La Chine veut développer son économie en s’appuyant davantage sur les services que sur le secteur manufacturier, énergivore et exigeant beaucoup de capital. La stratégie de Beijing passe donc nécessairement par une libéralisation accrue des services financiers, créateurs d’emplois et de richesse.
Réformes majeures
Ce laboratoire est situé dans la Shanghaï (Pilot) Free Trade Zone, que les autorités chinoises ont inaugurée en grande pompe le 29 septembre 2013.
Cette zone de libre-échange de 28,78 kilomètres carrés (km2) est située au coeur de la métropole chinoise (cette superficie équivaut environ à deux fois celle de l’arrondissement Rosemont-La Petite-Patrie à Montréal).
Les réformes économiques expérimentées touchent plusieurs secteurs, dont le transport et la logistique.
C’est toutefois celui de la finance qui suscite le plus d’attention et d’attente à l’étranger. En effet, les réformes proposées dans le secteur financier sont ambitieuses pour une économie dirigée comme celle de la Chine.
Parmi les principales, il y a la libéralisation des taux d’intérêt qui s’appliquent, en outre, aux obligations et aux prêts accordés aux entreprises. Contrairement au reste de la Chine, les taux sont dictés dans cette zone par le jeu de l’offre et de la demande, comme dans la plupart des pays industrialisés.
Les échanges transfrontaliers de yuans sans restriction ainsi que la possibilité pour les sociétés étrangères de s’établir dans la zone sans créer une coentreprise avec une société chinoise font aussi partie des réformes importantes mises en place dans la Shanghaï (Pilot) Free Trade Zone.
Ces trois grandes réformes permettent de faire des choses qu’il est presque impossible de réaliser à l’extérieur de ce périmètre de 29 km2.
Beijing se donne trois ans pour évaluer l’impact des réformes testées dans la zone de libre-échange de Shanghaï. Si elles sont concluantes, elles pourraient être étendues à l’ensemble de la Chine. Cela représenterait une petite révolution dans la deuxième économie de la planète.
Autres petits pas
Ces réformes économiques sont dans la pure tradition de la stratégie des petits pas mise en place par le parti communiste depuis près de 40 ans.
Certains analystes les comparent d’ailleurs à celles qu’avait lancées Deng Xiaoping à la fin des années 1970, dans la ville de Shenzhen (près de Hong Kong), afin d’ouvrir la Chine communiste au capitalisme et au commerce international.
Dans la zone de libre-échange de Shanghaï, les autorités chinoises ont aussi changé la philosophie administrative de l’appareil étatique, fait remarquer Martin Cauchon, ancien ministre fédéral libéral, aujourd’hui avocat chez DS Welch Bussières et vice-président du Conseil d’affaires Canada-Chine.
«Quand une entreprise ira s’établir dans la zone, elle devra se soumettre à un processus d’enregistrement auprès de régulateurs chinois, et non pas à un processus d’autorisation du gouvernement chinois, comme c’est le cas pour les sociétés qui s’établissent ailleurs en Chine», explique-t-il.
Ce changement n’est pas banal. Dans le reste de la Chine, les entreprises et les investisseurs étrangers doivent obtenir une autorisation du gouvernement pour y faire des affaires. Ce processus d’autorisation est long et complexe, et peut parfois conduire à des interventions arbitraires de la part de l’État chinois.
Dans la zone de libre-échange de Shanghaï, les régulateurs chinois auprès desquels les sociétés étrangères devront s’enregistrer sont certes contrôlés par le gouvernement, mais ils bénéficient néanmoins d’une relative autonomie.
Bref, cette procédure d’enregistrement s’apparentera aux règles qui s’appliquent au secteur financier dans les pays industrialisés.
Intérêt chez les banques
La nouvelle zone de libre-échange suscite de l’intérêt auprès de plusieurs institutions financières étrangères.
Par exemple, le 8 mai, la banque allemande Deutsche Bank China a annoncé l’ouverture d’une filiale dans la zone, sa septième sur le territoire chinois.
Cette nouvelle filiale de la Deutsche Bank offre une panoplie de services. Elle peut notamment effectuer des transactions transfrontalières en yuans chinois – des paiements et des réceptions de paiements – pour des entreprises chinoises et étrangères.
Les réformes expérimentées à Shanghaï permettront d’accroître le commerce et les investissements transfrontaliers en Chine, en plus de libéraliser l’économie et les marchés financiers chinois. Deux facteurs très favorables aux clients de la Deutsche Bank, selon Carl Wegner, chef des transactions bancaires de l’institution financière en Chine.
«La présence de cette filiale dans la zone de libre-échange de Shanghaï nous permettra d’être encore plus près de nos clients. Nous nous attendons à ce qu’il y ait plus d’occasions d’affaires pour eux dans cette zone», écrit-il dans un courriel.
La banque britannique HSBC a aussi ouvert une filiale dans la zone, en janvier 2014. Dans l’entretien qu’il a donné à Finance et Investissement, le directeur général de HSBC en Chine, Peter Qui, explique que les réformes apporteront plus de flexibilité et d’options en matière de finance.
«Cette libéralisation accrue procure aux banques de nouvelles occasions de créer des produits financiers, d’avoir des activités de financement et d’effectuer des investissements dans des entreprises», souligne Peter Qui.
Selon lui, HSBC profitera aussi de la libéralisation des taux d’intérêt et de la possibilité de faire des échanges transfrontaliers de yuans. La nouvelle filiale de HSBC a déjà réalisé quelques mandats pour des clients.
Par exemple, l’institution a aidé l’américaine Dover (un fabricant de composants et d’équipements industriels) et la française Saint-Gobain (un manufacturier de matériaux de construction) à gérer leurs fonds de roulement en Chine.
Aucune institution financière canadienne n’est présente dans la zone de libre-échange actuellement, précise Martin Cauchon, même si plusieurs d’entre elles sont implantées ailleurs sur le territoire de la ville de Shanghaï.
C’est notamment le cas de la compagnie d’assurance Manuvie (avec sa coentreprise chinoise Manulife-Sinochem) et du Groupe financier BMO (avec sa filiale Bank of Montreal China).
BMO n’exclut pas la possibilité de s’implanter dans le périmètre. «Nous allons voir comment les gens à l’intérieur de la zone vont réagir», disait récemment Roger Heng, directeur général, Groupe international Asie, BMO Marchés des capitaux, dans un entretien à Les Affaires.
En attente
À la mi-juin, 584 entreprises étrangères – tous secteurs confondus – étaient établies dans la zone de libre-échange, selon le site officiel de la zone. Toutefois, elles sont plutôt passives pour l’instant, indique une analyse récente du cabinet d’avocats mondial Hogan Lovells.
Un paradoxe compte tenu de l’ampleur des réformes amorcées à Shanghaï.
«Beaucoup d’entreprises ont une approche de wait and see, afin de mieux comprendre la portée de la nouvelle réglementation», explique Martin Cauchon, qui a participé à des tables rondes à Shanghaï à propos de ces réformes.
Pourtant, le gouvernement chinois a déjà annoncé ses couleurs dans plusieurs dossiers, selon Hogan Lovells.
Par exemple, dans le secteur financier, la réforme permet aux entreprises et aux particuliers qui travaillent dans la zone d’ouvrir un compte de banque en yuans ou dans une devise étrangère. Et ce compte aura le même statut que les comptes de banques situées à l’extérieur de la Chine.
Ainsi, ce compte situé dans le périmètre ne sera pas soumis aux restrictions qui s’appliquent habituellement entre la Chine et les comptes situés à l’étranger.
Ailleurs en Chine, les particuliers ne peuvent transférer plus de 50 000 $ US par année à l’étranger. Au-delà de cette limite, ils doivent justifier tout transfert supplémentaire auprès des autorités chinoises.
Autre certitude, selon Hogan Lovells : les étrangers vivant dans la zone peuvent acheter des valeurs mobilières dans l’ensemble du marché chinois, par l’intermédiaire de comptes bancaires dits de libre-échange (des free trade accounts).
De plus, les étrangers établis dans la zone peuvent aussi acheter les actions de catégorie A négociées à la Bourse de Shanghaï et à la Bourse de Shenzhen, et pas seulement les titres de catégorie B. Ailleurs en Chine, les étrangers ne peuvent détenir que des titres de catégorie B, en raison des restrictions financières.
Des incertitudes persistent
Depuis l’automne 2013, le gouvernement chinois a donné beaucoup d’informations à propos des règles de fonctionnement de la zone de libre-échange de Shanghaï. Malgré tout, des incertitudes persistent, précise Martin Cauchon.
Par exemple, en théorie, les institutions financières étrangères n’ont pas l’obligation de former des coentreprises pour s’implanter dans le périmètre.
Or, en mai dernier, la société d’assurance américaine Metlife a annoncé qu’elle créerait une coentreprise avec deux sociétés chinoises, China Pacific Property Insurance et Dazhong Insurance.
«Puisque les entreprises étrangères peuvent s’implanter dans la zone sans créer une coentreprise, la stratégie de Metlife n’est pas claire», souligne Martin Cauchon.
Il est plausible que la compagnie d’assurance américaine veuille ainsi profiter du réseau de ses deux partenaires chinois, afin de percer plus facilement le marché de Shanghaï.