Selon Carlos Leitão, il n’est donc pas approprié de faire cotiser davantage ceux-ci. Tous reconnaissent que l’intention du ministre est louable.
Cependant, si le Québec mène sa bonification moins ambitieuse que la bonification fédérale, afin d’éviter ce dommage collatéral de la réforme fédérale, tous les travailleurs québécois toucheront une rente de retraite inférieure à celle de leurs homologues du reste du Canada.
Lors des consultations menées par Retraite Québec, en janvier, sur le projet de réforme du RRQ, de nombreux intervenants ont exprimé leurs inquiétudes en ce sens. Alors que certains déplorent les prestations moins généreuses, d’autres soutiennent qu’un manque de coordination entre les deux régimes pourrait poser problème. Voici des impacts potentiels pour les représentants qui découlent d’un écart éventuel entre les régimes proposés.
Davantage de revenus admissibles
En général, on se réjouit dans l’industrie que le maximum des gains admissibles (MGA) soit haussé, passant de 54 900 $ à 62 600 $ (une hausse de 14 %). « Auparavant, cette tranche de revenu de travail n’était pas couverte par les régimes publics », précise Gaétan Veillette, fellow administrateur agréé. Le planificateur financier rappelle que ces seuils seront indexés au même rythme que le salaire industriel moyen. Les représentants devront donc tenir compte dans le futur que cette tranche de revenus des travailleurs serait remplacée à hauteur de 33 % par le RPC ou le RRQ. Les prestations des salariés et des travailleurs autonomes gagnant plus que le MGA actuel seraient donc majorées. La pleine majoration serait toutefois perceptible uniquement pour les travailleurs qui ont cotisé pendant 40 ans, soit les adolescents d’aujourd’hui. Les autres en profiteraient partiellement.
Cette hausse sera financée par une cotisation de 8,1 % sur cette tranche de revenu. Ce taux qui peut paraître surprenant, car il est inférieur à celui qui s’appliquera sur les tranches inférieures (11,9 % sur les revenus entre 3 500 $ et 54 900 $, selon la proposition fédérale de bonification, ou 10,8 % sur les revenus entre 3 500 $ et 27 450 $, puis 12,8 % pour la tranche entre 27 450 $ et 54 900 $, selon la proposition québécoise de bonification).
Daniel Laverdière, directeur principal planification financière et services-conseils à Banque Nationale Gestion privée 1859, explique : « Le taux est supérieur sur les tranches du milieu, car il tient compte du déficit actuariel qui s’est accumulé au début du régime à la fin des années 1960 et au début des années 1970 ». Le RRQ et le RPC versaient alors une rente élevée aux retraités, et ce, même si ces derniers n’avaient cotisé que quelques années, d’où le déficit accumulé.
Frédéric Lizotte, porte-parole de Retraite Québec, confirme : « La capitalisation partielle a fait en sorte que le taux de cotisation est passé de 3,6 % à 10,8 % de 1966 à aujourd’hui. Alors que le mode de financement des nouvelles bonifications du RPC et du RRQ est pleinement capitalisé dès le départ. Ce qui fait en sorte que le taux est censé demeurer stable dans le temps à 8,1 %. »
Taux de remplacement supérieur
Un autre impact de la réforme réside dans l’augmentation du taux de remplacement, celui-ci variant de 25 à 33 % du salaire admissible. Et c’est là que l’on retrouve l’essentiel des divergences entre la proposition fédérale et celle du Québec. Selon le plan fédéral, cette bonification s’appliquerait à tous les revenus entre 3 500 $ et le maximum des gains admissibles (le MGA qui est actuellement de 54 900 $). Le taux de remplacement du revenu serait de 33 % pour ceux qui ont droit à la pleine majoration de leur rente.
La réforme québécoise ne prévoit une hausse à ce taux de remplacement à 33 % que pour la tranche de revenu qui se situe entre 27 450 $ (la moitié du MGA) et le MGA de 54 900 $.
Ainsi, pour ceux qui profiteraient de la pleine bonification, le taux de remplacement s’établirait à 25 % pour les revenus de 3 500 $ à 27 450 $, et à 33 % pour la tranche supérieure.
À terme, un travailleur qui gagnerait toute sa carrière le MGA ne toucherait donc qu’un taux moyen de 29 % de ses gains de travail durant sa carrière, selon les calculs de Francine Lévesque, vice-présidente de la centrale syndicale CSN. « Il est déplorable que le plan québécois pénalise les travailleurs québécois », a-t-elle confié à Finance et Investissement. La syndicaliste se dit toutefois étonnée de l’oreille attentive portée par le ministre Leitão aux réclamations des supporteurs du plan fédéral exprimées lors des consultations tenues en janvier et demeure optimiste.
En général, les représentants interrogés jugent que le Québec est en droit d’avoir des règles qui tiennent compte des spécificités de la province. « Il s’agit d’une complexification du régime pour les clients, et par conséquent, pour nous qui devons le leur expliquer », remarque Martin Dupras, président de ConFor Financiers. Il ne s’agit toutefois pas d’un obstacle insurmontable, comme en témoigne Nathalie Bachand, de Bachand Lafleur : « Il y aura de nouvelles règles avec lesquelles il faudra se familiariser comme chaque fois que de nouvelles règles entrent en vigueur », précise celle qui se dit confiante que les gouvernements fédéral et québécois s’entendront sur des formules pour assurer une transition en douceur et une certaine harmonisation.
« Le Québec doit ajuster à la hausse les paramètres d’épargne et de prestations de la RRQ. Cependant, l’harmonisation des cotisations et des rentes aurait été souhaitable. Néanmoins, l’harmonisation parfaite n’est pas une obligation. Le Québec peut faire des choix distincts dans les paramètres de cotisation et de prestations de la RRQ, mais un écart prononcé engendrerait un déséquilibre interprovincial », note Gaétan Veillette.
autres Difficultés
Des difficultés pourraient surgir pour les représentants lorsqu’ils soumettront une planification pour un client qui a travaillé dans plus d’une province. Pensons aux travailleurs québécois qui ont travaillé quelque temps en Alberta ou aux résidents de l’Outaouais qui sont nombreux à travailler quelques années à Ottawa avant de revenir gagner leur vie à Gatineau ou vice-versa.
Il sera alors difficile de prévoir le taux de remplacement du revenu, puisque les taux québécois seront différents de celui des autres provinces ou territoires. Mais encore ici, les sources consultées par Finance et Investissement relativisent cette embûche éventuelle. « Vous savez, le taux de remplacement n’est qu’une hypothèse parmi tant d’autres. Dès que vous travaillez avec des hypothèses, vous risquez de vous tromper », observe Daniel Laverdière.
Gare aux revenus qui fluctuent
Une difficulté identique se présentera lors des planifications de vos clients qui ont des revenus instables. Pensons notamment aux femmes qui quittent le marché du travail de nombreuses années pour élever des enfants ou aux travailleurs autonomes aux revenus variables. Le représentant ne saura pas s’il devra utiliser un taux de remplacement des revenus par le RRQ de 25 % ou de 33 %. En effet, un client pourrait gagner plus que la moitié du MGA certaines années et cotiser en fonction d’un taux de remplacement de 33 % sur la tranche supérieure de revenu. Au cours d’autres années, il pourrait ne cotiser qu’en fonction d’un taux de remplacement de 25 %. D’où une incertitude sur le taux à utiliser dans les planifications. Daniel Laverdière rassure toutefois : « Il vaudra toujours mieux avoir une planification, même imprécise, que de ne pas en avoir du tout », conclut-il.