L’article 67 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité spécifie que les biens détenus dans un régime enregistré d’épargne-retraite (REER) ne font pas partie du patrimoine saisissable du failli, à l’exception des sommes investies lors des 12 mois précédant la faillite.
Ce n’est pas tout, prévient Jean Girard, avocat, fiscaliste et planificateur financier chez DS Welch Bussières.
En effet, dans un cas autre qu’une faillite, comme lors d’un jugement de saisie à l’encontre d’une personne solvable, deux conditions peu connues doivent aussi être remplies pour qu’un REER soit insaisissable, selon lui :
Qu’il y ait un bénéficiaire désigné – conjoint légal ou enfant(s). Si le conjoint de fait est désigné, la désignation est irrévocable.
Qu’il y ait un contrat de rente spécifiant le mode de calcul utilisé pour déterminer la rente à la retraite.
Ainsi, le REER devient saisissable lorsque le client n’a pas désigné de bénéficiaire.
«Si le conjoint de fait est désigné, une séparation pourra requérir une renonciation, ce qui pourrait entraîner le versement d’une compensation monétaire [au conjoint]», ajoute Jean Girard.
La deuxième condition implique que le produit financier du REER doit être une rente, au sens que lui donne le Code civil du Québec.
Cela signifie qu’un REER composé de fonds communs de placement (FCP), qu’ils soient d’actions ou de revenu fixe, ou de certificats de placement garantis (CPG) achetés d’une institution qui ne peut émettre de rentes devient saisissable… puisque ce REER n’est pas un contrat de rente.
«En phase d’accumulation, les gens achètent des CPG ou des FCP afin d’étoffer leur REER. Mais s’ils veulent que celui-ci soit insaisissable, ils devront ensuite se rendre dans une société de fiducie ou d’assurance afin que cet investissement soit transformé en contrat de rente», remarque Jean Girard.
Or, qui pensera à une telle éventualité, dans la mesure où la publicité de certains fournisseurs de produits financiers met l’accent sur la soi-disant insaisissabilité des investissements REER ? «Fausse quiétude !» répond Jean Girard.
C’est également l’opinion de Robert Laniel, notaire-fiscaliste d’expérience, qui compte 15 ans à l’emploi de Manuvie, notamment à titre de vice-président adjoint de l’équipe de planification fiscale et successorale.
«Plusieurs conseillers ne maîtrisent pas cette notion de planification», dit-il.
Robert Laniel suggère aux conseillers de prendre garde aux deux éléments suivants : «Dans l’état des lois actuelles, si un client peut faire face à d’éventuels créanciers en raison d’une situation financière incertaine, il faudrait alors que ses REER fassent partie d’un contrat de rente géré par une compagnie d’assurance ou une fiducie. Le conseiller doit également veiller à une bonne désignation de bénéficiaire. Le client qui a un conjoint de fait devra se demander qui lui fait le plus peur : le créancier ou le conjoint ?» dit Robert Laniel.
REER collectifs : moins attrayants
Cette vulnérabilité face à l’insaisissabilité ne touche pas que les REER individuels ; les REER collectifs sont dans le même cas.
En revanche, les régimes volontaires d’épargne retraite (RVER) et les régimes de pension agréés sont blindés face aux possibilités de saisies de créanciers. Il en va de même des comptes de retraite immobilisés (CRI).
L’avocat Jean Girard déplore cette différence de traitement. Selon lui, cette «iniquité» pourrait favoriser la transformation de REER collectifs en RVER.
De plus, les adhérents de régimes de pension agréés peuvent plus facilement recourir à la faillite, étant donné qu’ils sont protégés de ses effets négatifs sur leur bas de laine.
«J’ai vu des employés de grandes organisations faire faillite à cause de dettes à la consommation. C’est une autre iniquité par rapport aux travailleurs autonomes, qui ne peuvent compter que sur leurs REER», dit-il.
La solution ? «Ajouter un article au Code de procédure civile afin de rendre les REER insaisissables», affirme Jean Girard.
«Ce ne sera jamais un cheval de bataille pour les partis politiques. Cependant, il suffit parfois de l’opinion d’une personnalité politique, d’un ministre par exemple, pour faire bouger les choses. Dans ce cas-ci, les travailleurs autonomes y gagneraient beaucoup», dit-il.
Autre conséquence
Fellow administrateur agréé et planificateur financier, Gaétan Veillette mentionne une conséquence négative supplémentaire à cet état de choses.
Afin de sauvegarder leur REER, dit-il, plusieurs personnes se laissent tenter «par la réorganisation financière visant à se qualifier au statut de failli».
«S’il n’a pas déclaré faillite, l’individu qui des retards de paiement de dettes pourrait voir ses REER être saisis par ses créanciers. Conséquemment, plusieurs particuliers solvables qui ont des dettes élevées ou des risques élevés de recours contre eux sont tentés de réaménager leur bilan afin de devenir insolvables et d’obtenir le statut de failli», dit le conseiller.
Afin d’éviter cette situation, il se demande pourquoi le législateur québécois n’accorderait pas aux REER le privilège d’insaisissabilité dont bénéficie déjà le RVER.
«Faudra-t-il relancer une croisade sur l’insaisissabilité des REER, comme l’ont fait la Chambre des notaires du Québec et l’Ordre des administrateurs agréés du Québec depuis la fin des années 1990 ?» lance Gaétan Veillette.