il est marié sous le régime de la séparation de biens.
«Un travailleur incorporé peut verser à son enfant adulte un dividende de quelques milliers de dollars par an, qu’il vive chez ses parents ou non, qu’il soit aux études ou non. L’important, c’est que cet argent serve à assumer le coût de la vie de l’enfant majeur», rappelle Josée Jeffrey, fiscaliste et planificatrice financière de son propre cabinet, Focus Retraite & Fiscalité.
«Par exemple, l’entrepreneur pourrait verser 30 000 $ en dividendes à sa conjointe, et 15 000 $ à chacun de ses enfants. L’important, c’est que ces sommes soient dépensées au bénéfice de la personne qui les reçoit. Madame ne peut pas déposer cet argent et faire ensuite un chèque à son conjoint ni même lui payer une voiture», ajoute Jean-Pierre Poulin, associé en fiscalité au bureau de Québec de Raymond Chabot Grant Thornton.
Avantageuse fiducie familiale
Le professionnel ou l’entrepreneur qui souhaite s’incorporer pourrait également constituer une fiducie familiale discrétionnaire dans laquelle les bénéficiaires de cet arrangement sont des membres de la famille.
Dans le deuxième cas, la fiducie familiale permet un fractionnement de revenu avec le conjoint et les enfants majeurs en les désignant comme bénéficiaires.
La fiducie devient alors propriétaire d’actions de la société opérante, qui lui verse un dividende. Par la suite, la fiducie attribue ce revenu de dividende aux différents bénéficiaires, qui l’ajoutent à leurs revenus personnels.
Le propriétaire de l’entreprise contrôle généralement la fiducie afin de garder la souplesse nécessaire dans le versement des dividendes.
La mise en place de la fiducie familiale se fait souvent au même moment que le gel de la valeur des actions d’une entreprise.
Lors d’une telle réorganisation, il faudra d’abord fixer la valeur de l’entreprise. Si les actions de l’entreprise ont une valeur marchande de 3 M$ par exemple, on effectuera un gel de ces actions en les échangeant contre des actions privilégiées avec droit de vote, si l’actionnaire-dirigeant souhaite continuer de contrôler sa société.
La valeur des nouvelles actions ordinaires sera alors nulle. On émettra de nouvelles actions au nom de la fiducie dont les bénéficiaires pourront être cet actionnaire-dirigeant, ses enfants, son conjoint, une société par actions ou toute autre personne qu’il pourra désigner.
«Un entrepreneur pourrait déterminer qu’il a assez d’argent pour sa retraite et vouloir que la plus-value future de son entreprise soit versée à la prochaine génération», illustre Normand Verville.
Bénéfices collatéraux
Le jour où l’actionnaire voudra se départir de sa société, il pourrait avoir droit à une exemption sur le gain en capital de 800 000 $ sur la vente de ses actions, à condition que ces titres répondent à certains critères.
«Si le conjoint ou les enfants n’ont que des actions privilégiées discrétionnaires, ils n’auront droit qu’à la valeur d’émission de l’action, sans aucune plus-value», dit Jean-Pierre Poulin.
«Dans le cas où une fiducie familiale est en place, on pourra également multiplier cette exonération en attribuant à plus d’un bénéficiaire une portion du gain en capital réalisé lors d’une vente d’actions. Cela peut valoir la peine si la société par actions vaut plus que 800 000 $», précise Normand Verville.
Par ailleurs, un travailleur autonome peut décider de s’incorporer tout juste avant de vendre son entreprise. «Dans la mesure où on transfère la totalité ou presque (90 % ou plus) de notre entreprise, ce qui comprend le mobilier, la clientèle, le bail, etc., nous pourrons revendre nos actions et profiter de l’exemption sur le gain en capital si les critères sont remplis», remarque Jean-Pierre Poulin.
Pièges à éviter
Fractionner son revenu peut s’avérer une bien mauvaise stratégie si on le fait sans respecter les règles d’attribution. Selon ces règles, dans certains cas, un actionnaire-dirigeant ne pourra allouer de revenus à son conjoint ou à ses enfants mineurs, et il devra payer de l’impôt sur le revenu à son taux marginal d’imposition.
Si on distribue un dividende à un enfant mineur, ce revenu sera imposé au taux marginal le plus élevé, soit 49,96 %. «C’est ce qu’on appelle communément l’impôt sur le revenu fractionné avec des enfants mineurs ou Kiddie Tax», confirme Josée Jeffrey.
On octroie habituellement des actions à des personnes avec lesquelles on a un lien familial, comme un enfant, un conjoint, un père, une mère. «Il faut s’assurer que ces dividendes ne serviront pas seulement à éviter ou à réduire l’impôt. Par exemple, l’enfant qui a reçu un dividende devra conserver cette somme, et non la remettre à son parent», rappelle Normand Verville.
Si un client a fondé sa propre entreprise quelques années avant de s’incorporer, au moment de le faire, il pourrait devoir transférer une valeur d’achalandage dans la société par actions. Dans le cas d’un dentiste par exemple, la clientèle, le mobilier, les ordinateurs, etc.
«Dans un tel cas, si des actions sont émises au conjoint pour une valeur nominale, les règles d’attribution pourraient s’appliquer. Il est donc important de consulter un spécialiste pour s’assurer d’éviter ou de minimiser l’application des règles d’attribution», conseille Normand Verville.