De 2012 et 2016, le nombre de fonds philanthropiques et de fondations hébergés par la Fondation du Grand Montréal (FGM), qui se spécialise dans la création de fonds de dotation aux fins de versement à des organismes de bienfaisance, a progressé de près de 50 %, pour atteindre 509.
Or, cette tendance s’accompagne de «beaucoup de confusion» quant aux façons de donner et à leurs avantages fiscaux, déplore Natalie Hotte, fiscaliste, planificateur financier et conseillère principale pour Financière Banque Nationale – Gestion de patrimoine et Trust Banque Nationale : «On ne fait pas d’argent en donnant. Si c’est l’objectif, il faut voir d’autres méthodes, car on va toujours être plus pauvre après n’importe quel don.»
Lorsque le client a l’intention de donner, son conseiller peut l’aider à structurer cette volonté. Doit-il donner de son vivant ou par legs testamentaire ? Quelle cause souhaite-t-il soutenir ? Une fois cette étape franchie, c’est là qu’on peut parler de fiscalité, indique Natalie Hotte.
À qui donner : trois types d’organismes
Il existe principalement trois manières de donner : contribuer à un organisme de bienfaisance enregistré ou à une fondation déjà existante, créer sa propre fondation privée, ou encore ouvrir un fonds de dotation dans une fondation publique.
Si le client choisit la première option, il peut entre autres effectuer un don unique ou des dons mensuels. Il reçoit alors un reçu officiel de don à des fins fiscales.
Dans ce cas, l’organisme ciblé «va recevoir l’argent et faire ce qu’il veut avec, dans le cadre de sa mission. Alors, une fois l’argent donné, le client ne s’occupe plus de rien», mentionne Natalie Hotte.
Si le client désire être pleinement engagé dans son activité philanthropique, il peut créer une fondation privée, dont les fins relèvent exclusivement de la bienfaisance.
Comme dans le cas du don à un organisme de bienfaisance ou à une fondation déjà enregistrés, le don effectué au sein de la fondation privée fournira aussi au client un reçu officiel de don à des fins fiscales. «L’argent donné n’appartient plus au client, mais grâce à la structure de la fondation, il conserve un droit de regard sur le choix de l’organisme, de la cause ou du secteur qui sera bénéficiaire», indique Natalie Hotte.
«C’est assez lourd comme structure, car ça requiert un conseil d’administration, une politique d’investissement et la production d’états financiers. Toutes des démarches qui nécessitent du temps et de l’argent. C’est toutefois une façon de réunir la famille autour d’une cause commune, par exemple en impliquant les enfants au sein du conseil d’administration, et de s’engager à long terme dans sa ferveur philanthropique», précise Francis Sabourin, directeur, gestion de patrimoine, planificateur financier et gestionnaire de portefeuille chez Richardson GMP.
Le conseil d’administration de la fondation privée choisira chaque année à quels projets ou organismes les revenus de placement seront distribués. «Le conseil d’administration pourrait même accepter de recevoir des demandes de projets de l’extérieur», mentionne Natalie Hotte.
Obtenir l’enregistrement de l’Agence du revenu du Canada (ARC) peut toutefois nécessiter un certain temps, ajoute-t-elle. Natalie Hotte évoque le cas d’un client qui avait créé sa fondation privée, mais dont l’enregistrement auprès de l’ARC tardait à se confirmer. «Nous étions dans un momentum. Ce client devait exercer des options d’achat d’actions, et le laps de temps pour donner les actions à une fondation et exempter l’avantage est de 30 jours, mais je ne pouvais pas procéder et effectuer le don, car la fondation privée n’était pas encore officiellement créée.»
Dans ce cas, Natalie Hotte a suggéré l’utilisation d’une fondation publique, aussi connue sous le nom de fonds de dotation ou fonds orienté par le donateur.
Cette troisième option «se trouve à mi-chemin entre le don à un organisme de bienfaisance ou à une fondation déjà enregistrés et la fondation privée sur le plan de l’implication, dans la mesure où la gestion et l’administration du fonds sont déléguées à une organisation spécialisée, par exemple la FGM. Le client peut aussi demander à son conseiller de gérer l’actif du fonds», dit Natalie Hotte.
L’option de la fondation publique peut s’avérer intéressante dans le cas d’un client qui vend son entreprise et se retrouve soudainement avec une importante facture fiscale. «Même si cette personne sait qu’elle ne fera pas un gain financier avec la philanthropie, le crédit d’impôt pourra réduire sa facture fiscale au moment de la vente de son entreprise. Alors si elle a l’intention d’effectuer un don important, elle pourrait en profiter pour le faire tout de suite et obtenir son crédit d’impôt au cours de l’année, même si elle ne sait pas encore à quelle cause ou à quel organisme elle veut faire son don. En ayant recours à une fondation publique, cela lui donne du temps pour cerner quels organismes de bienfaisance enregistrés feront l’objet de ses choix ou encore prendre le temps de créer et recevoir l’enregistrement de sa fondation privée», illustre Natalie Hotte.
Des courtiers offrent aussi ce genre de solutions à leurs clients. Par exemple, Richardson GMP propose son programme de dons caritatifs par l’intermédiaire de Benefaction, une fondation de charité publique enregistrée auprès de l’ARC.
«Ce programme répond au besoin philanthropique du client, mais de manière beaucoup plus simple, tout en permettant un certain contrôle, indique Francis Sabourin. Le client conclut d’abord une convention de donation pour le fonds qui sera créé, puis effectue un don en espèces ou en titres qui lui permettra de recevoir un reçu officiel à des fins fiscales. Le don est alors investi dans un compte séparé, administré par le conseiller en placement du client. Une portion du solde, habituellement les revenus de placement générés, sera distribuée annuellement à des oeuvres caritatives, en fonction des recommandations du client.»
Les années suivantes, le client peut verser des dons additionnels à ce fonds. La gestion et l’administration du fonds de même que les rapports légaux sont pris en charge par la firme, ajoute Francis Sabourin.
Plusieurs formes de dons
Un client peut donner personnellement ou par l’intermédiaire d’une entreprise. Son don peut prendre plusieurs formes : argent, titres boursiers, fonds communs de placement, polices d’assurance vie, etc.
«J’ai déjà vu des stratégies impliquant des pièces d’or et des propriétés, mais il y a des lois spécifiques et différentes relativement à la valeur des dons lorsque l’on donne des actifs de cette nature», signale Peter Pomponio.
Chaque don mérite d’être bien planifié et différentes stratégies peuvent être mises en place selon la situation du client.
Dans le cas de l’assurance vie, plusieurs stratégies existent, mais leurs impacts sont surtout visibles au moment du décès. «Tu peux faire l’achat d’une assurance vie et nommer un organisme caritatif comme propriétaire et bénéficiaire. Les primes payées seront alors déductibles d’impôt dès le début, mais le capital-décès ne donnera pas droit à un reçu fiscal, explique Francis Sabourin. À l’inverse, tu peux établir un contrat d’assurance vie avec une fondation choisie à titre de bénéficiaire. Le montant des primes ne sera pas déductible d’impôt, mais lors du décès, le montant versé par l’assurance sera considéré à titre de don.»
Un client pourrait aussi effectuer un don en nature de titres cotés en Bourse dans des comptes non enregistrés et profiter ainsi de l’exonération du gain en capital sur ces titres. «Disons que le client a acheté à 10 000 $ des actions d’une entreprise publique et que les actions en valent 20 000 $ ; il pourra donner 20 000 $ et le gain en capital réalisé ne sera pas imposable», illustre Peter Pomponio.
Un client peut aussi évaluer l’option de donner un fonds d’investissement dont le prix de base rajusté (PBR) est faible et ainsi profiter de cette dernière exonération. Il peut, par exemple, envisager de donner un fonds commun de série T pour lequel les remboursements de capital ont abaissé, avec le temps, le PBR du fonds à zéro. Par contre, il devra faire attention aux autres aspects de sa fiscalité.
Des stratégies plus audacieuses impliquant par exemple le don d’actions accréditives existent également, évoque Natalie Hotte en référence au programme de dons qu’a mis sur pied PearTree Financial. «PearTree a structuré avec succès l’opération de financement par actions accréditives dans le but de diminuer le coût des dons après impôt à moins de 20 % dans toutes les provinces et à moins de 10 % pour certains donateurs du Québec», lit-on sur son site Internet.
Pour ce type de programme, «l’intervention de votre conseiller fiscal est primordiale», commente Natalie Hotte.
Toutefois, avec la fiscalité, «il n’y a pas de recette magique, dit-elle. Il faut regarder la situation du client, celle de sa famille, voir s’il possède des actions avec beaucoup de gain, s’il a de l’argent dans son entreprise, s’il possède des assurances ou des rentes, et finalement déterminer quelle sera la stratégie idéale.»