Néanmoins, l’organisation internationale note certaines lacunes. Celle qui a trait à la réglementation des valeurs mobilières a suscité le plus de réactions à Ottawa et au Québec.

«Il est surprenant que le FMI se préoccupe encore du débat constitutionnel canadien alors que ce sujet dépasse son mandat d’analyse. Le FMI devrait se limiter à prendre acte que la structure actuellement en place permet au Canada de respecter les plus hauts standards internationaux en ce qui concerne la réglementation des valeurs mobilières», a affirmé Louis Morisset, président-directeur général de l’AMF, dans un communiqué.

D’un autre côté, les recommandations du FMI sont accueillies avec enthousiasme par le ministère des Finances du Canada.

«Outre ce rapport, le FMI dresse un portrait favorable de la situation et du cadre stratégique économiques du Canada dans le rapport sur les consultations de 2013. Les deux rapports vantent de plus les mérites d’un régime coopératif de réglementation des marchés des capitaux, lequel est présenté comme une façon pratique de générer des gains d’efficience et de gérer les risques systémiques relatifs à ces marchés», lit-on dans le communiqué du gouvernement fédéral.

Le poids du FMI

«Il n’y a rien de surprenant dans ces recommandations, notamment dans l’allusion à une décision de la Cour Suprême du Canada quant à la réglementation des valeurs mobilières et au risque systémique, c’est-à-dire que le haut tribunal considère sa gestion comme étant de compétence fédérale», indique Jean Martel, ancien président de la Commission des valeurs mobilières du Québec (CVMQ), avocat associé chez Lavery et spécialiste du droit financier.

«Depuis 1996, une législation existe sur les systèmes de compensations et de paiements qui vise à donner des moyens d’assurer une meilleure stabilité du système financier canadien, et l’application de cette loi est confiée à l’administration de la Banque du Canada. Alors, il y a un régulateur du risque systémique au Canada, même s’il n’est pas exclusif», poursuit-il.

En effet, la Cour Suprême du Canada a jugé inconstitutionnelle la «commission nationale des valeurs mobilières» que voulait implanter le gouvernement fédéral.

Selon son jugement, le projet du ministère des Finances représentait «une intrusion massive du Parlement dans le domaine de la réglementation des valeurs mobilières», de compétence provinciale.

Par contre, la Cour Suprême a reconnu du même souffle que le fédéral avait un rôle à jouer pour contrer les risques systémiques, qu’elle décrit comme une situation «où le risque de défaillance d’un participant du marché nuit à la faculté des autres de s’acquitter de leurs obligations juridiques et provoque une série de chocs économiques néfastes qui se répercutent dans l’ensemble d’un système financier».

Jean Martel reconnaît au FMI une influence morale, cependant, il ne croit pas que son rapport deviendra un moteur de changement considérable.

«C’est un débat un peu ésotérique… En réaction à la crise financière de 2008, des efforts internationaux importants ont été déployés par les pays du G20. Les gens veulent absolument gérer les risques de contagion liés au fait qu’un système financier peut être déstabilisé et en déstabiliser d’autres. Toutefois, le Canada a déjà fait de nombreux efforts pour se conformer aux exigences internationales et pour améliorer l’harmonisation de la réglementation dans les différentes provinces», souligne-t-il.

Jean Martel est d’avis qu’au lieu de s’attarder à des questions de structure, le gouvernement devrait tenter de renforcer la collaboration interprovinciale.

À prendre à la légère

Alain Paquet, économiste, ancien ministre délégué aux Finances du gouvernement libéral à Québec et maintenant professeur au Département des sciences économiques de l’UQAM abonde dans ce sens.

«L’OCDE, la Banque mondiale et la Cour Suprême reconnaissent toutes la pertinence du système de réglementation des valeurs mobilières canadien. Seul le FMI soulève le sujet d’un régulateur unique», fait-il valoir.

«Bien sûr, il y a toujours quelque chose qu’on peut améliorer, par exemple le taux d’endettement personnel qui est élevé, etc. L’évolution de la réglementation du secteur financier est un processus continu. On ne peut jamais dire qu’il est terminé. Il ne faut toutefois pas jeter le bébé avec l’eau du bain. L’implantation du système de passeport au Canada s’est d’ailleurs avérée efficace. C’est seulement dommage que l’Ontario ait décidé de travailler de son côté», exprime-t-il.

Alain Paquet a lui-même défendu la compétence de Québec en matière de réglementation des valeurs mobilières lorsqu’il siégeait à l’Assemblée nationale. Il souligne d’autres améliorations auxquelles Ottawa devrait plutôt se consacrer.

«Le gouvernement pourrait entre autres rendre plus formel le travail du Head of Agencies, qui contribue déjà à une bonne harmonisation du secteur des valeurs mobilières», dit-il.

Jean Martel évalue lui aussi positivement le travail de ce groupe informel, formé du gouverneur de la Banque du Canada, du ministère fédéral des Finances, des régulateurs de la Colombie-Britannique, de l’Alberta, de l’Ontario et du Québec. Le comité se rencontre quatre fois par an pour discuter de préoccupations communes.

L’avocat trouve tout de même intéressante la recommandation du FMI d’assurer une meilleure coordination du fédéral et du provincial en ce qui concerne l’application du droit criminel pour laquelle il plaide depuis quelque temps.

«Toutefois, la plupart des choses demandées dans ce rapport sont selon moi parfaitement réalisables dans l’environnement actuel. Nous n’avons pas besoin d’un régulateur unique. Il faut simplement avoir des acteurs qui veulent coopérer», illustre-t-il.

Le jeu du téléphone

Jean Martel mentionne les liens qui existent entre le FMI et le gouvernement. «Parmi les organes décisionnels du FMI, vous avez des représentants du fédéral, ce n’est donc pas étonnant finalement que l’organisation internationale se prononce en faveur d’un système fédéral, puisqu’elle est plus au fait du volet fédéral que du volet provincial».

Pour sa part, Alain Paquet ne croit pas que l’influence d’Ottawa ait joué dans ces recommandations. Il note que les employés du FMI prennent la peine de souligner au début du rapport que leurs conclusions leur sont propres, et qu’elles «ne reflètent pas nécessairement l’opinion du gouvernement du Canada ou du conseil exécutif du FMI».

Alain Paquette affirme tout de même que le FMI semble «répéter ce que le fédéral veut entendre».

Rappelons d’ailleurs que le gouvernement conservateur a toujours l’intention d’aller de l’avant avec un organisme unique, qu’il appelle dorénavant «régime coopératif de réglementation des marchés des capitaux». Le ministère fédéral des Finances a annoncé que l’entité devrait être opérationnelle d’ici le 1er juillet 2015.