Les défis du divorce gris

« Ils ont dû partager tous leurs actifs. C’était une situation émotionnellement et financièrement dévastatrice », dit Jonathan Rivard, conseiller financier auprès d’Edward Jones à Richmond Hill, en Ontario. Par conséquent, les actifs nets de son client ont été réduits de moitié, à 1 M$. « Certains diront que ce n’est pas si mal, qu’il lui reste quand même un million de dollars. Mais lorsqu’on est habitué à un certain train de vie et que son revenu baisse de manière conséquente, cela cause tout un choc. »

Pour compliquer encore plus les choses, la femme de l’entrepreneur avait accumulé d’énormes dettes sur une ligne de crédit personnelle, dont il était aussi partiellement responsable.

« Le fait qu’une entreprise familiale soit impliquée a rendu la situation difficile sur le plan émotif, dit M. Rivard. Il y était très attaché depuis son enfance. Imaginez la déception de ses parents, sachant que l’entreprise qu’ils avaient léguée à leur fils devait être vendue pour payer une ex-épouse. »

C’est un phénomène social appelé « divorce gris », qui a récemment fait l’objet d’un sondage mené par le Groupe Investors de Winnipeg. Les ramifications peuvent en être importantes, selon un sondage mené auprès de 1 000 personnes de 50 ans minimum, divorcées ou séparées. Quatre-vingt pour cent des personnes interrogées ont déclaré avoir dû repousser leur retraite et travailler plus longtemps que prévu. De plus, 62 % des personnes ont déclaré que les économies qu’il leur restait après leur divorce ne suffiraient pas à financer leur retraite.

Les conséquences du « divorce gris » peuvent être bien plus éprouvantes et complexes sur le plan financier que celles d’un divorce survenant plus tôt dans la vie. « On a désormais moins de temps pour combler le fossé éventuel entre ses économies et le financement de sa retraite comme prévu, par rapport à ce qui se passe quand on divorce à 30 ans », dit Christine Van Cauwenberghe, vice-présidente adjointe de la planification fiscale et successorale au Groupe Investors. « Il pourrait ne vous rester que cinq ou dix ans à travailler. Ou alors, vous pourriez déjà être à la retraite sans disposer des années de revenu nécessaires pour combler le fossé. Il se peut aussi que vous deviez dépenser moins d’argent de vos fonds de retraite. »

Le deuxième problème est que votre tolérance du risque à la cinquantaine est susceptible d’être moins élevée qu’à la trentaine, et que vos revenus de placement seront vraisemblablement plus faibles eux aussi. « Vous aurez moins de temps et vous investirez dans un portefeuille légèrement plus prudent », dit Mme Van Cauwenberghe. « Prendre plus de risque pour combler le fossé n’est pas la meilleure solution. »

Le troisième problème est qu’il est bien plus difficile de suivre une nouvelle formation ou de trouver un emploi mieux rémunéré. « Lorsqu’on a la vingtaine ou la trentaine et que l’on ne gagne pas beaucoup d’argent, on pourrait penser que cela vaut le coup de retourner aux études et d’envisager une nouvelle carrière, ou de faire des heures supplémentaires », dit Mme Van Cauwenberghe. « Mais quand on est plus âgé, il est d’autant plus difficile d’envisager un grand changement de carrière. Va-t-on vraiment retourner aux études pendant deux ans pour gagner plus d’argent pendant cinq ans? Le bénéfice n’est pas le même que lorsque l’on est plus jeune. »

Enfin, Mme Van Cauwenberghe fait remarquer que les habitudes de vie d’une personne dans la cinquantaine ont tendance à être un peu figées et que bon nombre de personnes rencontrent des difficultés financières en tentant de s’adapter à leur nouvelle vie après l’échec d’un mariage. « Si ça fait 20 ou 30 ans que l’on est membre d’un club de loisirs, on n’y renoncera pas sans mal. »

Le sondage a révélé entre autres que 54 % des personnes interrogées trouvaient difficile de prendre des décisions financières dans le cadre d’un divorce, et qu’en ce qui concerne la réorganisation de leurs finances, 31 % d’entre elles avaient déclaré que c’était une tâche insurmontable. Un peu plus de la moitié d’entre elles, soit 53 %, ont déclaré avoir eu à modifier leur plan financier, et 55 % des personnes de ce groupe ont déclaré que leur plan financier avait complètement changé.

Les émotions empêchent souvent de résoudre la situation rapidement et de manière ordonnée. « Environ un tiers des personnes interrogées ont qualifié leur divorce d’acrimonieux, et 80 % des personnes de ce groupe ont déclaré qu’il leur était difficile de prendre des décisions financières », dit Mme Van Cauwenberghe, ajoutant que les négociations entourant un divorce pouvaient être accompagnées de récriminations et d’âpres accusations. Plus le divorce était acrimonieux, plus il était difficile de prendre des décisions. »

Les conseils objectifs peuvent parfois atténuer les émotions associées à un divorce. « Impliquer une tierce personne peut permettre de remédier à la situation. Certaines personnes qui traversent un divorce pensent qu’elles sont coincées et pataugent parce qu’elles ne voient pas d’issue ni de solution, dit Mme Van Cauwenberghe, qui fait remarquer que 75 % des personnes interrogées ont sollicité des conseils et que 82 % d’entre elles ont dit que cela s’était avéré utile. « Les gens ont besoin de discuter avec quelqu’un pour passer en revue les problèmes et trouver des solutions. Peut-être qu’ils sont plus proches de leur objectif financier qu’ils ne le pensent. Mais tant qu’ils n’en ont pas la preuve, ils ont tendance à envisager le pire. »

Mme Van Cauwenberghe recommande aux personnes en instance de divorce de consulter un avocat, un comptable ou un planificateur financier. « Il faut parler à un expert en matière de divorce, car les règles fiscales et juridiques sont très spécifiques à chaque juridiction », dit Mme Van Cauwenberghe, indiquant que l’on peut trouver un conseiller par une recommandation faite par un comptable ou un avocat, ou en communiquant avec le Barreau de sa province. De plus, elle signale qu’il vaut la peine de comparer les prix, de vérifier les références d’un conseiller et même de demander des recommandations.

« En fin de compte, dit M. Rivard, on se trouve en situation difficile. On passe de deux sources de revenu ou de deux revenus de retraite à un seul. Les gens qui se retrouvent bredouille se demandent : « qu’est-ce que je fais maintenant? » »

Tout comme Mme Van Cauwenberghe, M. Rivard recommande de solliciter des conseils professionnels. Mais puisque la vie est imprévisible, M. Rivard va même jusqu’à recommander d’être bien éduqué sur le plan financier et de prendre les devants — bien avant que les problèmes de couple n’apparaissent.

« Il faut prévoir l’imprévu, et cela suppose d’avoir des connaissances en matière de placement », dit M. Rivard, s’adressant à la fois à un public de personnes d’âge mûr et à un public plus jeune qui n’a pas encore traversé de crise familiale.

« Il faut envisager le pire. Personne ne veut penser à un divorce, dit M. Rivard, mais on peut prendre ses précautions pour être plus stable financièrement, comme économiser de l’argent dans un REER et ne pas compter sur le régime de retraite de son conjoint. »