Comment l’industrie des fonds peut contourner une interdiction des commissions de suivi
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Perdue dans le débat houleux sur l’opportunité d’interdire les commissions intégrées pour les fonds communs, il y a une alternative bien de chez nous qui satisferait les autorités de réglementation sur les valeurs mobilières et dont l’industrie des fonds pourrait aussi s’accommoder.

La solution : des accords de paiement direct, par lesquels les sociétés de fonds prélèveraient de l’argent des comptes des investisseurs pour les transmettre aux courtiers de fonds mutuels.

À première vue, ça ressemble à s’y méprendre aux commissions de suivi que la société paie à ces derniers en rémunération des conseils et des services qu’ils prodiguent aux investisseurs.

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Mais il y a des différences notoires. La société de fonds ne paie rien qui provienne de ses frais de gestion ou d’autres revenus. Le paiement direct n’est donc pas une commission intégrée, qui est ce que les autorités proposent d’interdire. Avec des paiements directs, la rémunération du courtier est négociable et convenue à l’avance avec l’investisseur. La société de fonds s’occupe des formalités administratives, qui impliquent des rachats de parts, des retraits d’argent liquide ou les deux.

Bien qu’assez mal connue, même chez les parties prenantes de l’industrie, la formule de paiement direct aux courtiers ne relève pas de l’expérimentation pure. Il y a au moins deux sociétés, toutes deux fréquemment innovatrices des modèles tarifaires, Placements Mackenzie et Invesco Canada, qui ont déjà en place des options d’achats avec paiements directs.

Les options de paiements directs ont été lancées en octobre 2015 par le truchement de ses séries FB et FB5, formule étendue par la suite à deux séries correspondantes pour les gros comptes.

Tel qu’indiqué dans les accords conclus par Mackenzie avec les courtiers relativement aux frais de services-conseils négociés, Mackenzie ne verse pas de rémunération aux courtiers. L’accord autorise Mackenzie à procéder à des rachats de parts trimestriels pour couvrir les services-conseils plus les taxes, et en utiliser le produit pour rémunérer le courtier. Les frais de service négocié, qui doivent être précisés dans l’accord peuvent aller jusqu’à 1,5 % par an.

À la fin du mois d’août, un total de 47 millions de dollars (M$) d’actifs de fonds communs de Mackenzie étaient sujets à ces accords : une bagatelle par rapport à l’actif total de la compagnie (47,5 G$). Même ainsi, les actifs de ses séries innovatrices ont presque doublé depuis le mois d’avril de cette année, date à laquelle ont été lancées les séries destinées aux gros comptes.

Du côté de chez Invesco Canada, des accords de paiement direct comparables destinés à acheminer certains actifs des investisseurs à leurs conseillers sont disponibles pour la série F vendue sur honoraires et huit autres séries, notamment celles qui prévoient des distributions mensuelles et plusieurs qui sont destinées aux gros comptes.

À l’instar des dispositions de Mackenzie, les frais à payer aux conseillers dans le cadre du programme Invesco sont plafonnés à 1,5 % par an, ce qui s’avère être 50 points de base de plus que la commission de suivi traditionnelle de 1 % applicable aux fonds d’actions et équilibrés payant des frais d’acquisition à l’achat. Sous réserve du consentement de leur client, les courtiers suivant un régime de paiement direct peuvent recevoir une rémunération plus élevée que par des commissions de suivi du niveau habituel.

Nul doute que la possibilité d’une hausse des frais n’est pas ce que les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) avaient à l’esprit quand, dans leur document de consultation sorti le 10 janvier, elles ont donné leur bénédiction aux accords de paiement direct négociés et convenus exclusivement entre l’investisseur et le courtier.

Comme l’indique le document de consultation des ACVM, « les fonds d’investissement, les gestionnaires de fonds d’investissement et les émetteurs de billets structurés ne seraient plus autorisés à verser de rémunération aux courtiers ou à financer cette rémunération par prélèvement sur leurs propres actifs ou sur leur revenu relativement à la souscription ou à la détention d’un titre par un investisseur, mais nous prévoyons les autoriser à faciliter le paiement de la rémunération du courtier par l’investisseur. En particulier, le gestionnaire de fonds d’investissement serait autorisé à prélever la rémunération du courtier au moyen de déductions sur le montant d’une souscription ou encore de retraits ou de rachats périodiques effectués sur le compte de l’investisseur, et à remettre ces sommes au courtier au nom de l’investisseur, pourvu que celui-ci consente à ce mode de paiement ».

L’Institut des fonds d’investissement du Canada (IFIC) s’est publiquement déclaré favorable aux options de paiement direct comme celles qu’offrent Mackenzie, une des sociétés membres, et Invesco. Les accords de paiement direct pour services rendus, a indiqué l’IFIC dans une soumission aux ACVM le 9 juin, résoudraient le problème du comportement de résistance adopté par les investisseurs peu enclins à payer d’emblée pour des services dont la valeur est incertaine. « Cela éliminerait aussi le conflit que crée le paiement de commissions intégrées par le gestionnaire de fonds de placement sans l’accord de l’investisseur. »

Pourtant, cette association professionnelle a consacré le plus clair de ses efforts de lobbying à tenter de convaincre les investisseurs de ne pas mettre en œuvre une interdiction des commissions de suivi. Le président de l’IFIC Paul Bourque, qui était au nombre des participants des discussions de groupe organisées à Toronto le 18 septembre par la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, a recommandé une plus grande transparence des frais tout en réitérant la position de l’IFIC selon laquelle les commissions de vente intégrées rendaient les conseils accessibles et abordables.

L’IFIC et les sociétés membres affirment qu’éliminer les commissions de suivi créerait une lacune dans le domaine des conseils et avancent qu’il ne serait pas économique pour les courtiers de fournir des conseils et des services aux petits comptes.

Quant aux accords de paiement direct, M. Bourque a souligné dans une de ses interventions au cours d’une discussion de groupe qu’il y avait des coûts administratifs associés à ce type de compte, qui devaient être pris en charge soit par les courtiers, soit par les sociétés de fonds.

« Il y a toute une série de problèmes opérationnels, a dit M. Bourque dans un entretien qui a suivi la manifestation parrainée par la CVMO à Toronto. Il y a entre autres le besoin de configurer les systèmes administratifs pour qu’ils puissent dévoiler à tout instant des informations exactes sur les frais convenus et les rachats requis pour permettre le paiement des courtiers, et émettre des relevés d’impôt.

Pour les investisseurs, notamment ceux qui détiennent leurs fonds dans des comptes non enregistrés, les accords de paiement direct créent des complications fiscales puisque les rachats de parts constituent des actes imposables. C’est la raison pour laquelle, dans l’éventualité d’une interdiction des commissions de suivi, une solution plus simple pour les investisseurs détenteurs de comptes imposables serait de souscrire à des accords classiques de rémunération par honoraires qui leur permettraient de payer pour des conseils sans avoir à racheter de parts.

Le consensus qui règne dans l’industrie des fonds communs, exprimé lors des discussions de groupe de la CVMO par des dirigeants de l’industrie comme le président de Fidelity Investments Canada Robert Strickland, le PDG de Placements Franklin Templeton Duane Green et le président et chef de la direction de la Financière Mackenzie Barry McInerney, est de laisser aux investisseurs le choix de décider comment ils veulent payer les conseils qu’ils reçoivent, et de laisser les forces du marché prévaloir. Toutefois, ainsi que l’a déclaré de façon catégorique la présidente et chef de la direction de la CVMO Maureen Jensen dans son discours d’ouverture, « le statu quo n’est pas une option ».

Alors que les dirigeants de la CVMO soulignent qu’aucune décision n’a été prise par les ACVM pour mettre en œuvre une interdiction des commissions intégrées, il y aura au moins, sous une forme ou une autre, un plafonnement des commissions de suivi, comme c’est le cas aux États-Unis. Il y aura aussi, à défaut d’une interdiction catégorique, des restrictions apportées aux options de frais d’acquisition différés permettant aux courtiers d’obtenir une commission au point de vente tout en touchant une commission de suivi à montant réduit.

Les discussions de groupe parrainées par les ACVM cette semaine faisaient partie du processus de consultation et d’examen mis en place par les autorités dans tout le pays, qui ont fait l’objet d’un nombre record de 142 commentaires écrits. Les ACVM devraient publier ses recommandations préliminaires au printemps 2018.

Puisque des changements se profilent à l’horizon sur la manière dont les courtiers de fonds mutuels seront payés, on peut s’attendre à voir un nombre croissant de sociétés de fonds introduire des dispositions de paiement direct, comme l’ont fait Mackenzie et Invesco. Cela permettra aux sociétés de contourner une interdiction potentielle des commissions de suivi tout en faisant office d’organismes de paiement pour les courtiers.