La première cause, dont le jugement a été rendu en 2010, illustre l’importance de choisir le moment de désignation de bénéficiaire d’un client divorcé.
Cette cause oppose Ginette Couture, conjointe de fait du défunt Jacques Chayer, et Desjardins sécurité financière (DSF).
Dans cette affaire, Jacques Chayer désigne son épouse, Johanne Bazinet, comme bénéficiaire de son assurance collective en 1980.
Puis en juin 1995, alors qu’il est séparé de Johanne Bazinet, il remplit une seconde désignation de bénéficiaire au profit de sa nouvelle conjointe, Ginette Couture.
En décembre 1996, le divorce de Jacques Chayer et de Johanne Bazinet est prononcé.
Désignation invalidée
Pour déterminer si la désignation de bénéficiaire de juillet 1995 était valide, le tribunal a examiné le formulaire de désignation du bénéficiaire signé en 1980, qui avantageait Johanne Bazinet.
Ce formulaire contenait la mention suivante : «Le bénéficiaire précité est révocable sauf si le mot « irrévocable » est mentionné à la suite de son nom». Or, le formulaire ne précisait pas si la désignation était irrévocable.
Cette mention a été analysée en regard de l’article 2449 du Code civil du Québec, qui prévoit que la désignation du conjoint légal à titre de bénéficiaire est irrévocable à moins de stipulation contraire.
Le tribunal a statué qu’en dépit de la présence de la clause ci-dessus dans le contrat d’assurance, l’article 2449 est une prérogative. Ainsi, la désignation de Johanne Bazinet en 1980 était irrévocable, ce qui invalide la désignation en faveur de Ginette Couture en 1995.
Comme la désignation au profit de Johanne Bazinet est devenue caduque à la suite du divorce, l’assureur a versé le capital de l’assurance aux héritiers de la succession de l’assuré.
«Dans cette cause, note Caroline Légaré, avocate chez Norton Rose Fulbright, l’assuré avait besoin du consentement de son ex-épouse pour annuler sa désignation à titre de bénéficiaire.»
«Le divorce annule lui aussi la désignation au profit de l’épouse, mais il a été officialisé trop tard», continue-t-elle.
«Une autre solution aurait été de rendre son épouse révocable en écrivant, lorsqu’il l’a désignée, « RÉVOCABLE » à côté de son nom ou en cochant la case révocable que la plupart des assureurs mettent sur le formulaire», dit Élyse Lemay, vice-présidente et vice-directrice juridique à la Financière Sun Life.
Autre zone grise
Le second litige, dont le jugement a été rendu en 2013, illustre à quel point une désignation de bénéficiaire dans un testament doit être claire.
Dans cette affaire, Nicola Di Ielsi a désigné son frère, Roberto, à titre de bénéficiaire de son assurance collective en 2007.
La même année, il emménage avec Laura Blasi, qu’il fréquente depuis 2005. En 2009, Laura donne naissance à leur fils, Luca.
À la suite de cette naissance, Nicola Di Ielsi décide de se marier. Quelques mois avant le mariage, il rédige un testament en faveur de Laura et la désigne bénéficiaire de toutes ses polices d’assurance.
Une semaine plus tard, il désigne son fils comme personne à charge sur son assurance collective pour que celui-ci puisse bénéficier de la protection santé et dentaire. Cependant, la section du formulaire qui propose de modifier le bénéficiaire n’est pas remplie.
En 2011, Nicola meurt à la suite d’un accident de travail. Qui sera le bénéficiaire de l’assurance collective ?
La réponse découle de deux articles du Code civil du Québec. L’article 2446 précise que la désignation de bénéficiaire peut se faire dans la police ou dans un autre écrit, notamment un testament.
L’article 2450 édicte toutefois que la révocation contenue dans un testament ne peut aller à l’encontre d’une désignation antérieure à la signature du testament, à moins que le testament ne mentionne la police d’assurance en cause ou que l’intention du testateur à cet égard ne soit évidente.
Puisque Nicola Di Ielsi n’a pas mentionné précisément son assurance collective dans son testament, il incombait à Laura Blasi de prouver que l’intention de son mari de la désigner comme bénéficiaire était évidente. Mais ses efforts ont été vains.
«Le juge s’est penché sur l’intention des parties en examinant les faits. Il a conclu qu’il n’y a pas assez d’éléments pour penser que Nicola voulait enlever le bénéfice à son frère», explique Caroline Légaré.
Doute raisonnable
Certains éléments laissaient en effet planer un doute, notamment le fait que le testament désignait Roberto comme tuteur de Luca advenant la disparition des deux parents, et le fait que Nicola n’ait pas jugé bon de modifier le bénéficiaire de son assurance collective lorsqu’il y a apporté des changements, peu de temps après son mariage.
«Éclaircir la zone grise en décrivant notamment la police en cause, ici, incombe au notaire ou à l’avocat qui rédige le testament», dit Éric La Charité, directeur des techniques avancées de planification financière à la Financière Sun Life.
«Il reste que quand il apprend que son client fait son testament, un conseiller en sécurité financière devrait lui poser des questions sur les bénéficiaires des assurances et lui dire de consigner le plus de détails possible dans le testament», ajoute-t-il.
Par exemple, le testament du client devrait contenir le numéro du contrat d’assurance ainsi qu’une éventuelle mention explicite de révocation de bénéficiaire.
De plus, même si les deux affaires portaient sur des polices d’assurance collective, qui sont souscrites sans l’intervention d’un conseiller, les représentants et les assureurs devraient donner certaines notions de base à leurs clients en matière de désignation de bénéficiaire.
«Il faut mentionner aux clients les avantages et les inconvénients, les faire réfléchir sur leur choix, et expliquer les règles générales applicables. La consultation d’un conseiller juridique serait également souhaitable pour s’assurer que la désignation rencontrera le but spécifiquement recherché par le client», dit Éric La Charité.