Au départ, elle reconnaît comme tous les économistes que la politique d’assouplissement quantitatif (Quantitative Easing, ou QE) se veut inflationniste, mais dans un cadre «contrôlé».
C’est ce que note d’ailleurs Pascal Duquette, administrateur de sociétés et ancien président de Gestion de portefeuille Natcan. Une politique strictement inflationniste se contenterait de garder les taux d’intérêt au plancher, et de ce fait, «d’imprimer» de l’argent.
Cependant, la Réserve fédérale américaine (Fed) a annoncé son intention de revendre tous les titres obligataires et du Trésor qu’elle a achetés pour «créer» de l’argent. Elle promet ainsi de résorber cet excès monétaire et son passif en revendant les titres qu’elle a achetés.
Ces dettes au bilan de la Fed sont quatre fois plus élevées qu’en période de précrise financière, bientôt cinq fois, selon François Dupuis, économiste en chef au Mouvement Desjardins. «On nous donne un bonbon « temporaire », mais en sachant qu’on va nous le retirer», explique Pascal Duquette.
Les acteurs financiers et économiques tiennent donc déjà compte de ce retrait. De sorte que «l’effet inflationniste est moins important que prévu», ajoute-t-il.
Objectif non atteint
Or, pour que leurs politiques actuelles soient vraiment inflationnistes, les banques centrales, la Fed au premier chef, «devraient simplement radier leurs masses de dettes. Du coup, elles rendraient permanent l’accroissement de la masse monétaire», signale Michala Marcussen.
Toutefois, elle craint que l’inflation ainsi provoquée ait un effet pernicieux, sur le modèle de l’hyperinflation des années 1920 de la République de Weimar, en Allemagne.
Cependant, l’effet inflationniste désiré ne se matérialise pas, juge la chef économiste.
Pourquoi ? Essentiellement parce qu’en cette ère de mondialisation, une grande part des liquidités créées se dirige vers les deux grandes économies émergentes, la Chine et l’Inde, où elles sont transformées en «activités» improductives.
En Chine, ces liquidités ont été injectées dans une surcapacité productive dont le rendement du capital investi est très faible, ainsi que dans un système bancaire parallèle (shadow banking) instable. Il en résulte un effet déflationniste sur l’économie mondiale.
Causes possibles
Comment cet effet déflationniste se concrétise-t-il ? Michala Marcussen ne le précise pas.
Il agit possiblement par la masse de produits à prix faibles et décroissants exportés vers les économies avancées, répondent certains commentateurs à qui Finance et Investissement a parlé.
Alors qu’en Chine, l’effet déflationniste provient du côté productif de l’économie, en Inde et au Brésil, cet effet «menace» de provenir du secteur de la consommation.
Les ménages sont surendettés dans ces pays aussi, et puisqu’ils s’affairent à réduire leur endettement, «le résultat final pourrait s’avérer déflationniste», prévoit Michala Marcussen.
En terrain inconnu
Les experts à qui nous avons parlé sont d’accord en partie avec Michala Marcussen, mais hésitent à trop s’avancer.
Ce qui ressort des échanges, c’est que nous sommes en terrain inconnu et que personne ne sait vraiment à quoi s’en tenir.
«On nage un peu dans l’inconnu quant aux effets bénéfiques de QE, souligne François Dupuis. Son effet le plus bénéfique, peut-être, est qu’il a redonné une certaine confiance aux marchés.»
Chose certaine, nous sommes en phase de stagnation.
«Il faut que les banques prêtent et que les entreprises veuillent investir», affirme Bernard Élie, professeur associé en sciences économiques à l’UQAM.
«Toutefois, personne ne bouge. Les banques placent leurs liquidités dans des secteurs non productifs et les entreprises rachètent leurs actions. John M. Keynes appelait cela « le piège des liquidités ».»
«Désinflation»
Chose certaine, si le QE se veut inflationniste, l’effet n’est pas convaincant à ce moment-ci.
Avant la crise, note François Dupuis, le taux d’inflation s’établissait à 3 %. En 2008-2009, alors qu’il était près de zéro, «la Fed a répliqué avec sa politique QE et l’inflation a réagi : elle a atteint 3,1 % en 2011».
«Toutefois en 2012, le taux est descendu à 2,1 %, ajoute-t-il. Pour 2013, on prévoit 1,5 %, mais actuellement, l’inflation est très près de 1 %.»
Sommes-nous sur la voie d’une déflation ? C’est un terme que l’économiste de Desjardins refuse d’employer. Il préfère parler de «désinflation».
Qu’est-ce à dire ? Il y a une baisse de l’inflation, donc un ralentissement du rythme de la hausse des prix, mais nous ne sommes pas entrés dans le processus pernicieux de la déflation, où l’activité économique est paralysée parce que les gens attendent constamment la prochaine baisse de prix avant d’acheter.
François Dupuis reconnaît qu’avec un taux d’inflation autour de 1 %, «on entre dans une zone de drapeaux jaunes, et la déflation reste un scénario de risque. Cependant, pour arriver à une déflation, il faudrait une baisse importante de plusieurs actifs. Il faudrait une autre crise».
Désendettement
Pascal Duquette apporte l’un des meilleurs éclairages à tout le débat.
Même si on utilise souvent le terme «récession», il ne représente pas adéquatement la situation actuelle. Nous sommes plutôt en «crise financière». C’est-à-dire que nous sommes dans un processus de réduction de l’endettement, que ce soit dans les ménages, dans les banques, dans les entreprises ou dans les gouvernements.
Un tel désendettement est en soi déflationniste. C’est la tendance de fond de toute l’économie. «On essaie d’empêcher l’effet déflationniste de la crise financière, et la politique du QE est la dose de stéroïdes par laquelle on tente d’y parvenir», soutient Pascal Duquette.
Alors non, le QE n’est pas déflationniste en soi, comme le craint Michala Marcussen. Toutefois, jugent les commentateurs interrogés, elle a raison quand elle affirme que «l’investissement improductif, par nature, est ultimement déflationniste».
Or, le QE, en poussant l’argent vers des applications improductives et spéculatives, ne fait que préparer le terrain à une déflation future. D’autant plus qu’avec un taux d’inflation qui frise 1 %, tout indique que le remède peine à exercer son effet stimulant.