Le retour du style «valeur»
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À ce moment-là, la «valeur» avait entrepris une remontée, et Norman Boersma jugeait qu’il ne s’agissait pas simplement d’une étincelle passagère.

Six mois plus tard, il pouvait confirmer sa prédiction. «La valeur a fortement surperformé depuis la publication de mon billet de blogue en juin, dit-il. Depuis, l’indice valeur mondial de MSCI (All Country World Value Index) a procuré un rendement supérieur à 8 %, alors que l’indice général a progressé d’environ 4 %. Comparativement, l’indice croissance de MSCI (All Country World Growth Index) a stagné.»

Des graphiques de MSCI que nous a transmis Nomura Asset Management U.S.A. montrent le même phénomène pour chaque grande région du monde. Dès juillet 2016, on y voit les titres de valeur entamer leur remontée et, depuis novembre 2016, se détacher des autres grands indices des styles «momentum» et «qualité» qui, eux, sont en baisse prononcée.

Contre toute attente, c’est dans les pays émergents et en Europe que l’écart se creuse le plus. Dans tous les cas, l’écart entre le style valeur et les autres styles est d’au moins 4 points de pourcentage, mais dans les pays émergents, il s’élève à plus de 12 points de pourcentage, et en Europe, à 7 points, selon MSCI.

Nombreux facteurs

La tenue supérieure des titres de croissance au cours des 10 dernières années tient au fait «qu’avec le soutien des banques centrales, les investisseurs ont été encouragés à payer plus cher pour cette croissance, délaissant les titres où la croissance était moindre», explique Louis Lizotte, vice-président, gestion des actifs, chez Gestion FÉRIQUE.

«Des titres comme Amazon, Facebook et Alphabet [Google] ont eu un impact démesuré et ont beaucoup tiré les rendements. Le gestionnaire qui ne les avait pas en portefeuille se retrouvait derrière les indices», souligne-t-il.

Le vent a maintenant tourné. Cela tient au concours de plusieurs circonstances, nous ont indiqué par courriel Carol DeWolf et Robert Hanna, de Nomura, firme qui gère le portefeuille du Fonds FÉRIQUE Asie.

«La croissance globale s’est élargie. Ainsi, plus de sociétés ont été en mesure d’afficher de la rentabilité, de telle sorte que la prime de croissance a diminué. En même temps, les taux d’intérêt sont en hausse, ce qui rend les rendements futurs moins attrayants», précisent-ils.

Il ne faut pas oublier l’autre facteur crucial de la remontée du style valeur, soit le bond de 20 % des titres de ressources au cours de la première moitié de 2016, rappelle Richard Farrell, cogestionnaire du Fonds de dividendes de marchés émergents RBC chez RBC Gestion globale d’actifs. «La valeur était nichée surtout dans les titres de ressources.»

À présent, la valeur connaîtra une poussée durable, prévoit Norman Boersma, surtout parce qu’elle a été tellement réprimée au cours de la dernière décennie.

«Que ce soit sur les plans des évaluations ou de la performance, des mesures absolues ou relatives, de l’amplitude ou de la durée, nous avons trouvé très peu de précédents historiques à la déprime des titres de valeur», note-t-il.

Une telle situation est inusitée, car la valeur a plus souvent surperformé historiquement, souligne le chef des investissements chez Templeton.

Au cours des 90 dernières années, «la valeur a mieux performé que la croissance 86 % du temps (en mesurant selon une moyenne mobile de 10 ans). Le surplus de performance annualisé de la valeur par rapport à la croissance a été de 3,9 %», précise Norman Boersma.

Refuges de la valeur

Comme il fallait s’y attendre, la valeur réside beaucoup dans les titres et les régions géographiques que les marchés ont négligés au cours des dernières années.

Par exemple, elle est nichée dans les titres financiers de l’énergie et des soins de la santé, indique Norman Boersma, et plutôt en Asie et en Europe («une source abondante de valeur», insiste-t-il) qu’aux États-Unis.

Chez RBC, Richard Farrell est à la recherche de quatre «situations» dans lesquelles il trouve de la valeur. Les situations «oubliées», où les évaluations sont basses parce que les titres ne sont pas bien suivis ; les «cycliques», par exemple les ressources qui atteignent un creux ; les «réformes politiques», un facteur beaucoup plus influent dans les pays émergents ; les «revirements», lorsque l’équipe de gestion est remplacée, par exemple, ou qu’un investissement majeur est effectué.

Il est à noter que 8 des 10 fonds de notre palmarès (voir le tableau) sont actifs dans les marchés asiatiques ou émergents. C’est dire combien la région a été propice aux gestionnaires de style valeur, où les titres de cette catégorie abondent.

Quelques titres prometteurs

Le titre de Samsung ressort au premier plan, favori de deux des gestionnaires à qui Finance et Investissement a parlé. Il présente une situation classique de «revirement», qu’affectionne Richard Farrell.

Selon lui, le géant coréen avait beaucoup de problèmes de gouvernance, révélés «par une encaisse passive de 60 G$ US avec laquelle l’entreprise ne faisait rien, ni recherche et développement, ni paiement de dividendes», fait-il ressortir.

À cela s’est ajouté le rappel de ses téléphones intelligents Galaxy Note 7, dont les médias ont fait leurs choux gras.

Tout cela a contribué à maintenir basse la valeur du titre. Toutefois, «au cours des derniers mois, il a bondi à des sommets inégalés après que les responsables – incités par des investisseurs activistes occidentaux – ont commencé à répondre aux préoccupations des investisseurs avec des directives explicites», indique Norman Boersma.

Autre titre qui attire les faveurs de deux intervenants : Taiwan Semiconductor, bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler d’un titre valeur, selon Carol DeWolf et Robert Hanna.

On trouve ici une caractéristique recherchée par les gestionnaires qui, comme Robert Farrell, se qualifient d’investisseurs de «valeur relative», plus attentifs au potentiel de croissance d’un titre valeur qu’à son bas coût.

C’est le cas du titre de Taiwan Semiconductor, une société qui séduit par sa position de plus en plus dominante dans son marché des processeurs et pour lequel la demande ne fera que croître, juge Richard Farrell.

«Des gens craignent que la demande de processeurs diminue avec le déclin des téléphones intelligents, mais nous croyons qu’elle se manifestera ailleurs, notamment dans les voitures autonomes et dans l’extension de l’Internet des objets», affirme-t-il.

Contre toute attente, les titres technologiques ont la faveur des gestionnaires à qui nous avons parlé. Mais les secteurs des financières et des ressources restent à l’avant-plan, notamment avec des titres miniers comme BHP Billiton et Glencore, et des titres bancaires comme la coréenne Shinhan et National Australia Bank.

Cependant un investisseur de style valeur réussit toujours à déterrer des titres obscurs et négligés, comme celui d’Apollo Tyres.

«Nous l’avons acheté très bon marché, souligne Richard Farrell. Pourtant, son marché est mû par la croissance de la classe moyenne en Inde, qui devient plus attentive à la sécurité et aux marques. Mais puisque le titre n’est pas sexy, il s’échange à des multiples attrayants.»