Cette tendance est encore plus forte au Japon, car le vieillissement est un phénomène plus ancien. En effet, l’indice de natalité de la société japonaise est inférieur au seuil de renouvellement de la population (2,1 enfants par femme) depuis les années 1950. À cette époque, le Québec était en plein baby-boom.

C’est pourquoi les personnes de 65 ans et plus sont particulièrement nombreuses au Japon. Actuellement, ce groupe d’âge représente le quart des 127 millions d’habitants du pays. En 2040, il constituera plus du tiers (36 %) de la population, selon les prévisions du National Institute of Population and Social Security Research.

Ces statistiques montrent bien l’émergence de ce que les analystes appellent le «marché gris» japonais. Des citoyens qui ont un impact sur l’économie nippone.

Un moteur économique

Finie la perception selon laquelle les personnes âgées sont des épargnants frileux qui dépensent peu. C’est plutôt le contraire : elles sont en train de devenir l’un des principaux moteurs de la consommation au Japon.

En 2000, les ménages composés de personnes âgées de plus de 60 ans comptaient pour quelque 30 % des dépenses de consommation au Japon. Or, en 2011, ces ménages représentaient 40 % des dépenses de consommation, selon les données du gouvernement japonais.

Les dépenses de consommation des Japonais de 60 ans et plus s’élevaient en moyenne à 149 089 yens (ou 1 610 $CA) par mois en 2012, ce qui exclut notamment les frais de logement, selon le Bureau des statistiques du Japon.

Les entreprises ont bien remarqué l’émergence du marché gris. Flairant la bonne affaire, les grands groupes nippons ciblent directement les personnes âgées, comme le font par exemple les entreprises auprès des jeunes en Amérique du Nord.

Le géant des télécommunications mobiles NTT DoCoMO offre une gamme de téléphones cellulaires destinés exclusivement au marché des têtes grises. Les fonctions d’envoi de courriel et de prise de photographies sont plus faciles, et les boutons de commande ainsi que les icônes sont plus larges.

Quelques autres exemples : en 2011, les ventes de couches pour adultes de la japonaise Unicharm ont dépassé les ventes de couches pour bébés. Le constructeur automobile Toyota commercialise un robot capable d’aller chercher et de transporter des objets pour les personnes âgées ou handicapées.

Des secteurs prometteurs

Bien d’autres secteurs économiques sont prometteurs au Japon en raison de l’émergence du marché gris, au premier chef celui de la santé.

Puisque les Japonais vivent longtemps et en bonne santé, les soins de santé sont surtout requis en fin de vie, souligne Philip O’Neill, directeur du programme MBA Japon de l’Université McGill, à Tokyo. «De 65 ans à 80 ou 85 ans, les Japonais restent actifs, sans trop perdre leur mobilité et leurs facultés intellectuelles.»

Le secteur des équipements médicaux est aussi très dynamique ; c’est le deuxième du monde en importance après celui des États-Unis, selon la firme britannique d’analyse Espicom.

De 2013 à 2018, le marché des équipements médicaux au Japon devrait augmenter de 2,5 % en moyenne par an, pour des ventes qui passeraient de 29,8 à 33,6 G$ US.

L’immobilier est un autre secteur clé. Pourquoi ? Parce que les Japonais rebâtissent leur résidence – ils ont peu l’habitude de rénover leur maison – ou achètent des propriétés plus luxueuses.

La plupart des maisons construites dans les années 1980 et 1990 sont d’ailleurs de faible qualité, selon Philip O’Neill. «On le voit clairement à Tokyo, où les gens à la retraite ou sur le point de l’être quittent les banlieues pour de nouvelles constructions de haute qualité dans le centre-ville de Tokyo.»

Le tourisme est un autre secteur prometteur dans le pays, disent les analystes. Durant leur vie active, les Japonais prennent relativement peu de vacances. Compte tenu de leur bonne santé, ils voudront voyager davantage au Japon et à l’étranger lorsqu’ils seront à la retraite.

L’éducation est aussi un secteur à surveiller. Comme les Japonais vivent longtemps, épargnent et sont riches, on peut s’attendre à ce qu’une fois à la retraite, beaucoup d’entre eux reprennent leurs études pour poursuivre leurs rêves ou pour faire de l’éducation un passe-temps.

Enfin, la gestion de portefeuille et de patrimoine a aussi un bel avenir devant elle au Japon.

«Les Japonais sont riches, surtout les personnes âgées», fait remarquer Maurice Marchon, professeur d’économie à HEC Montréal.

Selon une étude publiée en janvier par la banque suisse UBS, les personnes de 60 ans et plus détiennent 58,2 % des actifs financiers au Japon et 71,2 % des obligations.

Certains risques

Toutefois, investir au Japon n’est pas sans risque.

En outre, le yen japonais s’est déprécié de 20 % par rapport au dollar américain depuis 18 mois. La chute de la devise nippone est avant tout le fruit de la politique de dévaluation du gouvernement et de la banque centrale, qui veulent ainsi relancer les exportations du Japon.

François Barrière, premier vice-président et trésorier de la Banque Laurentienne, souligne que les investisseurs peuvent adopter deux stratégies face à l’incertitude concernant la valeur du yen. «Il y a deux grandes écoles», précise ce spécialiste en couverture de change.

D’une part, ils peuvent couvrir leur risque, en se procurant par exemple des contrats à terme. C’est ce que fait parfois la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui prend une couverture pour ses positions d’investissement. Si elle investit 100 M$ au Japon, elle couvrira une partie de cette valeur en couverture de change.

D’autre part, les investisseurs peuvent réduire leur risque en diversifiant leurs devises dans leur portefeuille, sans recourir à des contrats à terme ou à des options. On parle alors de couverture naturelle.

L’Ontario Teachers’ Pension Plan utilise toujours cette stratégie. Par exemple, au lieu d’acheter le titre de NTT DoCoMO uniquement à la Bourse de Tokyo (en yen), il pourrait aussi se le procurer à la Bourse de Francfort (en euro) ou à la Bourse de New York (en dollar).

Faible croissance, dette élevée

Au-delà de l’émergence du marché gris, l’économie japonaise affiche de faibles taux de croissance économique par rapport aux États-Unis.

Le Fonds monétaire international prévoit que le PIB nippon progressera de 1,4 % cette année, par rapport à 2,8 % pour le PIB américain. En 2015, la croissance de l’économie japonaise devrait toutefois ralentir à 1 %.

Malgré tout, le pays semble pour l’instant sorti de la spirale déflationniste qui a miné son économie pendant des années, souligne François Barrière.

En février, l’inflation s’établissait à 1,5 % au Japon, selon le ministère japonais des Affaires intérieures et des Communications. Statistique Canada a observé ici le même rythme de croissance en mars.

Par ailleurs, l’endettement demeure problématique au Japon. Depuis l’éclatement de la bulle immobilière au début des années 1990, la combinaison de la faible croissance économique et du vieillissement rapide de la population a fait exploser la dette publique (elle dépasse aujourd’hui 220 % du PIB), selon une analyse de la Financière Banque Nationale.

Une situation que les dirigeants politiques du pays auront de la difficulté à corriger en s’attaquant aux services sociaux, par exemple.

En effet, les personnes âgées représentent un pourcentage de plus en plus important de l’électorat. En 2010, les Japonais de plus de 65 ans constituaient 28 % de l’électorat. Ils en représenteront 38,8 % en 2035 et 45,8 % en 2060, selon les projections des agences de statistiques japonaises.

Le vieillissement de la population pourrait aussi inciter certaines entreprises japonaises à délocaliser leur production à l’étranger, selon Maurice Marchon. En effet, le secteur des services destinés aux personnes âgées, en forte croissance, nécessite habituellement beaucoup de main-d’oeuvre.

Répondre aux besoins des personnes âgées aura donc un effet sur les autres secteurs de l’économie japonaise qui souffrent déjà d’une pénurie de main-d’oeuvre. «La rareté de la main-d’oeuvre devrait inciter les entreprises manufacturières qui ne peuvent pas robotiser leur production à faire la fabrication dans des filiales étrangères», dit-il.

Le déficit de la balance commerciale du Japon semble confirmer cette tendance, souligne l’économiste de HEC Montréal. En outre, le pays importe davantage de produits manufacturés par les filiales étrangères de multinationales japonaises.