La Souveraine coupable

Ainsi, le 21 novembre dernier, après sept ans de bataille juridique, la Cour suprême du Canada a jugé coupable La Souveraine, une société albertaine d’assurance, d’avoir «aidé ou amené, par son consentement et/ou son autorisation, un courtier non inscrit auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF) à enfreindre une disposition de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF).»

Le plus haut tribunal du pays rétablit ainsi le jugement initial de la Cour du Québec de novembre 2008. La Souveraine avait alors été reconnue coupable de 56 chefs d’infraction et condamnée à payer une amende totalisant 560 000 $.

L’infraction remonte à 2004, quand Flanders Insurance Management and Administrative Services Ltd., un courtier établi à Winnipeg et non inscrit à l’AMF, négocie et délivre, pour le compte de La Souveraine, une police-cadre à GE Financement Commercial.

GE, une entreprise ontarienne, assurait ainsi les inventaires de véhicules récréatifs de ses concessionnaires partout au Canada, dont 56 sont situés au Québec.

Responsabilité des assureurs

Selon Sylvain Théberge, porte-parole de l’AMF, ce jugement vient rappeler «qu’un assureur qui distribue des produits au Québec doit s’assurer de ne le faire que par l’intermédiaire de courtiers en assurance dûment inscrits auprès de l’AMF.»

Le jugement vient aussi énoncer clairement «que les assureurs doivent mettre en place un programme de conformité adéquat pour assurer que la distribution de leurs produits se fait conformément aux dispositions d’ordre public édictées par la LDPSF […] à défaut de quoi, ils engagent leur responsabilité pénale», affirme Sylvain Théberge.

L’avocat Marc Beauchemin considère que la décision de la Cour suprême met en avant une nouvelle lecture du droit pénal québécois en matière de réglementation.

«C’est aux assureurs que revient le fardeau de s’assurer que la distribution de leurs produits est conforme à la réglementation existante», juge-t-il.

Il souligne aussi que la Cour suprême est venue spécifier qu’il n’était pas nécessaire, dans ce genre d’infraction, de prouver l’«intention coupable» de l’accusé. «Le simple défaut pour l’assureur de s’opposer en temps utile à une distribution illégale de ses produits d’assurance est assimilable à un consentement ou à une autorisation de cette distribution», explique Marc Beauchemin.

L’attitude de l’AMF

Deux juges de la Cour suprême ont enregistré leur dissidence partielle à ce jugement. Ils auraient préféré qu’une seule déclaration de culpabilité soit substituée aux 56 qui avaient été inscrites à l’issue du procès.

Une autre juge, Rosalie Silberman Abella, a estimé que les procédures devraient être arrêtées compte tenu du fait que l’AMF aurait fait preuve de passivité dans le dossier.

Rappelons les faits. Avant le dépôt des constats d’infraction, en janvier 2006, La Souveraine avait répondu par écrit à la demande d’informations de l’AMF concernant les polices délivrées par son courtier de Winnipeg.

En juin 2005, la société exposait les raisons pour lesquelles elle croyait – de manière erronée – être en conformité avec les règles québécoises.

Elle faisait valoir notamment que le client avait son siège social en Ontario et que les primes d’assurance étaient payées directement à GE, et non à ses concessionnaires.

Six mois plus tard, l’AMF procédait au dépôt des 56 constats sans toutefois répondre aux explications données par La Souveraine.

La juge Rosalie Silberman Abella estime que «si une entité chargée de la supervision d’un secteur réglementé omet de manière inexplicable de réagir relativement promptement à une affirmation erronée de l’accusé, elle partage la responsabilité de l’accusé à l’égard de l’ignorance de la loi».

Cependant, la majorité des juges de la Cour suprême ne partagent pas l’interprétation de la juge dissidente, puisque l’AMF n’était pas tenue de répondre. Ils qualifient néanmoins la conduite de l’AMF de «vexatoire».

Le juge Richard Wagner, qui s’exprime pour la majorité, trouve «préoccupant» que l’AMF ait manifestement eu de «sérieuses difficultés à interpréter le droit applicable». «Est-il raisonnable, demande-t-il, d’exiger de ceux et celles visés par des mesures réglementaires une connaissance plus étendue de la loi que celle qu’en a l’organisme chargé de l’appliquer ?»

Question épineuse

Questionné à ce sujet par courriel, Sylvain Théberge a refusé de donner la version de l’AMF à propos de cet épisode. Il n’a pas non plus précisé si des mesures avaient été prises pour faciliter la communication dans des cas semblables à l’avenir.

Selon Marc Beauchemin, le comportement de l’AMF est compréhensible : «Même avec des années de pratique, ce n’est pas une question à laquelle on peut répondre automatiquement».

Marc Beauchemin juge que l’AMF a déjà reconnu en quelque sorte qu’il y avait eu des lacunes dans le dossier.

«Cela s’est passé en 2005, et depuis, avec l’arrivée d’une nouvelle administration, nous sommes plus à l’écoute de l’industrie.»

Il croit que la manière dont l’AMF avait été «échaudée» dans certains dossiers, notamment dans l’affaire Norbourg, n’était probablement pas étrangère à son attitude plus rigide à l’époque.