Le nombre de ces départs, qui résultaient soit de faillites, de fusions ou d’acquisitions, est quatre fois plus élevé que la normale, soutient l’ACCVM sans plus de précisions.
Dans une lettre envoyée aux membres au début de 2014, le président et chef de la direction de l’ACCVM, Ian Russell, souligne que les bénéfices d’exploitation ont augmenté dans l’industrie en 2013.
Toutefois, «presque tous les gains ont été engrangés par les huit sociétés intégrées», qui sont des filiales de banques et de caisses.
Résultat : les 180 firmes de taille modeste se partagent des miettes, ce que Ian Russell qualifie de «lutte existentielle».
L’année dernière, les bénéfices d’exploitation de l’industrie ont augmenté de 27 % et ont atteint 4,8 G$, selon l’ACCVM. Ce chiffre cache cependant une dure réalité.
Au cours des cinq dernières années, chez les huit sociétés intégrées, les bénéfices d’exploitation ont augmenté en moyenne de 43 %. Chez les «boutiquiers» spécialisés dans le marché de détail, ils ont baissé de 39 %.
Chez les petits acteurs du secteur institutionnel, la chute est encore plus brutale, soit une diminution de 67 % pendant cette période.
Tempête parfaite
Les investissements reflètent une même situation.
Selon l’ACCVM, au cours des cinq dernières années, les fonds propres du secteur des valeurs mobilières ont augmenté de 5 G$. Or, de cette somme, les firmes intégrées ont amassé 4,9 G$…
«Depuis deux ans, presque 100 firmes perdent de l’argent. C’est dire qu’environ la moitié des acteurs ont perdu de l’argent au cours des deux dernières années», affirme Richard Morin, directeur, région du Québec et relations gouvernementales, de l’ACCVM.
Les petits acteurs sont plongés dans ce qu’on pourrait qualifier de «tempête parfaite».
En premier lieu, Richard Morin note un alourdissement de la réglementation depuis quelques années. Cela fait ressortir la nécessité de mettre à niveau les systèmes informatiques, une situation aggravée par les frais croissants d’exécution des transactions.
À cela s’ajoutent les conditions de marché difficiles des dernières années, dont l’effondrement des prix des matières premières, qui décourage les émissions publiques.
«De nombreuses entreprises tiraient une partie substantielle de leurs revenus d’émission de titres de sociétés du secteur des ressources», précise Richard Morin.
C’est sans compter la baisse généralisée des volumes de transactions en Bourse et dans le marché obligataire.
Bref, «c’est la famine en ce moment», laisse tomber Richard Morin.
Faille structurelle
Et rien n’indique que la disette disparaîtra de sitôt. Selon l’ACCVM, la situation actuelle n’est pas simplement circonstancielle, elle est structurelle.
La charge récurrente des coûts liés au respect des nouvelles règles de conformité est l’élément qui pèse le plus lourd.
À la suite des exigences de l’accord de Bâle III, on note un déplacement de toute l’industrie, surtout de la part des banques, vers des secteurs moins gourmands en capital.
Par exemple, «les firmes ont nettement abaissé leurs inventaires d’obligations», souligne Richard Morin.
De plus, les banques misent davantage sur la gestion de fortune privée, un secteur nettement moins exigeant en capital.
«Les 10 grands courtiers canadiens contrôlent 88 % des capitaux dans ce secteur. Ce sont des actifs que les banques vont chercher au détriment des petites firmes», dit le directeur québécois de l’ACCVM.
La réduction des financements, tout particulièrement les premiers appels publics à l’épargne (PAPE), nuit aussi beaucoup à l’industrie du courtage. La situation est particulièrement alarmante au Québec, où l’on peut compter les inscriptions en Bourse sur les doigts d’une main.
Le rapport Pour une démocratisation du financement de nos entreprises, publié en mars 2011 par PricewaterhouseCoopers et FMC (maintenant Dentons Canada), dressait un constat navrant.
Bien que le Québec compte pour 21 % de l’économie canadienne, les entreprises québécoises ne comptent que pour 10 % des inscriptions en Bourse au Canada, et que pour 11 % de la capitalisation totale des sociétés canadiennes inscrites.
De 1993 à 2004, les entreprises québécoises ont effectué seulement 8 % des appels publics à l’épargne. En 2010, sur 74 nouvelles sociétés inscrites au TSX, seulement trois étaient québécoises.
Pas d’amélioration
La situation reste inquiétante.
«Il est clair que les choses ne se sont pas beaucoup améliorées depuis», affirme Pierre Lortie, conseiller principal, affaires, au cabinet d’avocats Dentons Canada, à Montréal, et coauteur du rapport.
Cette situation serait due, entre autres, à l’absence de petits courtiers susceptibles d’aider les petites entreprises à se financer par des PAPE, un secteur délaissé par les grands courtiers intégrés.
«Quand on est une entreprise d’une capitalisation de 50 M$ et qu’on veut faire une émission de 5 M$, les filiales de courtage des grandes banques ne s’intéressent pas à nous», dit Richard Morin.
Il n’en a pas toujours été ainsi, rappelle ce vétéran des circuits financiers. Il souligne qu’à l’époque du régime d’épargne-actions (RÉA), les entreprises québécoises pouvaient compter sur une demi-douzaine de petites et moyennes firmes pour les amener en Bourse, des noms comme McNeil Mantha, Geoffrion Leclerc et Tassé.
Aujourd’hui, Richard Morin ne repère aucune firme de ce type au Québec.
«Nous avons un sérieux problème d’accès au marché, dit Pierre Lortie. Et comme il y a peu d’entreprises qui entrent en Bourse, moins de gens en ont l’expérience et on en parle moins ; et moins on en parle, moins on le fait.»
C’est tout un écosystème qui est en train de s’affaiblir. «Dans la langue inuite, il n’y a pas de mot pour palmier», lance, de façon ironique, Pierre Lortie.