«Au début de 2013, la médiane de solvabilité, en supposant la cessation des régimes, était de 69 %. C’est-à-dire qu’il y avait 69 $ en caisse pour chaque 100 $ d’engagement. À la fin de 2013, elle était passée à 93 %, souligne le spécialiste.

«C’est dire qu’au moins la moitié des régimes se retrouvent en meilleure position.»

Selon Claude Lockhead, trois causes expliquent cette amélioration.

Premièrement, la hausse des rendements des obligations à long terme du gouvernement du Canada en 2013 compte pour la moitié de cette amélioration. En effet, l’augmentation des taux d’intérêt fait diminuer la valeur actualisée des engagements futurs des régimes de retraite.

Viennent ensuite les bons rendements boursiers de la dernière année et les cotisations supplémentaires des employeurs.

«Cela ne change pas le plan d’Agnès Maltais, souligne Claude Lockhead. Le statu quo n’est pas une option, même si la situation est moins urgente. Cela signifie seulement qu’on peut prendre un peu plus de temps pour réfléchir à la situation, ce que fait la ministre avec les forums qu’elle met en place.»

Grands axes du plan

La réforme proposée par Québec compte trois volets essentiels.

Le premier concerne l’énoncé de quatre grands principes de base : l’équité intergénérationnelle ; la protection des rentes des aînés ; la vérité des coûts pour assurer la pérennité des régimes ; et le respect de la capacité de payer des contribuables.

Le deuxième volet de la réforme met en avant deux directives précises. La première rend obligatoire le partage des coûts des régimes, à parts égales, entre les employeurs et les participants actifs pour les services futurs dans les régimes du secteur public.

La seconde directive établit une nette différence de méthode de capitalisation entre le secteur privé et le secteur public.

Dans le secteur privé, on oblige le recours à la méthode de financement basée sur le concept de capitalisation améliorée. Dans le secteur public, on maintient les règles actuelles de capitalisation.

La stratégie de la capitalisation améliorée implique qu’on utilise un taux de référence, soit le taux des obligations de sociétés à long terme, au moment d’effectuer les projections de rendement d’un régime.

Enfin, dans le troisième volet, la ministre Maltais met en place un processus étalé sur deux ans.

Durant celui-ci, employeurs et employés des secteurs public et privé remettront en question de nombreux droits acquis : âge de retraite obligatoire, taux d’indexation des rentes, calcul de la rente basé sur les dernières années de service, etc.

Ce processus comprendra une première période de discussion dans trois forums distincts (secteur privé, universités, municipalités), suivie d’une période de négociations entre employeurs et employés.

Si les négociations achoppent, un conciliateur interviendra pour trouver un terrain d’entente.

Enfin, si même la conciliation échoue, c’est à la Commission des relations du travail (CRT) qu’il reviendra de trancher.

Des lacunes

L’initiative de la ministre Maltais est saluée par tous les intervenants à qui Finance et Investissement a parlé. Toutefois, certains aspects suscitent des malaises et des interrogations.

L’objection la plus percutante provient de Richard Guay, professeur de finance à l’École des sciences de la gestion à l’Université du Québec à Montréal. Son passage à la tête de la Caisse de dépôt et placement du Québec lui donne un point de vue privilégié.

Tout d’abord, un élément suscite un malaise évident chez ce spécialiste : «Le plan traite seulement des déficits futurs, souligne-t-il. Les déficits passés, il n’en traite pas.»

Pourtant, qu’est-ce qui a provoqué tant de controverses et d’inquiétudes si ce ne sont pas les déficits accumulés dans le passé ?

Toutefois, selon Richard Guay, l’élément le plus contestable concerne l’application de l’approche de capitalisation améliorée au seul secteur privé. Le rapport D’Amours sur le système de retraite québécois recommandait d’appliquer le principe de capitalisation améliorée tant dans le public que dans le privé dit-il.

Or, le secteur public conserve la méthode actuelle de capitalisation, qui appuie les projections de rendement nettement plus optimistes par rapport à celles de la capitalisation améliorée.

«C’est une déception. La méthode de capitalisation actuelle permet de camoufler les déficits actuariels», dit Richard Guay.

«On prévoit des rendements très optimistes qui donnent l’impression que la valeur du passif est basse. Cela contredit le principe d’équité intergénérationnelle», ajoute-t-il.

«Un taux qui camoufle les déficits implique que, dans 20 ans, cela coûtera plus cher que prévu. Et c’est la prochaine génération qui verra ses taxes augmenter pour payer les déficits. Cela, le plan Maltais ne veut pas l’attaquer, parce que ça dérange», affirme Richard Guay.

Protéger les contribuables

Nous avons soulevé ces objections auprès du cabinet de la ministre.

«Nous avons décidé de conserver la méthode de capitalisation actuelle pour le secteur public, car la mise en place de la méthode de capitalisation améliorée aurait pour effet de provoquer une hausse très importante des cotisations, ce qui pourrait représenter un fardeau beaucoup plus lourd pour les contribuables», nous a répondu par courriel l’attachée de presse Mélanie Harvey.

«Par contre, il est faux de prétendre que nous maintenons le statu quo, ajoute-t-elle. Les forums mis en place ont pour but de renforcer la méthode de financement sur base de capitalisation afin de rendre les régimes plus solides et mieux financés.»

Autres critiques

Deux autres composantes du plan de réforme créent un malaise. En premier lieu, bon nombre se demandent si la CRT disposera des éléments nécessaires pour trancher, comme le requiert la ministre. C’est une question que soulèvent tant Claude Lockhead que Denis Latulippe, directeur de l’École d’actuariat de l’Université Laval.

«Il faut éviter d’entretenir des vides d’orientation qui pourraient entraîner la CRT à couper la poire en deux tout simplement, remarque Denis Latulippe. Si la CRT est appelée à intervenir, il faudrait savoir comment cela se fera.»

Autre critique émise par Claude Lockhead : la règle de partage des coûts à 50-50 ne devrait prévaloir que s’il n’y a pas d’entente entre les parties. Par exemple, les cols bleus de Montréal ont négocié une entente qui prévoit que les employés assumeront 45 % des coûts, et l’employeur, 55 %.

«Toutefois, avec la règle proposée, cette entente ne vaudrait rien», souligne-t-il.