Ces modifications peuvent-elles changer les rapports de force au sein de l’industrie ?
«Les contrats d’emploi des courtiers de plein exercice s’adaptent à la jurisprudence. Les firmes sont à l’affût de ces changements, comme c’est le cas dans toutes les industries», affirme Richard Vachon, avocat associé au sein du cabinet Woods, à Montréal.
Certaines institutions font signer à leurs conseillers de nouveaux contrats de travail plus à jour, confirment les spécialistes consultés.
«Les firmes de courtage utilisent des moyens qu’elles estiment judicieux et légaux afin de conserver leur clientèle en restreignant le représentant qui s’en va», souligne Sébastien C. Caron, associé du cabinet LCM Avocats.
«Cependant, on ne peut pas faire abstraction des droits des représentants. La jurisprudence leur reconnaît le droit de gagner leur vie, et selon le contexte, les tribunaux tenteront de trouver un juste équilibre», ajoute-t-il.
Les clauses doivent être précises
Richard Vachon distingue dans un premier temps la clause de non-concurrence de la clause de non-sollicitation.
D’après le Code civil du Québec et la jurisprudence, trois conditions sont nécessaires pour qu’une clause de non-concurrence soit valide. Elle doit être limitée dans le temps, dans le lieu et le genre de travail (secteur d’activité).
«Ces limitations doivent être bien rédigées, sinon le tribunal aura tendance à les interpréter de façon restrictive», précise-t-il.
Lorsqu’il s’agit de la durée de la non-concurrence, «ce délai sera modulé au cas par cas, dépendamment du rôle du conseiller au sein de la firme de courtage et de son importance relative. En règle générale, une clause de plus de deux ans ne sera pas entérinée par les tribunaux», précise Richard Vachon.
«Les clauses de non-concurrence sont plus restrictives et plus difficiles à appliquer que les clauses de non-sollicitation, puisqu’elles empêchent le salarié de travailler. D’ailleurs, elles sont moins fréquentes que les clauses de non-sollicitation dans le cas des conseillers de plein exercice», ajoute-t-il.
Après un flottement jurisprudentiel, la Cour suprême a statué en 2013 qu’une clause de non-sollicitation n’a pas besoin d’une limite territoriale, puisqu’elle sera limitée par la clientèle visée (jugement Payette c. Guay inc., http://tinyurl.com/l7n5lcy)
«Ce genre de clause vise à protéger la clientèle de la sollicitation, peu importe où elle est», précise Richard Vachon.
Certains contrats comportent des clauses de non-sollicitation qui sont dans les faits des clauses de non-concurrence. Une clause de non-concurrence empêcherait essentiellement le conseiller en placement de gagner sa vie.
«Le conseiller doit faire preuve de prudence et consulter un avocat afin de savoir dans quelle mesure la clause s’applique à sa situation et pour déterminer ses obligations. S’il dirige une succursale, par exemple, il aura des responsabilités de gestion. Chaque cas est différent», dit-il.
Informer sans solliciter
«Dans le cas d’une clause de non-sollicitation ordinaire, les tribunaux ont reconnu que le conseiller qui quitte son employeur de son plein gré a le droit d’informer ses clients de son départ et de dire où il va», explique Bernard Synnott, bâtonnier du Québec et associé chez Fasken Martineau.
«Après son départ, un conseiller peut envoyer un avis général, une lettre ou un courriel où il mentionne qu’il a changé d’employeur en indiquant sa nouvelle adresse.»
«Avant de poser un tel geste, le conseiller devrait toutefois consulter un avocat afin de s’assurer qu’il respecte ses obligations légales ou contractuelles, et qu’il ne contrevient pas à une clause de non-sollicitation», souligne Richard Vachon.
Peut-on afficher sur son compte LinkedIn ou Facebook qu’on a changé d’employeur en y indiquant nos nouvelles coordonnées ? «Tout est une question de contexte», répond Sébastien Caron.
La jurisprudence dit qu’après son départ, un représentant peut afficher publiquement ses services, dans une publicité qui s’adresse à tous et qui n’est pas ciblée, en y indiquant qu’il a changé de firme.
«Suivant cette logique, on peut penser qu’on pourrait faire la même affirmation sur une page Facebook. Par contre, si votre communauté sur Facebook est constituée essentiellement de vos anciens clients, c’est plus risqué, puisqu’on pourrait considérer cela comme de la sollicitation ciblée», explique Sébastien Caron.
Interdit de communiquer
Selon Bernard Synnott, plusieurs clauses de non-sollicitation se transforment aujourd’hui en clauses de non-communication.
Les contrats spécifieront par exemple que le conseiller ne peut communiquer d’aucune façon avec son ancien client. De même, il ne doit pas l’inciter à quitter la firme ou à cesser de faire affaire avec elle.
«Personnellement, si j’ai déjà une entente de non-sollicitation et qu’on la change pour une clause de non-communication, je ne crois pas qu’il s’agisse d’une modification substantielle à mon contrat», note-t-il.
«Cela serait différent si un conseiller n’a jamais signé de clause de non-sollicitation et qu’on lui impose du jour au lendemain une clause de non-communication», ajoute Bernard Synnott.
Un conseiller en placement pourrait alors affirmer qu’il s’agit d’un changement majeur à son contrat de travail, et qu’il considère cela comme un congédiement déguisé. «Dans un tel cas, un conseiller pourrait dire : « Je quitte la firme » ou « Payez-moi pour le dommage que vous me créez en m’imposant cette nouvelle condition à mon contrat »», explique Bernard Synnott.
En résumé, le conseiller aura un recours s’il peut prouver qu’il s’agit d’une modification substantielle à son contrat.
Il n’y a pas encore de jurisprudence pour des clauses de non-communication. «Il faudra voir comment on démontrera devant le tribunal qu’une telle clause est raisonnable et de quelle manière elle sera jugée», remarque Richard Vachon.
«Je vois difficilement comment on pourrait s’écarter des critères qui sont en place en ce qui concerne la validité des clauses de non-sollicitation», affirme-t-il.
Ultimement, c’est le client qui décidera avec qui il voudra faire affaire, croit-il.
«Si le client prend les devants, qu’il appelle le conseiller et communique avec lui, celui-ci peut le rappeler et le servir. Il s’agirait d’un appel non sollicité», précise Bernard Synnott.
Longs préavis de départ
Selon Bernard Synnott, de plus en plus de firmes de courtage prévoient des préavis de départ qui stipulent que le conseiller doit accorder un délai de 30, 45, et parfois même 60 jours avant de quitter sa firme.
«Autrement dit, vous devez annoncer à votre employeur que vous partez 60 jours à l’avance. En vertu du devoir de loyauté, on ne pourra pas dire aux clients qu’on quitte la firme. Pendant ce temps, celle-ci transférera les clients à un autre conseiller», illustre-t-il.
«De tels préavis permettent habituellement à l’employeur de préparer le départ d’un conseiller», dit Richard Vachon.
«La présence d’une telle clause tend à équilibrer le rapport de force entre l’employeur et le conseiller démissionnaire quant à la rétention de la clientèle. Les journées qui précèdent le départ d’un conseiller sont importantes à cet égard», souligne-t-il.
«Certaines firmes souhaitent intégrer ce préavis dans leur code d’éthique que tous les employés devront signer», constate Bernard Synnott.
En vertu de la jurisprudence, un employé doit donner un préavis raisonnable à son employeur. Dans le cas d’un conseiller en placement, il faudra ensuite déterminer s’il existe un délai raisonnable durant lequel le conseiller ne peut agir d’aucune manière.
Fidélité et loyauté
Autre pratique qui tend à se généraliser dans plusieurs grandes firmes de courtage : les primes de transfert (primes de signature) qui sont payées sur des périodes de plus en plus longues.
Il n’est pas rare qu’un contrat prévoie le versement d’une prime sous forme d’un prêt non remboursable sur une échéance de dix ans, par exemple. Il y a quelques années, les termes étaient plutôt de deux à cinq ans.
«Ces nouveaux modes de rémunération servent une fois de plus à retenir les conseillers et la clientèle auprès de la firme de courtage. C’est une pratique de plus en plus fréquente dans les domaines associés au courtage financier ou immobilier, par exemple», précise Richard Vachon.
Dans l’éventualité où un conseiller n’a aucune clause restrictive à son contrat de travail, il aura tout de même une obligation de loyauté à l’égard de son employeur (article 2088 du Code civil du Québec).
«Ce devoir de loyauté peut aller assez loin», note Richard Vachon. Si l’employeur peut démontrer que le conseiller n’a pas agi de manière loyale avant ou même après son départ, il pourrait obtenir une injonction contre lui. «Par exemple – et tout est une question de contexte -, on ne peut pas effacer d’information confidentielle, quitter la firme avec une liste de clients ou appeler ses clients avant de quitter la firme», illustre-t-il.