«La preuve, c’est que la valeur de l’euro par rapport au dollar américain a été constamment supérieure à sa valeur de lancement de 1,17 $ US [en 1999], même lorsque l’épicentre de la crise mondiale était la zone euro», explique-t-il.
Jean Claude Trichet a dirigé la BCE de 2003 à 2011, et préside aujourd’hui le Group of Thirty (G30), un groupe de réflexion sur les problèmes économiques et financiers établi à Washington. Nous l’avons interviewé à l’occasion de sa participation à la Conférence de Montréal, en juin dernier.
Tests de résistance réussi
Si la monnaie européenne avait été aussi fragile que l’ont laissé entendre certains analystes à l’époque (notamment dans le réputé Financial Times de Londres), les investisseurs l’auraient souligné en vendant des euros ou en se départissant de leurs actifs libellés en euro, souligne Jean-Claude Trichet.
Autre facteur probant que l’euro est une monnaie solide qui est là pour rester : trois nouveaux pays l’ont adopté depuis la crise de la dette souveraine, soit la Slovaquie, la Lettonie et l’Estonie. Ce qui a fait passer de 15 à 18 le nombre d’États membres de la zone euro.
Selon Jean-Claude Trichet, cela démontre que l’euro a passé avec succès un test de résistance, même si l’ancien patron de la BCE demeure prudent.
«Je n’en tire aucune conclusion sur le très long terme, précise-t-il. Je dis simplement que pour une monnaie et une zone qui étaient perçues comme ultra vulnérables et promises à l’éclatement, cela est singulier.»
Intégration à poursuivre
Cela dit, Jean-Claude Trichet juge que les pays européens – y compris ceux de la zone euro – doivent poursuivre leur intégration.
Du reste, ils l’ont déjà fait au chapitre de la gouvernance économique et de la gouvernance budgétaire.
Par exemple, la Commission européenne a mis en place en 2011 la Procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques (PDM), un mécanisme de surveillance des risques pouvant influer sur la santé économique des pays de l’Union européenne.
Dans un rapport présenté plus tôt cette année à Bruxelles, la Commission mettait l’accent sur les «déficits budgétaires excessifs», notamment en France, en Espagne et au Royaume-Uni.
Bien que des mesures comme la PDM soient pertinentes, elles ne vont pas assez loin pour assurer la pérennité de l’euro, pensent certains analystes (surtout anglo-saxons). Car l’histoire montre qu’une monnaie doit être associée à un État souverain, comme la livre sterling au Royaume-Uni, le yen au Japon et le dollar canadien au Canada.
Selon ces analystes, l’euro ne pourrait pas survivre à long terme sans la création d’un véritable gouvernement européen. L’Union européenne (actuellement une confédération) se doterait alors d’un système fédéral comme aux États-Unis.
Sans équivalent historique
Pour sa part, Jean-Claude Trichet croit qu’il est impossible de mettre en place un tel système en Europe.
«Le Texas, la Californie et le Massachusetts ne sont pas l’Italie, la France et l’Allemagne. Il y a un enracinement historique dans les États membres de l’Union européenne, et particulièrement dans ceux de la zone euro, qui plonge ses racines dans 1 000 ans, 1 500 ans d’histoire, et dont il faut tenir compte.»
C’est pourquoi, dit-il, le fédéralisme n’est pas un modèle approprié pour l’Europe. Jean-Claude Trichet rappelle que la construction européenne, dont la création de l’euro, est un processus unique dans l’histoire de l’humanité.
Un processus qui a donné de formidables résultats depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, malgré les critiques à l’endroit de la construction européenne et de l’euro.
Selon l’ex-président de la BCE, il y aura toujours des observateurs – surtout dans les pays anglo-saxons – qui reprocheront aux Européens d’avoir mis en place une structure au mieux inachevée.
Cela est normal dans les circonstances, insiste l’ancien banquier. «Je crois que c’est toujours le cas lorsqu’on est en pleine construction historique. Mais regardez dans quel état nous étions, en 1950, au moment du discours fondateur de l’homme politique français Robert Schumann [qui mena à la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier]. En deux tiers de siècle, énormément de choses se sont faites. Énormément», conclut Jean-Claude Trichet.