Il s’est immédiatement mis en tête d’appliquer cette même formule au système canadien. Il s’est donc associé à l’Université de Waterloo pour le faire et a recruté une assistante de recherche, Shantel Aris.
«Leur méthode est simple et claire, et se base sur des modèles démographiques ainsi que sur une logique actuarielle. C’est ce qui m’a attiré. Elle va au-delà de la décision politique», explique Robert L. Brown.
Il précise que la décision de Stephen Harper de hausser l’âge de la retraite à 67 ans en 2012 et celle de Justin Trudeau de le maintenir à 65 ans en 2016 n’étaient pas tirées de calculs précis, mais bien de motivations partiales.
«L’âge de 65 ans appliqué aux programmes est tout à fait arbitraire, confirme aussi Martin Dupras, planificateur financier et expert de la retraite. Je trouve très intéressant d’associer une méthode rationnelle à l’établissement de l’âge de la retraite.»
La saine gestion
L’étude mentionne la prémisse courante selon laquelle le filet de sécurité social canadien pour la vieillesse risque de s’effriter en raison de la baisse du taux de natalité, de la croissance de l’espérance de vie et du vieillissement de la population générale.
L’argument principal des auteurs n’est toutefois pas que les systèmes de pension actuels ne sont pas viables à long terme. Ils estiment plutôt que les repenser selon une logique actuarielle pourrait les rendre plus justes, efficaces et acceptables pour la population.
«[La méthode proposée] aiderait le système de sécurité social canadien à atteindre cinq objectifs : augmenter la probabilité qu’il soit durable, augmenter la crédibilité du public quant à cette durabilité, améliorer l’équité intergénérationnelle, réduire les coûts totaux du régime public et créer un incitatif pour les travailleurs à demeurer sur le marché du travail plus longtemps», indique l’étude.
Martin Dupras voit somme toute d’un bon oeil ce genre d’exercice de réflexion, lui qui, au départ, n’était pas nécessairement pour le report de l’âge d’accessibilité à la Pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV) et au Supplément de revenu garanti (SRG).
«Comme beaucoup de gens, j’étais assez critique de ce report qui créerait une forme d’iniquité. Cela dit, je suis forcé d’admettre que tous les régimes, et ce, dans le monde entier, subissent une pression de plus en plus grande, notamment avec l’espérance de vie qui augmente. En saine gestion, oui il faut se questionner. Je n’ai pas la solution, mais les régimes coûtent excessivement cher.»
Perspective internationale
Tout d’abord, il faut noter qu’il existe une tendance à réviser les systèmes publics de pension ailleurs dans le monde, particulièrement en Europe et dans les pays scandinaves, qui sont souvent adulés pour leurs programmes sociaux. En plus du Royaume-Uni, la Finlande, la Suède et la Norvège sont des pays cités dans l’étude de l’Institut C.D. Howe.
Depuis 2005, la Finlande a mis en place une réforme flexible qui permet aux gens de prendre leur retraite entre 63 et 68 ans. L’âge était auparavant fixé à 65 ans. Le pays a au même moment implanté un coefficient qui régule les dépenses du gouvernement en fonction de l’évolution de l’espérance de vie. Les travailleurs ont la possibilité d’amoindrir l’effet du coefficient en prolongeant leur carrière. En 2014, la Finlande a ensuite décidé de hausser l’âge d’admissibilité progressivement pour que l’échelle soit fixée entre 65 et 70 ans en 2025. Selon le plan, la mesure sera révisée tous les cinq ans.
En Suède, les prestations de retraite déterminées sont calculées selon le montant total des contributions au régime, et non selon le nombre d’années travaillées. Les bénéfices sont réduits si l’espérance de vie s’allonge. De plus, le paiement annuel des prestations inclut les changements à l’inflation. Le gouvernement suédois a commencé à augmenter graduellement l’âge minimum de la retraite du régime public en 2015, alors qu’il était de 61 ans, pour atteindre 63 ans en 2019. Les bénéficiaires qui sont déçus du montant calculé pour eux peuvent continuer à travailler jusqu’à ce qu’ils atteignent le pourcentage désiré.
En 2011, la Norvège a intégré un nouveau système public de pension garantie basé sur les revenus. La rente est évaluée en fonction de l’espérance de vie. L’âge d’admissibilité est fixé à 67 ans pour le public, mais une échelle plus flexible de 62 à 75 ans est établie pour les régimes professionnels.
Martin Dupras trouve pertinente cette perspective sur les régimes européens. «Souvent au Québec, nous aimons nous comparer aux pays scandinaves pour leurs avantages sociaux, etc. Si nous voulons être honnêtes intellectuellement, il faut aussi considérer l’ensemble des mesures [qu’ils implantent]», fait-il remarquer.
Le modèle suggéré pour le Canada
Pour Robert L. Brown, le modèle britannique, qui est centré sur une mesure constante, soit la proportion de la vie que les gens vont passer à la retraite, était celui qui était le plus facilement applicable au Canada. Au Royaume-Uni, cette proportion est de 33 %. Les chercheurs ont ciblé celle du Canada à 34 %.
Plus précisément, la formule mathématique complète utilisée pour déterminer l’âge d’admissibilité prend en considération trois critères : l’âge du début de la vie adulte (20 ans), l’espérance de vie et la proportion de la vie passée à la retraite.
Selon le calcul avec les données canadiennes, la première augmentation de l’âge de la retraite aurait lieu en 2025, se situerait à 66 ans et serait maintenue durant 18 ans. La hausse serait annoncée en 2018, afin que les contribuables et leurs conseillers puissent s’y préparer. La deuxième hausse à 67 ans surviendrait entre 2048 et 2050.
Effet sur les coûts
Les chercheurs ont évalué que si la hausse à 67 ans proposée par Harper avait été maintenue, le coût total du système de la PSV aurait atteint son sommet en 2030 et aurait représenté 2,8 % du PIB pour ensuite retomber à 2,4 % en 2050. La méthode appliquée par C.D. Howe générerait des coûts similaires, tandis que le statu quo à 65 ans mènerait à des coûts équivalant à 3,1 % du PIB en 2030 et 2,6 % en 2050.
Malgré tous les avantages soulevés, Robert L. Brown reconnaît que le processus actuariel qu’il a appliqué comporte un aspect régressif. «Étant donné que les personnes mieux nanties ont une meilleure espérance de vie, la méthode proposée serait plus avantageuse pour les personnes plus riches. En ce sens, nous proposons que les formules de remboursement de la PSV et du SRG soient aussi révisées, afin de ne pas pénaliser les travailleurs à faible revenu», conclut-il.
Son rapport est présentement étudié par des employés du Régime de pensions du Canda (RPC) et par d’autres spécialistes qui suivent de près la question de la retraite à Ottawa. L’étude pourrait aussi permettre, selon les chercheurs, d’éviter l’augmentation du pourcentage de cotisation au RPC.